ACTE III - SCENE V
LES MEMES, JEAN-LOU
JEAN-LOU
(l'air mystérieux, allant sur la pointe des pieds jusqu'à L'ABBE.)
Monsieur le Curé ! monsieur le Curé ! (Saluant.)
Messieurs, Mesdames.
L'ABBE
Te voilà revenu, toi.
JEAN-LOU
(bas au curé.)
C'est monsieur l'abbé de Plounidec qui m'envoie…
L'ABBE
(à haute voix aux autres.)
Ah ! bien justement, mesdames…
JEAN-LOU
(vivement.)
Oh ! chut !… (Confidentiellement.)
Monsieur l'abbé est là, en carriole; il voudrait vous toucher deux mots en particulier avant de voir sa famille; alors il vous fait prier, si elle est déjà arrivée, de l'éloigner…
L'ABBE
Bon. (Il va pour remonter.)
JEAN-LOU
(achevant sa phrase.)
… Habilement.
L'ABBE
(s'arrêtant court.)
Ha… habilement ?
JEAN-LOU
(confirmant.)
Habilement.
L'ABBE
(un peu déconfit.)
Habilement, oui. (Se décidant et bien bêta.)
Hum !… Que… que penseriez-vous, messieurs, mesdames, d'aller jusqu'au bout du jardin ?
(LE MARQUIS et HEURTELOUP au fond au-dessus du banc de gauche, plus en scène EUGENIE, LA COMTESSE, plus bas, devant le grand arbre, L'ABBE et JEAN-LOU.)
TOUS
(étonnés.)
Nous ?
LA COMTESSE
Pourquoi faire ?
L'ABBE
(interloqué.)
Hein?… je ne sais pas !… Tenez, j'ai… j'ai un poirier qui est assez curieux : il ne produit pas de poires.
EUGENIE
Qu'est-ce qu'il produit ?
L'ABBE
Rien du tout !… Si cela vous intéressait ?…
LA COMTESSE
(malicieusement.)
Vous avez quelqu'un à recevoir !
L'ABBE
(avec un sursaut d'étonnement.)
A quoi avez-vous vu cela ?
LA COMTESSE
(souriant.)
Oh ! c'est difficile à deviner ! c'est Maurice, hein ?
L'ABBE
(légèrement confus.)
Maurice, oui.
LA COMTESSE
Il voudrait vous parler en particulier.
L'ABBE
Comme vous êtes perspicace.
LA COMTESSE
Et il vous a fait prier de nous éloigner.
L'ABBE
(sans voix, rien que par l'articulation des lèvres.)
Habilement, oui.
LA COMTESSE
Que de mystères, mon Dieu !… Eh ! bien, plutôt que d'aller rendre visite à votre poirier qui ne donne pas de poires, je propose d'utiliser ces instants en poussant jusque chez la Marie-Jeanne. On lui montrera qu'elle n'est pas tout à fait abandonnée. Cela va-t-il ?
TOUS
Ça va.
L'ABBE
Oh ! Madame, comme vous êtes plus habile que moi.
LA COMTESSE
(souriant.)
Croyez-vous ? (Aux autres, en se dirigeant vers le fond.)
Allons !
EUGENIE
(au fond, au moment de sortir, à HEURTELOUP qui, pendant ce qui précède, a cueilli machinalement une fleur rouge dont il a paré sa boutonnière)
(absolument comme s'il y avait le feu.)
Veux-tu enlever ça, toi !
HEURTELOUP
(ahuri par cette apostrophe.)
Hein !… quoi ?
EUGENIE
Ça !… c'est rouge !
HEURTELOUP
(haussant les épaules.)
Oh !
LE MARQUIS
(railleur.)
Vous n'avez plus droit qu'au bleuet.
(Il lui enlève sa fleur et se la passe à la boutonnière.)
EUGENIE
(à son mari qui, furieux, les deux mains derrière le dos, sort avec des haussements d'épaules rageurs.)
Ah !… et puis toi, je t'en prie, pas de tête, hein ?
(Ils sortent tous par le fond droit.)