ACTE III - SCENE VIII



SABINE
STANISLAS, puis ARNOLD

STANISLAS
(accourant, deux brocs pleins d'eau à la main.)
Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qu'il y a ?

SABINE
Stanislas ! Une femme ! une femme en jupon, ici !…

STANISLAS
(à part, déposant ses brocs.)
Elle l'a vue !

SABINE
Dans le salon, là !… (Voyant ARNOLD qui revient sans la robe.)
Arnold !… Arnold !…

ARNOLD
(accourant.)
Madame…

SABINE
Vous avez vu cette femme ?

ARNOLD
(faisant l'étonné.)
Cette femme ?

SABINE
Qu'est-ce que c'est ?

STANISLAS
(enjambant la baignoire pour se mettre entre eux.)
Eh bien ! voilà, je vais te dire toute la vérité…

ARNOLD
(à part.)
Quel mensonge va-t-il coller ?

SABINE
Parlez, vous m'inquiétez.

STANISLAS
Eh ! bien, voilà ! je voulais te le cacher parce que dans ton état…

SABINE
Quel état ? Je ne suis dans aucun état !

STANISLAS
(affectant le ton badin.)
Le premier mois de mariage, on ne sait jamais,… il y a toujours des chances…

SABINE
N'importe, si ce n'est que ça !…

STANISLAS
Après tout, il vaut mieux que tu saches tout… d'autant que, somme toute, il n'y a rien là de bien terrible ! N'est-ce pas, Arnold ?

ARNOLD
Oh ! rien du tout, Monsieur.

STANISLAS
Eh bien ! cette femme,… c'est même pour ça que nous ne voulions pas que tu entres par là…

ARNOLD
(appuyant.)
Oh ! rien que pour ça.

SABINE
Pour ça, quoi ?

ARNOLD
Euh !… euh !… Monsieur va le dire à Madame ?…

STANISLAS
(qui avait cru un instant à une planche de salut, hausse les épaules vers ARNOLD.)
Eh bien ! voilà…, cette femme… car l'histoire du gaz, c'était pure imagination(Riant plus que de raison.)
il n'y a jamais eu la moindre fuite, tu sais… N'est-ce pas Arnold ?

ARNOLD
Aucune !… Ah ! là ! là !… Pas plus de fuite que dans mon œil.

SABINE
Bon, bon, cette femme ?

STANISLAS
Eh ! bien, cette femme… (Faisant passer ARNOLD au 2.)
Tenez, expliquez donc ça vous-même à Madame.

ARNOLD
Ah ! bon, bon.

SABINE
Eh ! bien, voyons !…

STANISLAS
Oh ! comme tu es pressée.

ARNOLD
(à part.)
Ah ! il trouve maintenant… ! (Haut.)
Eh ! bien, voilà… ! C'est… c'est une femme…

SABINE
Ah ! oui, ça !…

ARNOLD
… une malheureuse femme qui a des crises de somnambulisme. SABINE.
Non !

ARNOLD ET STANISLAS
Oui ! oui !

ARNOLD
Elle est connue pour ça dans le quartier. Et alors, ce matin, tout endormie, selon l'usage des somnambules, dans un simple appareil, elle se promenait le long des gouttières quand je l'ai aperçue, et j'ai profité du moment où elle passait sur le rebord de nos fenêtres pour la happer au passage et éviter ainsi peut-être un accident funeste. Voilà !

STANISLAS
Voilà !

SABINE
Oh ! mais c'est terrible. Vous avez bien fait, Arnold.

ARNOLD
C'est alors que Monsieur et Madame sont arrivés et pour ne pas frapper Madame, moi…

SABINE
Mais on ne peut pas la laisser comme ça. Il faudrait l'éveiller. STANISLAS. —
Jamais !… (Eprouvant le besoin de donner une explication à ce cri du cœur.)
Jamais éveiller une somnambule.

ARNOLD
Jamais !

SABINE
En tout cas, il faut chercher un médecin. Il saura ce qu'il y a à faire. Vite, courez !…

STANISLAS
Ah tu crois que…

SABINE
Oui, oui, on n'a pas le droit de laisser son prochain…

STANISLAS
Eh bien ! alors toi, tu vas t'enfermer chez toi, pendant que nous…

SABINE
(les poussant vers le fond.)
Oui, mais allez ! allez ! ne perdez pas de temps !

STANISLAS
Nous allons ! nous allons !… Venez Arnold. Toi, rentre.

SABINE
Mais oui, mais oui, allez ! allez ! (Ils sortent. Redescendant.)
Quelle aventure ! une somnambule, ici… (A ce moment LA DUCHESSE n'entendant plus de bruit, sort de la chambre. Elle est rhabillée.)
Oh ! la somnambule !
(Elle la regarde, acculée contre le bureau et comme hypnotisée.)

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