ACTE I - SCENE VII



L'ABBE
MAURICE

L'ABBE
(qui s'était levé à la sortie générale, allant à MAURICE et paternellement lui mettant la main sur l'épaule, ce qui le tire de sa méditation.)
Eh ! bien, nous voici seuls, mon cher enfant; qu'avez-vous donc de si grave à confesser ?

MAURICE
Oh ! mon père, mon père, je m'accuse parce que j'ai péché, monstrueusement péché.
(Il se laisse tomber sur les deux genoux.)

L'ABBE
(le relevant et le faisant asseoir sur le pied de la chaise longue.)
Mon enfant ! Mon fils, relevez-vous ! (S'asseyant en face et tout près de lui, sur le tabouret.)
Ici nous ne sommes pas au confessionnal; et confiez-vous à moi, comme à votre père spirituel. Je suis sûr que vous vous exagérez vos fautes.

MAURICE
Oh ! non, mon père. Dieu m'est témoin pourtant que ma volonté n'y est pour rien.
Comment dans mon cerveau, dont j'écarte avec tant de zèle toute idée coupable, a-t-il pu germer une horreur pareille !… Cette nuit, j'ai fait un cauchemar : j'ai vu la Magdeleine au pied de N. S.
Jésus-Christ. Elle était belle, belle ! ses cheveux étaient défaits et son corps était nu jusqu'à la taille… Elle implorait Notre Seigneur et ses yeux brûlaient d'un amour profane. (L'ABBE hoche la tète.)
Oh ! comment oserai-je vous dire…?
(Il ramène son bras sur son front pour dissimuler sa honte.)

L'ABBE
(paternellement.)
Allez, mon enfant, allez !

MAURICE
(faisant un effort sur lui-même et reprenant sa confession.)
Tout à coup, je m'aperçus que le Christ me ressemblait; oui, mon père, le Christ c'était moi ! Quel sacrilège !
Quel péché d'orgueil !… et la Magdeleine, la Magdeleine c'était traits pour traits La Claudie, notre servante ! Elle me regardait, avec ces yeux que je lui ai déjà vus en réalité, ces yeux qui me gênent… et, c'est affreux à dire : moi, moi le Christ, au lieu de repousser ses avances, d'essayer de l'amener au bien, de lui dire les mots qui purifient, je n'avais pas le courage ! que dis-je ? j'éprouvais comme une joie de sa présence, son regard me troublait, sa caresse me retenait !
C'était moi, moi qui la rapprochais de moi, et avant que j'aie pu me ressaisir, oh ! mon père ! je devenais humainement et misérablement sa chose !… (Avec des sanglots.)
Vous entendez, mon père, sa chose ! sa chose !
(Il se laisse tomber aux pieds du prêtre et sanglote, la tête enfouie dans son bras et appuyée sur les genoux de L'ABBE.)

L'ABBE
(lui caressant paternellement la tête.)
Mon enfant ! Mon pauvre enfant.

MAURICE
(relevant la tête.)
Ah ! Comment expierai-je un pareil sacrilège ! (Il se lève et passe à droite.)
Quand je me suis éveillé, j'ai prié; j'ai prié jusqu'au matin, implorant mon pardon, me déchirant la poitrine, me meurtrissant les chairs; mais je le sens bien : Dieu s'est retiré de moi !

L'ABBE
(se levant 1 et allant à lui 2.)
Non, mon enfant, non ! Dieu ne s'est pas retiré de vous ! Certes votre rêve est criminel et le démon vous a visité cette nuit. Mais croyez-vous que tous, et parmi les plus saints, nous n'avons pas eu à subir des épreuves pareilles ? Est-ce que saint Antoine n'eut pas à résister à toutes les tentations qui l'hallucinaient ? Sa sainteté en a-t-elle été diminuée ?

MAURICE
Oh ! mon père, si c'était vrai !

L'ABBE
(lui prenant le bras.)
Dieu ne retient que les péchés que l'homme commet à l'état conscient. (Tout en marchant de façon à gagner tous deux la droite de la scène.)
Mais sa miséricorde est trop grande pour qu'il fasse un grief d'un péché qui se produit en dehors du libre arbitre. Aussi, est-ce en son nom, mon fils, que je vous absous, et que je vous dis : allez en paix, vos péchés vous sont remis.

MAURICE
(se précipitant dans ses bras.)
Oh ! mon père, mon père, que la bonté de Dieu est infinie !

L'ABBE
(le serrant dans ses bras.)
Mon cher enfant ! Que j'admire l'ardeur de votre foi de néophyte.

MAURICE
Mon père, je suis heureux.
(L'ABBE l'embrasse.)

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