ACTE DEUXIÈME - SCÈNE VII
(LE GÉNÉRAL PAULINE.)
LE GÉNÉRAL (à part.)
Confesser ma fille ! Je suis tout à fait impropre à cette manœuvre ! C'est elle qui me confessera. (Haut.)
Pauline, viens là. (Il la prend sur ses genoux.)
Bien, ma petite chatte, crois-tu qu'un vieux troupier comme moi ne sache pas ce que signifie la résolution de rester fille… Cela veut dire, dans toutes les langues, qu'une jeune personne veut se marier, mais… à quelqu'un qu'elle aime.
PAULINE
Papa, je te dirais bien quelque chose, mais je n'ai pas confiance en toi.
LE GÉNÉRAL
Et pourquoi cela, Mademoiselle ?
PAULINE
Tu dis tout à ta femme.
LE GÉNÉRAL
Et tu as un secret de nature à ne pas être dit à un ange, à une femme qui t'a élevée, à ta seconde mère !
PAULINE
Oh ! si tu te fâches, je vais aller me coucher… Je croyais, moi, que le cœur d'un père devait être un asile sûr pour une fille.
LE GÉNÉRAL
Oh ! câline ! Allons, pour toi je vais me faire doux.
PAULINE
Oh ! que tu es bon ! Eh bien ! si j'aimais le fils d'un de ceux que tu maudis ?
LE GÉNÉRAL (il se lève brusquement et repousse sa fille.)
Je te maudirais !
PAULINE
En voilà de la douceur, là !
(Gertrude paraît.)
LE GÉNÉRAL
Mon enfant, il est des sentiments qu'il ne faut jamais éveiller en moi ; tu le sais, c'est ma vie. Veux-tu la mort de ton père ?
PAULINE
Oh !
LE GÉNÉRAL
Chère enfant ! j'ai fait mon temps… Tiens, mon sort est à envier près de toi, près de Gertrude. Eh bien ! quelque douce et charmante que soit mon existence, je la quitterais sans regret si, la quittant, je te rendais heureuse ; car nous devons le bonheur à ceux à qui nous avons donné la vie.
PAULINE (voit la porte entre-bâillée.)
Ah ! elle écoute. (Haut.)
Mon père, il n'en est rien, rassurez-vous ! Mais enfin, voyons… Si cela était et que ce fût un sentiment si violent que j'en dusse mourir ?
LE GÉNÉRAL
Il faudrait ne m'en rien dire, ce serait plus sage, et attendre ma mort. Et encore ! s'il n'y a rien de plus sacré, de plus aimé, après Dieu et la patrie, pour les pères, que leurs enfants, les enfants, à leur tour, doivent tenir pour saintes les volontés de leurs pères, et ne jamais leur désobéir, même après leur mort. Si tu n'étais pas fidèle à cette haine, je sortirais, je crois, de mon cercueil pour te maudire.
PAULINE (elle embrasse son père.)
Oh ! méchant ! méchant ! Eh bien ! je saurai maintenant si tu es discret… Jure-moi sur ton honneur de ne pas dire un mot de ceci.
LE GÉNÉRAL
Je te le promets ! Mais quelle raison as-tu donc de te défier de Gertrude ?
PAULINE
Tu ne me croirais pas.
LE GÉNÉRAL
Ton intention est-elle de tourmenter ton père ?
PAULINE
Non… À quoi tiens-tu plus, à ta haine contre les traîtres ou à ton honneur?
LE GÉNÉRAL
À l'un comme à l'autre, c'est le même principe.
PAULINE
Eh bien! si tu manques à l'honneur en manquant à ton serment, tu pourras manquer à ta haine. Voilà tout ce que je voulais savoir!
LE GÉNÉRAL
Si les femmes sont angéliques, elles ont aussi quelque chose d'infernal. Dites-moi qui souffle de pareilles idées à une fille innocente comme la mienne?… Voilà comme elles nous mènent par le…
PAULINE
Bonne nuit, mon père.
LE GÉNÉRAL
Hum! méchante enfant!
PAULINE
Sois discret, ou je t'amène un gendre à te faire frémir.
(Elle rentre chez elle.)