ACTE PREMIER - SCÈNE V



(Les mêmes, LE DOCTEUR VERNON.)

LE GÉNÉRAL
Eh bien ?

VERNON
J'en étais sûr, Mesdames. (Il les salue.)
Règle générale, quand un homme bat sa femme, il se garde de l'empoisonner, il y perdrait trop. On tient à sa victime.

LE GÉNÉRAL (à Godard.)
Il est charmant !

GODARD
Il est charmant !

LE GÉNÉRAL (au docteur, en lui présentant Godard.)
M. Godard.

GODARD
De Rimonville.

VERNON (le regarde et se mouche. Continuant.)
S'il la tue, c'est par erreur, pour avoir tapé trop fort ; et il est au désespoir ; tandis que Champagne est assez naïvement enchanté d'être naturellement veuf. En effet, sa femme est morte du choléra. C'est un cas assez rare, mais qui se voit quelquefois, du choléra asiatique, et je suis bien aise de l'avoir observé ; car, depuis la campagne d'Égypte, je ne l'avais plus vu… Si l'on m'avait appelé, je l'aurais sauvée.

GERTRUDE
Ah ! quel bonheur !… Un crime dans notre établissement, si paisible depuis douze ans, cela m'aurait glacée d'effroi.

LE GÉNÉRAL
Voilà l'effet des bavardages. Mais es-tu bien certain, Vernon ?

VERNON
Certain ! Belle question à faire à un ancien chirurgien en chef qui a traité douze armées françaises de 1793 à 1815, qui a pratiqué en Allemagne, en Espagne, en Italie, en Russie, en Pologne, en Égypte ; à un médecin cosmopolite !

LE GÉNÉRAL (il lui frappe le ventre.)
Charlatan, va !… il a tué plus de monde que moi, dans tous ces pays-là !

GODARD
Ah çà ! mais qu'est-ce qu'on disait donc ?

GERTRUDE
Que ce pauvre Champagne, notre contre-maître, avait empoisonné sa femme.

VERNON
Malheureusement, ils avaient eu la veille une conversation où ils s'étaient trouvés manche à manche… Ah ! ils ne prenaient pas exemple sur leurs maîtres.

GODARD
Un pareil bonheur devrait être contagieux ; mais les perfections que madame la comtesse nous fait admirer sont si rares.

GERTRUDE
A-t-on du mérite à aimer un être excellent et une fille comme celle-là ?…

LE GÉNÉRAL
Allons, Gertrude, tais-toi !… cela ne se dit pas devant le monde.

VERNON (à part.)
Cela se dit toujours ainsi, quand on a besoin que le monde le croie.

LE GÉNÉRAL (à Vernon.)
Que gromelles-tu là ?

VERNON (à part.)
Je dis que j'ai soixante-sept ans, que je suis votre cadet, et que je voudrais être aimé comme cela… (À part.)
Pour être sûr que c'est de l'amour.

LE GÉNÉRAL (au docteur.)
Envieux ! (À sa femme.)
Ma chère enfant, je n'ai pas pour te bénir la puissance de Dieu, mais je crois qu'il me la prête pour t'aimer.

VERNON
Vous oubliez que je suis médecin, mon cher ami ; c'est bon pour un refrain de romance, ce que vous dites à madame.

GERTRUDE
Il y a des refrains de romance, docteur, qui sont très-vrais.

LE GÉNÉRAL
Docteur, si tu continues à taquiner ma femme, nous nous brouillerons : un doute sur ce chapitre est une insulte.

VERNON
Je n'ai aucun doute. (Au général.)
Seulement, vous avez aimé tant de femmes avec la puissance de Dieu, que je suis en extase, comme médecin, de vous voir toujours si bon chrétien, à soixante-dix ans. (Gertrude se dirige doucement vers le canapé où est assis le docteur.)

LE GÉNÉRAL
Chut ! les dernières passions, mon ami, sont les plus puissantes.

VERNON
Vous avez raison. Dans la jeunesse, nous aimons avec toutes nos forces qui vont en diminuant, tandis que dans la vieillesse nous aimons avec notre faiblesse qui va, qui va grandissant.

LE GÉNÉRAL
Méchant philosophe !

GERTRUDE ( à Vernon.)
Docteur, pourquoi, vous, si bon, essayez-vous de jeter des doutes dans le cœur de Grandchamp ?… Vous savez qu'il est d'une jalousie à tuer sur un soupçon. Je respecte tellement ce sentiment que j'ai fini par ne plus voir que vous, M. le maire et M. le curé. Voulez-vous que je renonce encore à votre société, qui nous est si douce, si agréable ?… Ah ! voilà Napoléon.

VERNON (à part.)
Une déclaration de guerre !… Elle a renvoyé tout le monde, elle me renverra.

GODARD
Docteur, vous, qui êtes presque de la maison, dites-moi donc ce que vous pensez de mademoiselle Pauline. (Le docteur se lève, le regarde, se mouche et gagne le fond. On entend sonner pour le dîner.)
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