ACTE TROISIÈME - SCÈNE XIV
(VERNON GERTRUDE.)
GERTRUDE
Ah ! je les ai… je vais les brûler dans ma chambre… (Elle rencontre Vernon.)
Ah !
VERNON
Madame, j'ai renvoyé tout le monde.
GERTRUDE
Et pourquoi ?
VERNON
Pour que nous soyons seuls à nous expliquer.
GERTRUDE
Nous expliquer !… de quel droit, vous, vous le parasite de la maison, prétendez-vous avoir une explication avec la comtesse de Grandchamp ?
VERNON
Parasite, moi ! Madame, j'ai dix mille livres de rente outre ma pension ; j'ai le grade de général, et ma fortune sera léguée aux enfants de mon vieil ami ! Moi, parasite ! Oh ! mais je ne suis pas seulement ici comme ami, j'y suis comme médecin : vous avez versé des gouttes de Rousseau dans le thé de Pauline.
GERTRUDE
Moi ?
VERNON
Je vous ai vue, et j'ai la tasse.
GERTRUDE
Vous avez la tasse ?… je l'ai lavée.
VERNON
Oui, la mienne que je vous ai donnée ! Ah ! je ne lisais pas le journal, je vous observais.
GERTRUDE
Oh ! Monsieur, quel métier !
VERNON
Avouez que ce métier vous est en ce moment bien salutaire, car vous allez peut-être avoir besoin de moi, si, par l'effet de ce breuvage Pauline se trouvait gravement indisposée.
GERTRUDE
Gravement indisposée… mon Dieu ! docteur, je n'ai mis que quelques gouttes.
VERNON
Ah ! vous avez donc mis de l'opium dans son thé.
GERTRUDE
Docteur… vous êtes un infâme !
VERNON
Pour avoir obtenu de vous cet aveu ?… Dans le même cas, toutes les femmes me l'ont dit, j'y suis accoutumé. Mais ce n'est pas tout, et vous avez bien d'autres confidences à me faire.
GERTRUDE (à part.)
Un espion ! il ne me reste plus qu'à m'en faire un complice. (Haut.)
Docteur, vous pouvez m'être trop utile pour que nous restions brouillés ; dans un moment, je vais vous répondre avec franchise.
(Elle entre dans sa chambre, et s'y renferme.)
VERNON
Le verrou mis ! Je suis pris, joué ! Je ne pouvais pas, après tout, employer la violence… Que fait-elle ?… elle va cacher son flacon d'opium… On a toujours tort de rendre à un homme les services que mon vieil ami, ce pauvre général, a exigé de moi… Elle va m'entortiller… Ah ! la voici.
GERTRUDE (à part.)
Brûlées !… Plus de traces… je suis sauvée !… (Haut.)
Docteur !
VERNON
Madame ?
GERTRUDE
Ma belle-fille Pauline, que vous croyez être une fille candide, un ange, s'était emparée lâchement, par un crime, d'un secret dont la découverte compromettait l'honneur, la vie de quatre personnes.
VERNON
Quatre. (À part.)
Elle, le général… ah ! son fils, peut-être… et l'inconnu.
GERTRUDE
Ce secret, sur lequel elle est forcée de se taire, quand même il s'agirait de sa vie à elle…
VERNON
Je n'y suis plus.
GERTRUDE
Eh bien ! les preuves de ce secret sont anéanties ! Et vous, docteur, vous, qui nous aimez, vous seriez aussi lâche, aussi infâme qu'elle… plus même, car vous êtes un homme, vous n'avez pas pour excuse les passions insensées de la femme ! vous seriez un monstre, si vous faisiez un pas de plus dans la voie où vous êtes…
VERNON
L'intimidation ! Ah ! Madame, depuis qu'il y a des sociétés, ce que vous semez n'a fait lever que des crimes.
GERTRUDE
Eh ! il y a quatre existences en péril, songez-y. (À part.)
Il revient… (Haut.)
Aussi, forte de ce danger, vous déclaré-je que vous m'aiderez à maintenir la paix ici, que tout à l'heure vous irez chercher ce qui peut faire cesser le sommeil de Pauline. Et ce sommeil, vous l'expliquerez vous-même, au besoin, au général. Puis, vous me rendrez la tasse, n'est-ce pas, car vous me la rendrez ? Et à chaque pas que nous ferons ensemble, eh bien ! je vous expliquerai tout.
VERNON
Madame !
GERTRUDE
Allez donc ! le général peut revenir.
VERNON (à part.)
Je te tiens toujours ! j'ai une arme contre toi, et…
(Il sort.)