ACTE DEUXIÈME - SCÈNE III



(Les mêmes, LE JUGE D'INSTRUCTION, CHAMPAGNE, BAUDRILLON.)

LE JUGE ( salue.)
Monsieur le procureur du roi, voici M. Baudrillon le pharmacien.

RAMEL
M. Baudrillon n'a pas vu l'inculpé ?

LE JUGE
Non, il arrive, et le gendarme qui l'est allé chercher ne l'a pas quitté.

RAMEL
Nous allons savoir la vérité ! faites approcher M. Baudrillon et l'inculpé.

LE JUGE
Approchez, monsieur Baudrillon, (à Champagne)
et vous aussi.

RAMEL
Monsieur Baudrillon, reconnaissez-vous cet homme pour celui lui vous aurait acheté de l'arsenic, il y a deux jours ?

BAUDRILLON
C'est bien lui !

CHAMPAGNE
N'est-ce pas, monsieur Baudrillon, que je vous ai dit que c'était pour les souris qui mangeaient tout, jusque dans la maison, et que je venais chercher cela pour madame ?

LE JUGE
Vous l'entendez, Madame? Voici quel est son système: il prétend que vous l'avez envoyé chercher cette substance vous-même, et qu'il vous a remis le paquet tel que M. Baudrillon le lui a donné.

GERTRUDE
C'est vrai, Monsieur.

RAMEL
Avez-vous, Madame, fait déjà usage de cet arsenic ?

GERTRUDE
Non, Monsieur.

LE JUGE
Vous pouvez alors nous représenter le paquet livré par M. Baudrillon le paquet doit porter son cachet, et s'il le reconnaît pour être sain et entier, les charges si graves qui pèsent sur votre contre-maître disparaîtraient en partie. Nous n'aurions plus qu'à à attendre le rapport du médecin qui fait l'autopsie.

GERTRUDE
Le paquet, Monsieur, n'a pas quitté le secrétaire de ma chambre à coucher.
(Elle sort.)

CHAMPAGNE
Ah! mon général, je suis sauvé!

LE GÉNÉRAL
Pauvre Champagne!

RAMEL
Général, nous serons très-heureux d'avoir à constater l'innocence de votre contre-maître au contraire de vous, nous sommes enchantés d'être battus.

GERTRUDE ( revenant.)
Voilà, Messieurs.
(Le juge examine avec Baudrillon et Ramel.)

BAUDRILLON (met ses lunettes.)
C'est intact, Messieurs, parfaitement intact; voilà mon cachet deux fois, sain et entier.

LE JUGE
Serrez bien cela, Madame, car depuis quelque temps les cours d'assises n'ont à juger que des empoisonnements.

GERTRUDE
Vous voyez, Monsieur, il était dans mon secrétaire, et c'est moi seule, ou le général, qui en avons la clef. (Elle rentre dans la chambre.)

RAMEL
Général, nous n'attendrons pas le rapport des experts. La principale charge, qui, vous en conviendrez, était très-grave, car toute la ville en parlait, vient de disparaître, et comme nous croyons à la science et à l'intégrité du docteur Vernon (Gertrude revient)
, Champagne, vous êtes libre. (Mouvement de joie chez tout le monde.)
Mais vous voyez, mon ami, à quels fâcheux soupçons on est exposé, quand on fait mauvais ménage.

CHAMPAGNE
Mon magistrat, demandez à mon général si je ne suis pas un agneau ; mais ma femme, Dieu veuille lui pardonner, était la plus mauvaise qui ait été fabriquée… un ange n'aurait pas pu y tenir. Si je l'ai quelquefois remise à la raison, le mauvais quart d'heure que vous venez de me faire passer en est une rude punition, mille noms de noms !… Être pris pour un empoisonneur, et se savoir innocent, se voir entre les mains de la justice…
(Il pleure.)

LE GÉNÉRAL
Eh bien ! te voilà justifié.

NAPOLÉON
Papa, en quoi c'est-il fait, la justice ?

LE GÉNÉRAL
Messieurs, la justice ne devrait pas commettre de ces sortes d'erreurs.

GERTRUDE
Elle a toujours quelque chose de fatal, la justice !… Et on causera toujours en mal pour ce pauvre homme de votre arrivée ici.

RAMEL
Madame, la justice criminelle n'a rien de fatal pour les innocents. Vous voyez que Champagne a été promptement mis en liberté. (En regardant Gertrude.)
Ceux qui vivent sans reproches, qui n'ont que des passions nobles, avouables, n'ont jamais rien à redouter de la justice.

GERTRUDE
Monsieur, vous ne connaissez pas les gens de ce pays-ci… Dans dix ans, on dira que Champagne a empoisonné sa femme, que la justice est venue… et que sans notre protection…

LE GÉNÉRAL
Allons, allons, Gertrude… ces messieurs ont fait leur devoir. (Félix prépare sur un guéridon, au fond à gauche, ce qu'il faut pour le café.)
Messieurs, puis-je vous offrir une tasse de café ?

LE JUGE
Merci, général ; l'urgence de cette affaire nous a fait partir à l'improviste, et ma femme m'attend pour dîner à Louviers.
(Il va au perron causer avec le médecin.)

LE GÉNÉRAL (à Ramel.)
Et vous, Monsieur, l'ami de Ferdinand ?

RAMEL
Ah ! vous avez en lui, général, le plus noble cœur, le plus probe garçon et le plus charmant caractère que j'aie jamais rencontrés.

PAULINE
Il est bien aimable, ce procureur du roi !

GODARD
Et pourquoi ? Serait-ce parce qu'il fait l'éloge de M. Ferdinand ?… Tiens, tiens, tiens !

GERTRUDE ( à Ramel.)
Toutes les fois, Monsieur, que vous aurez quelques instants à vous, venez voir M. de Charny. (Au général.)
N'est-ce pas, mon ami, nous en profiterons ?

LE JUGE (il revient du perron.)
M. de la Grandière, notre médecin, a reconnu, comme le docteur Vernon, que le décès a été causé par une attaque de choléra asiatique. Nous vous prions, madame la comtesse, et vous, monsieur le comte, de nous excuser d'avoir troublé pour un moment votre charmant et paisible intérieur.
(Le général reconduit le juge.)

RAMEL (à Gertrude sur le devant de la scène.)
Prenez garde ! Dieu ne protège pas des tentatives aussi téméraires que la vôtre. J'ai tout deviné. Renoncez à Ferdinand, laissez-lui la vie libre, et contentez-vous d'être heureuse femme et heureuse mère. Le sentier que vous suivez conduit au crime.

GERTRUDE
Renoncer à lui, mais autant mourir !

RAMEL (à part.)
Allons ! je le vois, il faut enlever d'ici Ferdinand
(Il fait un signe à Ferdinand, le prend par le bras et sort avec lui.)

LE GÉNÉRAL
Enfin, nous en voilà débarrassés ! (À Gertrude.)
Fais servir le café.

GERTRUDE
Pauline, sonne pour le café.
(Pauline sonne.)
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