ACTE DEUXIÈME - SCÈNE X



(FERDINAND PAULINE ; elle pousse les verrous.)

PAULINE
Es-tu marié ?

FERDINAND
Quelle plaisanterie !… Ne te l'aurais-je pas dit ?

PAULINE
Ah ! (Elle tombe dans un fauteuil, puis à genoux.)
Sainte Vierge, quel vœu vous faire ? (Elle embrasse la main de Ferdinand.)
Et toi, sois mille fois béni.

FERDINAND
Mais qui t'a dit une pareille folie ?

PAULINE
Ma belle-mère.

FERDINAND
Elle sait tout ! ou si elle ne le sait pas, elle va nous espionner et tout découvrir ; car les soupçons, chez les femmes comme elle, c'est la certitude !… Écoute-moi, Pauline, les instants sont précieux. C'est madame de Grandchamp qui m'a fait venir dans cette maison.

PAULINE
Et pourquoi !

FERDINAND
Parce qu'elle m'aime.

PAULINE
Quelle horreur !… Eh bien ! et mon père ?

FERDINAND
Elle m'aimait avant de se marier.

PAULINE
Elle t'aime ; mais toi, l'aimes-tu ?

FERDINAND
Serais-je resté dans cette maison ?

PAULINE
Elle t'aime… encore ?

FERDINAND
Malheureusement toujours ! Elle a été, je dois te l'avouer, ma première inclination ; mais je la hais aujourd'hui de toutes les puissances de mon âme, et je cherche pourquoi. Est-ce parce que je t'aime, et que tout véritable et pur amour est de sa nature exclusif ? est-ce que la comparaison d'un ange de pureté tel que toi et d'un démon comme elle me pousse autant à la haine du mal qu'à l'amour de toi, mon bien, mon bonheur, mon joli trésor ? je ne sais. Mais je la hais, et je t'aime à ne pas regretter de mourir, si ton père me tuait ; car une de nos causeries, une heure passée là, près de toi, me semble, même après qu'elle s'est écoulée, toute ma vie.

PAULINE
Oh ! parle, parle toujours !… tu m'as rassurée. Après t'avoir entendu, je te pardonne le mal que tu m'as fait en m'apprenant que je ne suis pas ton premier, ton seul amour, comme tu es le mien… C'est une illusion perdue, que veux-tu ? Ne te fâche pas ? Les jeunes filles sont folles, elles n'ont d'ambition que dans leur amour, et elles voudraient avoir le passé comme elles ont l'avenir de celui qu'elles aiment ! Tu la hais ! voilà pour moi plus d'amour dans une parole que toutes les preuves que tu m'en a données en deux ans. Si tu savais avec quelle cruauté cette marâtre m'a mise à la question ! Je me vengerai !

FERDINAND
Prends garde ! elle est bien dangereuse ! Elle gouverne ton père ! elle est femme à livrer un combat mortel !

PAULINE
Mortel ! c'est ce que je veux.

FERDINAND
De la prudence, ma chère Pauline Nous voulons être l'un à l'autre, n'est-ce pas ?… eh bien ! mon amie, le procureur du roi est d'avis que, pour triompher des difficultés qui nous séparent, il faut avoir la force de nous quitter pendant quelque temps.

PAULINE
Oh ! donne-moi deux jours, et j'aurai tout obtenu de mon père.

FERDINAND
Tu ne connais pas madame de Grandchamp. Elle a trop fait pour ne pas te perdre, et elle osera tout. Aussi ne partirai-je pas sans te donner des armes terribles contre elle.

PAULINE
Donne, donne !

FERDINAND
Pas encore. Promets-moi de n'en faire usage que si ta vie est menacée, car c'est un crime contre la délicatesse que je commettrai ! Mais il s'agit de toi.

PAULINE
Qu'est-ce donc ?

FERDINAND
Les lettres qu'elle m'a écrites avant son mariage et quelques-unes après… Je te les remettrai demain. Pauline, ne les lis pas ! jure-le moi par notre amour, par notre bonheur ! Il suffira, si la nécessité le voulait absolument, qu'elle sache que tu les as en ta possession, et tu la verras trembler, ramper à tes pieds ; car alors toutes ses machinations tomberont. Mais que ce soit ta dernière ressource, et surtout cache-les bien !

PAULINE
Quel duel !

FERDINAND
Terrible ! Maintenant, Pauline, garde avec courage, comme tu as fait, le secret de notre amour ; attends pour l'avouer qu'il ne puisse se nier.

PAULINE
Ah ! pourquoi ton père a-t-il trahi l'empereur ! Mon Dieu, si les pères savaient combien leurs enfants sont punis de leurs fautes, il n'y aurait que de braves gens !

FERDINAND
Peut-être est-ce notre dernière joie que ce triste entretien ?

PAULINE ( à part.)
Je le rejoindrai… (Haut.)
Tiens, je ne pleure plus, je suis courageuse ! Dis ? ton ami sera dans le secret de ton asile ?

FERDINAND
Eugène sera notre intermédiaire.

PAULINE
Et ces lettres ?

FERDINAND
Demain ! demain !… Mais où les cacheras-tu ?

PAULINE
Je les garderai sur moi.

FERDINAND
Eh bien ! adieu.

PAULINE
Non, pas encore.

FERDINAND
Un instant peut nous perdre…

PAULINE
Ou nous unir pour la vie… Tiens, laisse-moi te reconduire, je ne suis tranquille que lorsque je te vois dans le jardin. Viens, viens.

FERDINAND
Un dernier coup d'œil à cette chambre de jeune fille où tu penseras à moi… où tout parle de toi.
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