ACTE III - SCENE III



LA DUCHESSE
ARNOLD

ARNOLD
(allant porter la table devant la cheminée.)
Voilà du bon nanan !…

LA DUCHESSE
(allant droit à lui et le faisant pivoter avec sa table.)
Répondez-moi franchement : STANISLAS Slovitchine, c'est votre frère ?

ARNOLD
(interloqué.)
Mais… oui !

LA DUCHESSE
Et alors… Constantin ?

ARNOLD
Constantin ?

LA DUCHESSE
Constantin, premier secrétaire de l'Ambassade d'Orcanie, c'est vous ?

ARNOLD
(embarrassé.)
Euh !

LA DUCHESSE
Répondez !

ARNOLD
Eh ! bien, oui, là ! (A part, pendant que LA DUCHESSE redescend.)
Après tout, ça me pose !

LA DUCHESSE
(ne demandant pas à en savoir davantage et sur un ton sans réplique.)
Où est ma robe ?

ARNOLD
(abandonnant la table et allant à elle.)
Quoi ?

LA DUCHESSE
(en retirant son peignoir.)
Je ne veux pas rester une minute de plus dans cette maison !
(Elle remonte vers le fond.)

ARNOLD
(se précipitant entre elle et la porte.)
Hein ! Mais non ! Mais en voilà une idée !…
V'là que ça vous reprend, alors !…

LA DUCHESSE
(redescendant.)
Oh ! vous allez me faire le plaisir de me laisser partir !

ARNOLD
(redescendant à sa suite.)
Mais pourquoi, pourquoi ? Parce que je vous ai dit que je m'appelais Constantin !… Eh bien ! puisque ce nom vous déplaît, je ne m'appelle pas Constantin, là !…

LA DUCHESSE
Oh ! trop tard !… N'essayez pas de faire de la diplomatie avec moi… J'en vends !… alors, vous comprenez !…

ARNOLD
Quoi ?

LA DUCHESSE
Vous allez sur-le-champ me rendre ma robe que je puisse m'en aller.

ARNOLD
Mais en voilà une idée ! Comment, au moment où je vous avais fait revenir à d'excellentes dispositions !

LA DUCHESSE
(très hautaine.)
Hein ? Plaît-il ? d'excellentes dispositions ? Vous vous méprenez, je crois !… vous avez pu supposer, parce que des raisons… que je n'ai pas à vous donner m'ont fait consentir à vous accompagner jusqu'ici !… Mais vous êtes témoin qu'il ne s'est rien passé entre nous ?

ARNOLD
(navré.)
Mais c'est ce que je déplore !

LA DUCHESSE
(idem.)
II n'a jamais d'ailleurs été dans mes intentions qu'il se passât quelque chose.

ARNOLD
(grivois.)
Oho !

LA DUCHESSE
(sur un ton qui n'admet pas de réplique.)
Non !

ARNOLD
Ah ! bien, ça, par exemple !

LA DUCHESSE
(très grande dame.)
Enfin, M. Constantin Slovitchine, je compte que j'ai affaire à un galant homme. Il se peut que nous nous rencontrions dans… dans le monde, j'espère que vous aurez le bon goût de ne pas manifester un étonnement qui serait déplacé et que vous aurez le tact de ne pas me reconnaître.

ARNOLD
Ah ! bien, en voilà bien d'une autre !

LA DUCHESSE
Sur ce, je m'en vais ! Donnez-moi ma robe et mon chapeau.
(Elle fait mine d'aller à la cheminée chercher son chapeau.)

ARNOLD
(s'interposant entre elle et la cheminée.)
Ah ! jamais, alors, jamais !

LA DUCHESSE
Vous me retiendrez de force ?

ARNOLD
Sûr !

LA DUCHESSE
(faisant un crochet et gagnant l'autre côté de la cheminée en contournant la table.)
Ah ! bien, c'est ce que nous verrons !
(ARNOLD, prévoyant l'intention de LA DUCHESSE, s'empare du chapeau en étendant le bras au-dessus de la table.)

LA DUCHESSE
(revenant à lui et essayant de reprendre le chapeau.)
Voulez-vous me donner ça ?

ARNOLD
(défendant le chapeau.)
Jamais de la vie !

LA DUCHESSE
Voulez-vous nie donner ça?

ARNOLD
Voyons, voyons ! C'est pas possible ! Ecoutez-moi… Mimi… ma chérie Mimi !
(A ce moment on entend une sonnerie.)

ARNOLD ET LA DUCHESSE
(cloués sur place.)
Qu'est-ce que c'est que ça ?
(Ils se regardent inquiets. On entend des bruits de voix homme et femme à l'extérieur.)

ARNOLD
(à LA DUCHESSE.)
Chut ! (Il va sur la pointe des pieds ouvrir la porte du fond du salon et écoute, on distingue alors la voix de STANISLAS dominant celle de SABINE : "Mais comment veux-tu ?… la chaîne, etc…"; refermant la porte et affolé :)
Nom de Dieu ! les patrons !

LA DUCHESSE
Quoi ?

ARNOLD
(pendant qu'à l'extérieur le bruit de voix continue accompagné de sonneries prolongées et de coups de poing dans la porte.)
Mon frère et sa dame !… Fous le camp !

LA DUCHESSE
Le ménage STANISLAS !… Sauve qui peut ! (Elle s'élance vers la porte de gauche et essaie de l'ouvrir, mais elle résiste.)
Allons bon !

ARNOLD
C'est le bois qui a joué. Attends ! (Il court à la porte et l'ouvre en donnant une pression sur la partie supérieure du battant, en même temps qu'il tourne le bouton de l'autre main.)
Là ! file… (La Duchesse disparaît; apercevant le peignoir :)
Oh ! (Il le jette dans la chambre puis court au fond, laisse la porte du salon ouverte et va ouvrir la porte d'entrée dont il décroche la chaîne.)

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