ACTE I - SCENE XXII



LE MARQUIS, LA COMTESSE, puis LA CLAUDIE

LA COMTESSE
(referme la porte et pousse un gros soupir; puis remarquant LE MARQUIS qui se mord les lèvres d'un air narquois.)
Ah ! je t'en prie, ne prends pas cet air malin ! tu m'agaces.
(Elle descend à gauche.)

LE MARQUIS
(de l'air le plus candide.)
Moi ?

LA COMTESSE
(allant s'asseoir sur le fauteuil à droite de la table.)
C'est vrai ! c'est ta faute tout ça ! C'est toi qui as sermonné le docteur.

LE MARQUIS
(descendant près d'elle.)
Moi !

LA COMTESSE
Oui ! Eh bien ! vous aurez beau vous liguer contre moi ! jamais, tu m'entends, jamais !
(LE MARQUIS s'incline avec un geste de soumission et va s'asseoir sur le fauteuil près de la tricoteuse. A ce moment LA CLAUDIE sort de la chambre de MAURICE.)

LA COMTESSE
(avec anxiété.)
Ah ! Eh bien ? M. Maurice ?

LA CLAUDIE
(qui s'apprêtait à sortir, descendant auprès de LA COMTESSE.)
Oh! ça va bien !

LA COMTESSE
(respirant.)
Ah ! tant mieux ! (LA CLAUDIE remonte pour sortir, la rappelant.)
La Claudie !

LA CLAUDIE
(redescendant.)
Madame la comtesse ?

LA COMTESSE
(après un effort visible.)
Non… rien.

LA CLAUDIE
Ah ?
(Elle remonte.)

LA COMTESSE
(brusquement.)
Si !… (LA CLAUDIE s'arrête. LA COMTESSE voyant le regard du marquis fixé sur elle, et le sourire moqueur qu'il a sur les lèvres.)
Ah ! ne ris pas, toi !(A LA CLAUDIE, avec embarras.)
Ça… ça t'ennuie beaucoup de rentrer à l'orphelinat de Kenogan ?

LA CLAUDIE
(levant de grands bras.)
Oh ! madame la comtesse…!

LA COMTESSE
(avec des efforts qui lui coûtent.)
Eh bien !… c'est bien !… pour le moment je consens… Nous… nous verrons plus tard !… tu resteras au château.

LA CLAUDIE
(avec expansion.)
Oh ! merci, madame la comtesse !

LA COMTESSE
(avec humeur, lui coupant son élan.)
Ah ! C'est bien… va !… va !… ne m'agace pas.
(Elle se lève et gagne la gauche.)

LA CLAUDIE
(interloquée.)
Oui, madame la comtesse.
(Elle sort radieuse.)

LE MARQUIS
(une fois LA CLAUDIE sortie.)
Allons donc ! Tu te ranges au parti de la raison !

LA COMTESSE
(protestant.)
Moi ! moi ! qu'est-ce que tu veux dire ?

LE MARQUIS
(bien amicalement.)
Allons, voyons ! Crois-tu que je ne lis pas dans ta pensée ?(Se levant et allant vers elle.)
Pourquoi ce brusque revirement, si ce n'est parce que tu te dis…

LA COMTESSE
(toute honteuse et sur un ton suppliant.)
Oh ! tais-toi ! tais-toi !

LE MARQUIS
Ah ! tu vois bien que j'ai deviné juste.

LA COMTESSE
(s'affalant sur le tabouret.)
Ah ! les enfants !… les enfants !

LE MARQUIS
(derrière elle, lui prenant affectueusement les épaules entre ses deux mains. —)
Ne te désole donc pas, va !… C'est la loi humaine après tout !… Eh ! bien, pourquoi s'insurger contre elle ? Faisons en sorte que Maurice ne vive pas plus longtemps en marge de cette loi !… et pour cela, le mieux est de laisser parler la nature: entoure habilement Maurice, sans avoir l'air de rien, de jolies femmes, de frimousses aguichantes !… qu'il en trouve partout et tout le temps !… que diable, il n'y a pas un homme qui n'ait son heure de défaillance et, un jour où la tentation sera trop forte…
(Il gagne la droite.)

LA COMTESSE
(bien simplement.)
Je le connais, il se mettra à prier.

LE MARQUIS
Oh ! alors, zut !
(Il remonte.)

LA COMTESSE
Et puis, tu es bon ! "Entoure-le, entoure-le" ! Comment veux-tu que je m'y prenne ! Je n'en connais pas, moi, des femmes ! En as-tu toi ?

LE MARQUIS
(qui est un peu redescendu sur les paroles de sa sœur.)
Moi ? Mais ma pauvre sœur du bon Dieu, il y a longtemps que je suis rangé des voitures !

LA COMTESSE
Quoi ?

LE MARQUIS
Expression qui veut dire qu'il y a longtemps que j'ai enrayé du jour où j'ai constaté que j'étais au-dessous de mes affaires… et que je ne faisais plus honneur à ma signature…! Aujourd'hui, je vis dans mes terres de Touraine et ce n'est pas là que… (Allant à elle.)
La dernière que j'ai connue était une nommée Clarisse Houlgate qui avait fait les beaux jours du
16 mai.

LA COMTESSE
(avec une lueur d'espoir.)
Ah ? Eh bien ! voilà ! Qu'est-ce qu'elle est devenue ?

LE MARQUIS
Dame ! elle est devenue… vieille; du moins je le suppose, parce que, avec les femmes, les années, ce n'est pas comme avec les hommes.

LA COMTESSE
N'importe ! Tu pourrais te renseigner ! une femme d'un certain âge…! elles ont le sentiment maternel plus développé. Cette Houlgate me conviendrait très bien.

LE MARQUIS
Non, mais tu es superbe ! Ce n'est pas à toi qu'il faut qu'elle convienne ! c'est à ton fils.
(Il remonte.)

LA COMTESSE
C'est vrai ! (Avec découragement.)
Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! que le rôle d'une mère est donc difficile !
(Elle remonte vers la droite de la table.)

Autres textes de Georges Feydeau

Un fil à la patte

"Un fil à la patte" est une comédie en trois actes de Georges Feydeau. Elle raconte l'histoire de Fernand de Bois d'Enghien, un homme qui souhaite rompre avec sa maîtresse,...

Un bain de ménage

"Un bain de ménage" est une pièce en un acte de Georges Feydeau. Elle se déroule dans un vestibule où une baignoire est installée. La pièce commence avec Adélaïde, la...

Tailleur pour dames

(Au lever du rideau, la scène est vide.)(Il fait à peine jour. Étienne entre par la porte de droite, deuxième plan.)(Il tient un balai, un plumeau, une serviette, tout ce...

Séance de nuit

(JOSEPH PUIS RIGOLIN ET EMILIE BAMBOCHE Au lever du rideau, Joseph achève de mettre le couvert. Par la porte du fond, qui est entr'ouverte, et donne sur le hall où...

Par la fenêtre

Un salon élégant. Au fond, une porte donnant sur un vestibule : à gauche, premier plan, une fenêtre ; — à droite, second plan, une cheminée, surmontée d'une glace ; ...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024