ACTE V - SCENE V



LES MEMES, ARNOLD, puis LA DUCHESSE

LE DUC
(voyant entrer ARNOLD, avec nerfs.)
Vous ! quoi ? Qu'est-ce que vous voulez ?
Allez-vous-en !

ARNOLD
Mais, Excellence, c'est madame la Duchesse qui demande Votre Excellence.

LE DUC
La Duchesse, quoi ? Quelle Duchesse ?

ARNOLD
Mais Madame la Duchesse à Monsieur.

LE DUC
Comment "ma Duchesse ? " Qu'est-ce que vous dites, idiot ?… (ARNOLD accueille l'épithète avec le sourire d'un homme qui commence à y être habitué. LE DUC, indiquant la chambre de gauche : )
Puisqu'elle est là, ma duchesse ! Comment voulez-vous ?…

ARNOLD
(sur un ton supérieurement détaché.)
Je suis désolé de contredire Son Excellence !
Mais madame la Duchesse ne peut pas être là, puisqu'elle est là.
(Il indique le vestibule.)

LE DUC
Ah ! par Dieu le père, il y a un de nous deux qui est fou !

ARNOLD
(sans avoir l'air d'y toucher.)
Ce n'est pas moi.

LE DUC
C'est trop fort ! Eh bien ! donc, eh bien ! voyons, faites entrer la Duchesse.
(Il gagne l'extrême gauche du salon.)

ARNOLD
(s'inclinant, puis remontant jusqu'au vestibule.)
Si madame la Duchesse veut entrer.
(LA DUCHESSE paraît dans les vêtements qu'on avait vus au lever du rideau sur le canapé. Elle est coiffée comme au 1er et au IVe actes; elle a son chapeau, ses gants, sa voilette et son en-tout- cas.)

LE DUC ET LES OFFICIERS
Ah !

LA DUCHESSE
(allant à son mari.)
Bonjour, mon ami.

LE DUC
(la voix étranglée, n'en revenant pas.)
Vous !… Vous !… C'est vous !

LA DUCHESSE
(du ton le plus naturel.)
Quoi ?

ARNOLD
(au-dessus de la table, triomphant.)
Eh ben… hein ?

LE DUC
(passant au 2e et à ARNOLD.)
Ah ! vous ! allez vous promener !

ARNOLD
Oui.

LE DUC
(tout en retournant à LA DUCHESSE.)
Misérable !…

ARNOLD
…cerf ! (Souriant et à part en s'en allant.)
Est-il gentil !
(II sort.)

LE DUC
(à LA DUCHESSE lui prenant la main.)
Vous, vous, c'est vous !… Est-ce possible ?
Mais alors, tout à l'heure, vous n'étiez donc pas…
(Il indique de la tête la pièce de gauche.)

LA DUCHESSE
Je n'étais pas ?…

LE DUC
(quittant LA DUCHESSE.)
Non, rien… (A part.)
Est-il croyable ? Une telle ressemblance. Par Dieu le père, si je n'avais pas la clé dans ma poche.

LA DUCHESSE
Mais qu'est-ce que vous avez ?

LE DUC
Non, vous ne pouvez comprendre !… Mais comment se fait-il que vous soyez ici ?…
Qu'est-ce que vous venez faire ?

LA DUCHESSE
Mais j'attends que vous me le disiez.

LE DUC
Dites-vous ?

LA DUCHESSE
C'est votre ami, Monsieur Slovitchine qui, hier, à l'Ambassade m'a dit de votre part qu'il vous serait agréable que je vinsse ici aujourd'hui.

LE DUC
Dieu ! je comprends ! (Remontant.)
Parbleu ! Le malheureux, il a été victime, comme nous, de cette incroyable ressemblance !… (La regardant.)
Le fait est que c'est miraculeux !… (Aux officiers.)
N'est-ce pas, Messieurs ?

LES OFFICIERS
Miraculeux !

LA DUCHESSE
(qui est remontée par la gauche de la table.)
Quelle ressemblance ?

LE DUC
(allant à elle.)
Non, ne cherchez pas ! (Il redescend et à lui-même.)
Mon Dieu !… la pauvre femme !… dire que j'ai failli l'étrangler …à coups de poignard !… Mon Dieu ! elle doit être dans tous ses états !…
(Il est remonté et a tiré le tambour de la porte de gauche, pour écouter s'il entend quelque chose; ce voyant, LA DUCHESSE, qui est près de la cheminée, presse plusieurs fois la poire pneumatique qui fait entendre comme un long gémissement dans la pièce de gauche.)

LE DUC
(se méprenant au son qu'il entend.)
Comme elle pleure ! mon Dieu, comme elle pleure ! (Sans refermer le tambour, il retourne à LA DUCHESSE qui, aussitôt abandonne la poire et prend l'air le plus naturel du monde.)
Allez, Duchesse, tout cela est le résultat d'une confusion qui ne s'explique que trop et que je vous dirai ce soir. Qu'il vous suffise de savoir, que je suis heureux ! Ah ! bien heureux de vous voir là.

LA DUCHESSE
(touchée.)
Oui, mon ami ?

LE DUC
(sur le même ton.)
Allez-vous en.

LA DUCHESSE
(interloquée.)
Ah ! Si vous voulez, mon ami.

LE DUC
(empressé.)
Je vais vous faire reconduire. (Croyant avoir affaire à une sonnette, il va presser sur la poire. Mêmes gémissements de l'appareil.)
Comme elle pleure, mon Dieu, comme elle pleure !… (Changeant de ton et avec impatience.)
Mais qu'est-ce qu'il fait donc, ce serf ? Il n'entend pas que je sonne.
(Il réappuie sur la poire qui rend un nouveau, gémissement.)

LA DUCHESSE
Oh ! d'ailleurs, je n'ai que faire de quelqu'un, je trouverai bien la porte toute seule.

LE DUC
Eh ! bien, alors, faites donc ! (Très galamment et en lui baisant les mains.)
Allez,
Duchesse ! Allez ! et à ce soir ! (Les officiers s'Inclinent. LA DUCHESSE sort. LE DUC referme la porte, puis descendant vers les officiers.)
Hein ! Croyez-vous ? Est-ce possible ?

1er OFFICIER
C'est à n'y pas croire !

LE DUC
A n'y pas ! Mon Dieu, j'ai déjà entendu dire que tout homme avait dans le monde son sosie absolument identique, mais je n'aurais jamais cru qu'à ce point !…

L'OFFICIER
Çà !…

LE DUC
Et cette coïncidence, n'est-ce pas curieux, qui les fait juste se rencontrer ici !…
Voyez donc ce qui aurait pu en résulter si je n'avais pas été calme ! Ah ! je remercie le ciel de m'avoir évité un malheur !

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