ACTE II - SCENE II



LES MEMES, ROGER, HEURTELOUP, LA CHOUTE

ROGER
(paraissant au fond et se rangeant à droite de la porte.)
Monsieur et madame Heurteloup !
(Pendant ce qui suit il ramasse les tasses qui traînent et les range sur le plateau qu'il emporte aussitôt.)

HEURTELOUP et LA CHOUTE
(passant leurs deux tètes dans l'embrasure de la porte.)
Bonjour, les enfants !

ETIENNETTE
(désappointée.)
Vous !

PAULETTE
(debout dos au public non loin du tabouret de gauche.)
Heurteloup !

CLEO
La Choute !

GUERASSIN
(sur un ton de déception affecté.)
Ah !… Ce n'est que vous !

HEURTELOUP
(qui est allé embrasser ETIENNETTE puis CLEO, descendant par la gauche vers PAULETTE et tout en marchant.)
Comment : "Ce n'est que nous" ?
(Il embrasse PAULETTE.)

LA CHOUTE
(qui est allée embrasser ETIENNETTE et CLEO, descendant vers PAULETTE par la droite du canapé, ce qui la fait se croiser avec HEURTELOUP qui va serrer la main à GUERASSIN)
C'est encore gentil !…
(Elle embrasse PAULETTE.)

ETIENNETTE
(descendant par le milieu de la scène.)
Ne faites pas attention : c'est son genre d'esprit.

GUERASSIN
(avec un geste de désinvolture.)
C'est mon genre.

CLEO
(qui est descendue près de la cheminée.)
Ah, çà ! vous êtes à Paris, vous autres ?

LA CHOUTE et HEURTELOUP
(ensemble et vivement.)
Non, non !

CLEO
Comment : "non, non" ?

HEURTELOUP
(sur un ton dévot.)
Je suis actuellement en retraite au monastère de
Concarneau, où je prépare mon jubilé.

TOUS
Non ?

LA CHOUTE
(dévotement, les mains croisées sur la poitrine.)
Et moi aussi.

ETIENNETTE
C'est du joli !

PAULETTE
Et ta femme a donné là-dedans ?

HEURTELOUP
Ma femme, tu parles !… Elle est ici avec la famille à l'occasion de l'entrée de notre neveu au régiment.

GUERASSIN
Oui, oui… le petit séminariste.

ETIENNETTE
(très simplement.)
En effet, c'est demain qu'il entre au corps.

HEURTELOUP
Ah ! tu sais ?

GUERASSIN
Comment, si elle sait !

HEURTELOUP
Alors j'ai trouvé ce truc pour me donner campo ! et surtout, défense de m'écrire, de m'envoyer mes lettres : tout au jubilé ! Je suis retiré du monde! Comme ça, c'est un mois de bon ! Ohé ! Ohé !
(Il s'assied sur le tabouret de gauche.)

LA CHOUTE
Et ce qu'on jubile, ouh ! mon Totor !
(Elle lui saute sur les épaules.)

HEURTELOUP
(gesticulant des épaules pour se dégager de son étreinte.)
Allons, voyons ! Ah ! celle-là, quand elle n'est pas sur mon dos, sur mes reins ou sur mes épaules !…

GUERASSIN
(jovialement.)
C'est que tu te retournes.
(On rit.)

LA CHOUTE
(quittant HEURTELOUP et sur un ton scandalisé que dément une envie de rire mal dissimulée.)
Ah ! dis donc, toi ! si tu étais convenable !

HEURTELOUP
(se levant et passant devant LA CHOUTE pour aller à ETIENNETTE.)
Au fait, à propos de convenances, qu'est-ce qu'a donc Musignol? Nous venons de le croiser dans la rue. Je lui ai dit : "Bonjour, Musignol. " Il m'a répondu : "… la garde meurt et ne se rend pas. "

LA CHOUTE
(un genou sur le tabouret quitté par HEURTELOUP.)
Comment, pas du tout ! Il t'a répondu : m…

HEURTELOUP
(vivement, lui mettant la main sur la bouche; et presque crié :)
Je sais ! (Sur un ton de voix plus pondéré.)
Mais c'est comme ça que ça se dit dans les salons.

LA CHOUTE
(bien naïvement.)
Oh !… comme c'est plus long !
(On rit.)

GUERASSIN
Ah ! il t'a dit ?… Eh bien, ça ne m'étonne pas ! ce pauvre Musignol ! campo aussi; mais lui pas de son propre gré. Etiennette vient de rompre.

LA CHOUTE et HEURTELOUP
Non ?

GUERASSIN
Et en cinq sec encore !

ETIENNETTE
(remontant jusqu'à la petite table près du paravent.)
(Avec humeur.)
Mais qu'est-ce que ça a d'intéressant ?

HEURTELOUP
Ah ! bien, je comprends alors.

GUERASSIN
(se rapprochant d'HEURTELOUP.)
Et pourquoi, je vous le demande ?

