ACTE IV - SCENE VIII



STANISLAS
BEREZIN, SABINE, puis LA DUCHESSE, UN COLONEL

BEREZIN
(dans la salle du fond, accompagnant SABINE. Ils viennent de droite.)
Tenez,
Madame, monsieur Slovitchine, le voici.
(Ils franchissent le seuil de la baie du milieu.)

STANISLAS
(s'élançant vers sa femme.)
Toi ?

SABINE
(elle le toise d'un regard de glace qui le laisse interdit, puis gracieusement à BEREZIN.)
Merci, Monsieur.
(BEREZIN s'incline et regagne les salles du fond.)

STANISLAS
(après avoir bien attendu le départ de BEREZIN.)
Qu'est-ce que tu as, ma chérie ?

SABINE
(descendant.)
Oh ! je vous en prie ! épargnez-moi ces petits noms d'amitié.

STANISLAS
(affectant un air détaché.)
Je… ne comprends pas !

SABINE
(caustique.)
Non ? Eh bien ! vous allez comprendre d'un mot. (Martelant chaque syllabe.)
Je sais tout.

STANISLAS
Tu sais tout ! quoi tout ?

SABINE
Je la connais, votre somnambule !

STANISLAS
Ma somnambule ?

SABINE
(passant devant lui et gagnant la gauche.)
Oui, la sauvée des gouttières ! C'était votre maîtresse, la môme Crevette !

STANISLAS
(la suivant de près tout en se disculpant. )
Non, mais tu es folle ! (Avec un rire qui sonne faux.)
La môme Crevette, ma maîtresse, mais est-ce que je la connais, cette femme ?

SABINE
(qui est arrivée à l'extrême droite, faisant demi-tour.)
A d'autres, je vous prie.

STANISLAS
(même jeu.)
Ah ! bien, elle est bonne, celle-là ! ma maîtresse, la môme Crevette !
Je ne l'ai jamais vue !
(Sur ces dernières paroles, UN VALET DE PIED a ouvert la porte de la baie de droite et LA DUCHESSE paraît.)

STANISLAS
(la reconnaissant.)
Elle ! Nom d'un chien !
(Eperdu, il pivote sur lui-même et se précipite pour disparaître à gauche.)

LA DUCHESSE
(à part.)
Stanislas !

SABINE
(ahurie.)
Eh bien ! quoi ? (Se retournant du côté de LA DUCHESSE.)
La môme
Crevette !

LA DUCHESSE
(à part, reconnaissant SABINE.)
Et sa femme ? (Elle se dirige carrément et le sourire aux lèvres vers SABINE.)
Madame ?

SABINE
(bondissant.)
Vous ! vous ici !… Vous ?

LA DUCHESSE
(n'ayant pas l'air de prêter attention à l'apostrophe de SABINE.)
Madame
Slovitchine, peut-être ?

SABINE
(sèche.)
Oui, Madame.

LA DUCHESSE
(très femme du monde, accablant SABINE d'amabilités exagérées, sans lui laisser le temps de placer une parole. A chaque phrase, SABINE a un recul de stupéfaction, et on l'entend répéter à mi-voix, par la suite, la fin de chaque phrase de LA DUCHESSE : "Son invitation… Son ambassade… Le duc…".)
Ah ! c'est très aimable à vous, chère Madame, d'avoir bien voulu accepter notre invitation et honorer notre Ambassade de votre présence. C'est toujours une joie pour une maîtresse de maison de pouvoir offrir à ses invités la vue d'une jolie femme et je crois pouvoir dire qu'en cette circonstance, je les gâte. Mon mari, le Duc, sera enchanté de faire votre connaissance. (Appelant BEREZIN qui passe au fond dans un groupe.)
Monsieur Bérézin.

BEREZIN
(empressé.)
Duchesse !

SABINE
(à part.)
Duchesse !

LA DUCHESSE
(indiquant SABINE, qui absolument pétrifiée est restée clouée sur place. —)
Offrez donc le bras à Madame.

BEREZIN
(offrant son bras droit.)
Madame !…
(SABINE prend le bras machinalement, toute hypnotisée qu'elle est par LA DUCHESSE, qu'elle ne quitte pas du regard.)

LA DUCHESSE
(à SABINE.)
Vous permettez ? (A part, gagnant la droite.)
Elle m'a reconnue, jouons serré. (Apercevant le colonel dans l'embrasure de la perte du fond droit, laissée ouverte.)
Oh ! colonel, que c'est aimable à vous !
(Elle va à lui.)

BEREZIN
(à SABINE qui se laisse conduire comme un être privé de volonté.)
Nous avons eu une bien belle journée, n'est-ce pas, Madame ?

SABINE
(pas du tout à la conversation.)
Très belle, en effet, Monsieur. (A part.)
Ce n'est pas possible, une ressemblance pareille.

BEREZIN
On aspirait tellement après le beau temps.
(Ils entrent par la baie du milieu dans la salle des fêtes et se dirigent vers la droite, les portes centrales de droite restent ouvertes.)

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