ACTE III - SCENE X


LE DUC
SABINE puis STANISLAS, puis ARNOLD

SABINE
(affolée et gagnant vers la gauche à reculons, le bras tendu vers la cheminée.)
Ah ! mon Dieu ! la baignoire !… la baignoire qui marche !

LE DUC
(la recevant dans ses bras.)
Madame ! madame !

SABINE
(apercevant un inconnu dans les bras de qui elle est et poussant un grand cri.)
Ah !(Elle se précipite dans la pièce de gauche et disparaît.)
Au secours ! Au secours !

LE DUC
Mais qu'est-ce que cela signifie ?

STANISLAS
(accourant.)
Qu'y a-t-il ? Qui crie au secours ? (Apercevant LE DUC.)
Vous ?

LE DUC
Mais je ne sais ! je reviens pour chercher mon parapluie, je rencontre des femmes affolées, des baignoires automobiles !…

STANISLAS
(frappé d'une inspiration.)
Ah ! Excellence, vous pouvez être mon sauveur, et m'éviter une grande catastrophe dans mon ménage.

LE DUC
Eh ! mon Dieu, quoi donc, je vous prie ?

STANISLAS
Je suis victime d'un chantage odieux. Une ancienne maîtresse à moi dont vous avez peut-être entendu parler, la Môme Crevette, est ici pour faire un scandale !… Elle a appris mon mariage, et alors !… Je vous en prie, voyez-la, parlez-lui, obtenez à prix d'or qu'elle se taise, dites-lui que je la prie de venir demain à quatre heures, dans ma garçonnière, 17, rue de Milan, et emmenez-la !

LE DUC
Mais parfaitement ! ce sont de ces services qu'on se doit entre hommes. Et où la trouverai-je ?

STANISLAS
(il indique la pièce de gauche.)
Tenez, dans cette pièce, Vous la reconnaîtrez à un déshabillé d'un déshabillé plus que déshabillé. Allez ! Emmenez-la, supprimez-la et je vous devrai mon bonheur !… J'attends par là !… (Il indique la salle à manger.)
Aussitôt que vous l'aurez fait filer, venez me prévenir.

LE DUC
Entendu. (STANISLAS court dans la salle à manger.)
Allons, il ne s'agit que d'être diplomate…
(Il ouvre carrément la porte qu'on lui repousse vigoureusement au nez.)

VOIX DE SABINE
On n'entre pas…

LE DUC
N'ayez pas peur, je ne vous veux pas de mal. Je suis chargé de vous parler de la part de Monsieur Stanislas Slovitchine.

SABINE
(paraissant et passant carrément 2.)
Stanislas, de sa part ?… (S'apercevant qu'elle est à moitié déshabillée.)
Oh !
(Elle croise pudiquement ses mains sur sa poitrine.)

LE DUC
Ça ne fait rien ! Je ne regarde pas… Tenez, mettez ça.
(Il lui passe le manteau de voyage qu'elle avait en arrivant.)

SABINE
Comment, Stanislas ?… Mais où est-il donc? Pourquoi vous envoie-t-il ? C'est lui que je veux.

LE DUC
(avec autorité.)
Inutile ! vous ne le verrez pas.

SABINE
Comment, je ne le verrai pas ?…

LE DUC
(d'un ton qui n'admet pas de réplique.)
Ecoutez ! je sais tout !… Laissez-moi vous dire que ce que vous voulez faire est une mauvaise action.

SABINE
Une mauvaise action ?

LE DUC
(comme un homme à qui on ne saurait en raconter.)
Allons, allons ! Slovitchine m'a tout dit, vous êtes sa maîtresse, môme Crevette !

SABINE
(bondissant.)
Qu'est-ce que vous dites ?

LE DUC
Oui, et vous venez donc le relancer, parce que vous savez qu'il est marié.

SABINE
(sursautant.)
Qu'est-ce que j'apprends, mon Dieu.

LE DUC
(se radoucissant.)
Vous ne le saviez pas?… Tant mieux !… ceci rachète. Eh ! bien, oui, il est marié… et il vous supplie de ne pas faire de scandale, de partir avec moi, sans bruit, sans esclandre et demain, il vous attendra dans sa garçonnière, 17, rue de Milan.

SABINE
(au comble de l'indignation.)
Sa garçonnière ! Oh ! le misérable ! le misérable !
(Elle remonte.)

LE DUC
(remontant également.)
Mais non, mais non, il vous expliquera. Allons, venez avec moi !… Môme Crevette !

SABINE
(elle prend son chapeau sur la table et le piquant nerveusement.)
Oh ! oui, je viens.
Oh ! oui, je viens, et demain, il me trouvera 17, rue de Milan.

LE DUC
(avec conviction.)
C'est ça !… Ça lui fera plaisir. Vous êtes une bonne fille, môme
Crevette !

SABINE
Ah ! je lui montrerai que je suis une bonne fille !

LE DUC
C'est ça ! Passez devant !… Je vous suis.

SABINE
(dans l'antichambre.)
Oh ! le menteur !… le menteur !…
(Elle sort.)

LE DUC
(revenant de l'antichambre et allant à la salle à manger.)
Eh !

STANISLAS
(anxieux du résultat, passant la tête.)
Eh bien ?

LE DUC
(triomphant.)
Ça y est !… elle part.

STANISLAS
Ah ! merci, vous me sauvez !

LE DUC
Laissez donc ! A tout à l'heure.
(Il sort.)

STANISLAS
Enfin, allons tranquilliser ma femme ! (Ouvrant la porte de droite.)
Viens, ma chérie.
(Il gagne la scène en passant devant le bureau.)

LA DUCHESSE
Ah ! c'est pas trop tôt.

STANISLAS
(se retournant. )
La môme Crevette ! Vous ! vous ici ?

LA DUCHESSE
Oh ! vous ! fichez-moi la paix !
(Elle lui envoie un soufflet et sort.)

STANISLAS
(se frottant la joue.)
Oh !… chameau !…

ARNOLD
(sortant de la salle à manger.)
Monsieur m'appelle ?…
(RIDEAU)

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