ETIENNETTE
(se précipitant 6 sur GUERASSIN 5.)
Allons, voyons Guérassin!

GUERASSIN
(l'écartant du bras gauche.)
Si ! si ! il faut qu'ils sachent.

ETIENNETTE
(essayant de le faire taire en lui mettant la main sur la bouche.)
Non !… non !

GUERASSIN
(se débattant contre son étreinte et dominant la voix d'ETIENNETTE qui pendant cette phrase pique autant qu'elle peut des "non !… non !… Ce n'est pas vrai ! ")
C'est parce que madame est amoureuse de ton neveu, le jeune Plounidec.

HEURTELOUP, LA CHOUTE
(ahuris.)
Non ?

ETIENNETTE
(furieuse.)
Ce n'est pas vrai !

GUERASSIN, CLEO, PAULETTE
Si, si !… c'est vrai, c'est vrai !…

ETIENNETTE
(très vexée allant s'asseoir sur le tabouret de droite.)
Vous êtes stupides !

HEURTELOUP
(se tordant.)
Maurice ? ah ! ah ! Elle est bien bonne.

LA CHOUTE
(se laissant tomber sur le tabouret de gauche.)
Le petit séminariste ! ah ! ah ! je me tords.
(ENSEMBLE :)

GUERASSIN
Hein ? N'est-ce pas qu'elle est drôle ?

CLEO
Croyez-vous, hein ?

PAULETTE
Ah ! la pauvre Etiennette !
(Tous les cinq se tordent de rire.)

ETIENNETTE
(après les avoir laissé rire un instant en les considérant d'un air de profonde pitié.)
Non, mais je vous en prie !… Voulez-vous que j'appelle les domestiques, le concierge ?

CLEO
(un genou sur le tabouret sur lequel LA CHOUTE est elle-même assise.)
Oh ! bien, quoi ! du moment qu'il y a de l'amour au fond d'une chose, il y a pas de mal.

ETIENNETTE
(dépitée.)
Je ne vous dis pas ! mais enfin ça ne regarde que moi.

PAULETTE
C'est égal, une soutane, moi, ça me jetterait un froid.

CLEO
Pourquoi ? c'est toujours un homme qui est dedans. Tiens ! moi, j'en ai connu un comme ça qui avait voulu se faire prêtre.

TOUS
(étonnés.)
Ah !

CLEO
C'était un juif !

TOUS
Quoi ?

CLEO
Oui, enfin, un prêtre juif.

GUERASSIN
Ah ! un rabbin !

CLEO
(affirmative.)
C'est ça !… (Changeant de ton.)
Seulement après, ça ne lui avait plus dit. Alors il était entré à la Bourse.

GUERASSIN
(avec bonne humeur.)
Oui !… monsieur voulait un temple !

CLEO
Eh ! bien, vous savez, mes enfants, c'était un homme comme tout le monde, à peu de chose près.

GUERASSIN
(s'inclinant gouailleur.)
Voyez-vous ça !…

CLEO
(résumant.)
Tout ça c'est pour dire qu'un homme n'est jamais qu'un homme.
(Elle remonte au coin droit du canapé.)

HEURTELOUP
(gagnant le 5, vers ETIENNETTE.)
Ah ! non, mais c'est égal, Maurice ! Ah ! ma pauvre Etiennette, celui qui le dégourdira celui-là !

ETIENNETTE
(sur un ton sans réplique.)
Je n'ai pas l'intention de le dégourdir.

GUERASSIN
Mais non ! c'est ce qu'il y a de superbe : foin de la chair ! l'amour psychique ! le collage blanc !… Voilà ce qu'elle rêve !

LA CHOUTE
Ah ! ben !…

HEURTELOUP
Mon Dieu ! à ce compte-là, on peut s'entendre. Mais autrement ! ah ! la ! la ! Mais tenez, voilà Maurice soldat; je parie qu'il sortira du régiment aussi novice qu'il y entre. Il le quittera gradé… et vierge.

LA CHOUTE
(avec une conviction comique.)
Sortir vierge d'un régiment ! oh !… moi je pourrais pas !

GUERASSIN
(moqueur.)
Tiens ! l'autre.
(On rit.)

HEURTELOUP
Assez, la Choute ! je suis là.
(On sonne.)

ETIENNETTE
(se dressant tout d'une pièce.)
On a sonné !
(Vivement, elle court vers la porte. Dans son mouvement précipité, elle a été donner contre HEURTELOUP qui lui barre le chemin, le dos tourné; elle le fait pivoter et gagne le fond, en proie à la même agitation que précédemment.)

GUERASSIN
Tenez, là ! regardez-la ! le boston qui recommence.

ETIENNETTE
(au fond.)
Eh ! bien, quoi ? je ne peux plus bouger ? c'est extraordinaire, ma parole !
(HEURTELOUP va s'asseoir sur le tabouret de droite.)

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