ACTE III - SCENE II



LES MEMES, HUGUETTE

HUGUETTE
(arrivant de gauche. Elle est à bicyclette et descend ainsi jusqu'à l'avant-scène. —)
Bonjour, monsieur le Curé. (Elle descend de bicyclette. )

L'ABBE
Ah ! Mademoiselle Huguette !…

JEAN-LOU
(essayant de s'esquiver sans être remarqué.)
Oh !

L'ABBE
(tout en déposant son casier à bouteilles sur le banc circulaire de l'arbre.)
Ah ! bien, justement… (Voyant JEAN-LOU qui cherche à s'esquiver et le rattrapant par son crochet avec le bec de corbin de sa canne.)
Eh ! là. ne t'en va donc pas, toi, là-bas.

JEAN-LOU
(tout gêné.)
Mais, monsieur l'abbé…

HUGUETTE
(tout en déposant sa bicyclette contre le mur du presbytère, un peu au-dessus du banc.)
J'arrive en avant-garde; la famille me suit.

L'ABBE
Parfait !… Tenez, mademoiselle Huguette, voici un petit gars qui n'ose pas vous dire qu'il a une surprise pour vous.

HUGUETTE
(descendant.)
Pour moi ?

L'ABBE
(faisant passer JEAN-LOU au 2 en le prenant par l'oreille.)
Allez, Jean-Lou.

JEAN-LOU
(tout honteux et se faisant un peu tirer.)
Oh ! non ! non !

L'ABBE
Comment, "non" ?

JEAN-LOU
(tenant toujours son verre enveloppé de ouate dans la main.)
C'est-à-dire… Oh !
Mademoiselle… c'est une bêtise, une façon de vous remercier… bien faiblement…

HUGUETTE
Et de quoi, mon Dieu ?

JEAN-LOU
Mais de… (Bien godiche.)
C'est moi le noyé, Mademoiselle.

HUGUETTE
(le regardant.)
Ah ! c'est vous que… (Elle baisse les yeux instinctivement.)

JEAN-LOU
(baissant la tète.)
C'est moi, oui, Mademoiselle… Jean-Lou, le vitrier…

HUGUETTE
Oh ! je vous demande pardon, je ne vous reconnaissais pas. C'est que… c'est la première fois que je vous vois… (Hésitant et baissant les yeux)
comme ça.

JEAN-LOU
(gêné.)
Oui, en effet…
(Ils restent un instant décontenancés, n'osant se regarder; à un moment donné leurs regards se rencontrent, ils rebaissent aussitôt les yeux.)

L'ABBE
(voyant leur embarras réciproque, jovialement.)
Eh ! bien, c'est le moment d'y aller de ton offrande. (Sur un ton un peu moqueur.)
"A ma sauveteuse, son sauveté".

JEAN-LOU
Oui, monsieur le Curé. (A HUGUETTE.)
Alors, voilà, Mademoiselle, si c'était un effet de votre bonté d'accepter ce modeste vase en souvenir de la chose…
(Il lui tend le verre sans oser la regarder.)

HUGUETTE
(prenant le verre sans regarder non plus JEAN-LOU.)
Oh ! vous êtes bien aimable, monsieur Jean-Lou.

JEAN-LOU
(id.)
Je l'ai gravé moi-même… pour vous.

HUGUETTE
(id.)
Pour moi ?

JEAN-LOU
(id.)
C'est pas bien beau.

HUGUETTE
(id.)
Oh ! c'est très joli.

JEAN-LOU
C'est simple.

HUGUETTE
Ça me touche profondément, monsieur Jean-Lou.

JEAN-LOU
Alors, vrai ! Mademoiselle, vous ne m'en voulez pas ?

HUGUETTE
Et de quoi, Monsieur Jean-Lou ?

JEAN-LOU
Mais… de m'être montré si impoli… par ma tenue ce jour-là. HUGUETTE.
Oh ! pouvez-vous dire !

JEAN-LOU
Si, si, je sais très bien que ce n'est pas comme ça qu'on se présente à une demoiselle… surtout qui n'est pas de votre monde.

HUGUETTE
Ce n'était pas de votre faute, monsieur Jean-Lou.

JEAN-LOU
Sûr que c'était pas ma faute ! Et il est évident que sur le moment on n'y a réfléchi ni l'un ni l'autre.

HUGUETTE
Oh ! non !

JEAN-LOU
Seulement, quand après ça on se rencontre, on a beau faire, on pense, on se rappelle… et on se trouve tout gêné.

HUGUETTE
C'est un peu vrai pourtant ce que vous dites là.

JEAN-LOU
Oh ! je le sens bien, allez.

HUGUETTE
Est-ce bête! Je vous aurais revu comme vous étiez la première fois, je ne sais pas, il me semble que ça m'aurait paru tout naturel.

JEAN-LOU
J'aurais tout de même pas osé.

HUGUETTE
Non, évidemment !… Aujourd'hui je vous revois comme ça… et, je ne peux pas dire pourquoi, j'ai comme un peu de honte… Ça me gêne.

JEAN-LOU
(hoche la tête, puis.)
C'est mon vêtement qui me fait remarquer. HUGUETTE. —
Oh ! mais ça passera.

JEAN-LOU
Faut l'espérer !… Au revoir, Mademoiselle.

HUGUETTE
Au revoir, monsieur Jean-Lou.

JEAN-LOU
(fait mine de s'en aller, puis s'arrêtant aussitôt.)
Et quand on se rencontrera… des fois… eh ! bien, alors, v'là tout ! on ne se regardera pas, mais on saura que le cœur y est.

HUGUETTE
Oui, monsieur Jean-Lou.

JEAN-LOU
C'est ça, oui. (Brusquement, changeant de ton.)
Au revoir, monsieur le Curé.

L'ABBE
Au revoir, Jean-Lou. (JEAN-LOU sort rapidement par la droite. )
Brave petit gars, tout de même.

HUGUETTE
Je crois que j'ai été stupide.

L'ABBE
Mais non, mais non, ma chère enfant.

HUGUETTE
Si ! si ! et je suis capable de lui avoir fait de la peine… Ah ! que c'est bête d'être bête comme ça ! …
(Elle remonte vers sa bicyclette et range dans une sacoche, pendant ce qui suit, le verre que lui a donné Jean-Lou.)

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