ACTE III - SCENE III



LES MEMES, LA COMTESSE, LE MARQUIS, EUGENIE
(Ils arrivent, comme HUGUETTE, par le fond gauche.)

LA COMTESSE
(franchissant la grille d'entrée et immédiatement à L'ABBE avec une certaine inquiétude dans la voix.)
Ah ! monsieur le Curé !…

L'ABBE
(s'inclinant.)
Madame la comtesse.

LA COMTESSE
Vous nous avez fait prier de venir.

L'ABBE
Mais oui, Madame. Bonjour, Monsieur le marquis; (A EUGENIE)
bonjour, Madame.

LE MARQUIS, EUGENIE
(franchissant la grille.)
Bonjour, Monsieur le Curé.
(LE MARQUIS descend à la suite de LA COMTESSE. EUGENIE descend par la gauche.)

LA COMTESSE
(tout en descendant dans la direction de l'arbre.)
Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est- ce qui se passe ? pourquoi cette convocation… officielle ?
(Elle s'assied sur le banc circulaire, LE MARQUIS est debout entre elle et L'ABBE, mais un peu au-dessus.)

L'ABBE
Ah ! çà ! Madame, je serais bien embarrassé pour vous le dire. J'ai reçu une lettre de M. Maurice m'annonçant son arrivée et me priant, si vous n'y voyiez pas d'inconvénient, de convier ici toute sa famille. Je me suis conformé aux instructions.

LA COMTESSE
Pourquoi, mon Dieu ? Ça ne vous inquiète pas, tout ça ?

L'ABBE
Oh ! quant à cela, il n'y a aucune inquiétude à avoir, le ton de la lettre est enjoué; M. Maurice y parle d'un grand bonheur.

HUGUETTE
(qui, toujours à la même place, est occupée à gonfler un des pneus de sa machine.)
Ah ?

LA COMTESSE
(bien naïvement.)
Il a peut-être été nommé sergent.

LE MARQUIS
Ça m'étonnerait ! Il est au régiment depuis quinze jours ! à ce compte-là, il serait général à la fin de l'année. Ça ne va pas si vite.

LA COMTESSE
Mais alors, quoi ? quoi ?

L'ABBE
(avec un geste d'ignorance.)
Ah !

LE MARQUIS
Non, écoute, tu ne vas pas t'inquiéter, hein ? Puisqu'il s'agit d'un bonheur, on peut attendre.
(Tout en parlant il quitte LA COMTESSE et gagne jusqu'à HUGUETTE.)

EUGENIE
C'est évident.

LA COMTESSE
(avec un soupir de résignation.)
Oui.

L'ABBE
Mais oui ! mais oui !… (A EUGENIE.)
Et M. Heurteloup, madame ? J'ai appris avec joie qu'il était entièrement remis. Est-il vrai qu'il fasse aujourd'hui sa première sortie ?

EUGENIE
C'est exact, monsieur le Curé; vous allez même le voir d'une minute à l'autre. Je l'ai laissé en train de s'habiller et de fort méchante humeur.

L'ABBE
Ah !

EUGENIE
Au point qu'il vient d'avoir une colère après moi !

L'ABBE
Ah ?… Oh ! alors, il est tout à fait bien !

EUGENIE
Tout à fait !… Mais c'est égal, nous avons eu une rude alerte !

LA COMTESSE
En effet ! Et pendant plusieurs jours on a redouté la fièvre muqueuse.

EUGENIE
Mais heureusement, ça n'a été qu'une forte jaunisse.

L'ABBE
Ah ! tant mieux !

LE MARQUIS
(qui est descendu à l'extrême gauche sur les dernières paroles d'EUGENIE, pince-sans-rire.)
Une grosse émotion éprouvée à Paris qui lui a tourné la bile.

L'ABBE
Ce pauvre M. Heurteloup !

EUGENIE
Oh ! ne le plaignez pas ! C'est le ciel qui l'a puni. Aujourd'hui qu'il est sain et sauf, je déclare qu'il n'a eu que ce qu'il méritait ! Un homme, monsieur le Curé; à qui on aurait donné le bon Dieu sans confession et qui se débauchait avec des hétaïres.

L'ABBE
Non, ce n'est pas possible !

LE MARQUIS
(affectant le plus profond sérieux.)
Etes-vous bien sûre, Eugénie ?

EUGENIE
Si je suis sûre ! Il a avoué. Un peu plus il concubinait !

LE MARQUIS
(id.)
Non ?… Oh !… Heureusement que vous êtes arrivée à temps.

EUGENIE
Un jour de plus, il était trop tard !
(LE MARQUIS et LA COMTESSE, avec un sentiment différent.)

LE MARQUIS ET LA COMTESSE
Oh !

EUGENIE
Oh ! mais, maintenant, je l'ai à l'œil. D'ailleurs, je le défie bien d'aller courir la prétentaine avec la mesure que j'ai prise à son égard, pendant sa maladie, aussi bien, je dois le dire, pour son salut que pour sa pénitence !

LA COMTESSE
Ah ! mon Dieu ! quoi donc ?

EUGENIE
Moi !… (Bien catégoriquement.)
je l'ai voué au bleu !

TOUS
(ébahis.)
Non !
(A ce moment explosion de cris et de rires à la cantonade gauche et HEURTELOUP paraît se débattant contre une ribambelle de gamins qui le huent à qui mieux mieux.)

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