ACTE I - SCENE VII



LES MEMES, UN GARÇON DE SALLE

SERGE
(qui a fait une ronde pendant ce qui précède avec IRMA, l'entraînant sur la chaise devant la chaire.)
Tiens ! viens, mon coco, viens sur mes genoux, tu m'amuses.
(Il la fait asseoir sur ses genoux et l'embrasse.)

LE GARÇON
V'là le courrier. (Voyant IRMA.)
Ah !
(A l'entrée du garçon, CHOPINET et KIRSCHBAUM, ne sachant pas qui c'est, se sont précipités à leur place.)

SERGE
(sans se décontenancer.)
Hein ! quoi ? Qu'est-ce que c'est ? Ou est-ce que vous regardez ?… Madame ?… C'est le professeur de maintien… (LE GARÇON hausse les épaules avec un sourire sceptique; insistant : )
Le nouveau professeur de maintien !

LE GARÇON
(sceptique.)
Allons donc !

SERGE
(regarde le public avec un air de dire "Non, croyez-vous ? " puis : )
Si on vous donne quarante sous, serez-vous convaincu que c'est le professeur de maintien ?

LE GARÇON
(bon enfant.)
Oh ! Et avec trois francs, encore plus !

SERGE
Oui, eh bien ! non, je n'ai besoin que d'une conviction de quarante sous !… (Ecartant IRMA pour se lever.)
Je vais vous les donner. (Il commence à se fouiller, puis avisant KIRSCHBAUM.)
Tiens ! Kirschbaum, donne quarante sous à cet homme.

KIRSCHBAUM
Moi, Monseigneur !

IRMA
(à part.)
Monseigneur !

SERGE
Bien oui, toi ! Je donne et tu verses ! chacun son rôle… Je suis le bienfaiteur, tu es le banquier.

CHOPINET
Et moi le témoin.

KIRSCHBAUM
(à part tout en se fouillant.)
C'est étonnant qu'on ne puisse pas avoir un roi sans que ça finisse par un emprunt. (Haut.)
C'est que je ne les ai pas !

SERGE
Ah ! (Au garçon.)
Eh ben ! c'est bien, mon garçon, nous ne les avons pas ! Mais ça ne fait rien, voici dix sous. (Il lui verse dix sous, et prend le paquet de lettres qu'il a à la main.)
Allez !… Le reste à mon avènement.

LE GARÇON
(déconfit.)
Ah !

SERGE
Si j'oublie, vous ferez réclamer par votre ambassadeur. Rompez !

LE GARÇON
Oui, Monseigneur !

IRMA
(étonnée.)
Encore !

LE GARÇON
(à part en s'en allant.)
Ce qu'il y a de plus net, ce sont les dix sous que je tiens.
(Il sort.)
(Pendant ce qui précède, SERGE a distribué à ses camarades les lettres qui leur reviennent en se réservant les siennes.)

IRMA
(à SERGE qui est redescendu.)
Pourquoi est-ce qu'il t'appelle Monseigneur ?

SERGE
Ah ! ah ! ça t'intrigue, ça ?

IRMA
(brusquement.)
Je devine ! mon Dieu ! Sire ! Est-ce possible ! C'est toi le roi ?

SERGE
(bon enfant.)
Eh bien ! oui, c'est moi le roi !

IRMA
Toi !

SERGE
Ou presque. Je suis le prince héritier du trône d'Orcanie.

IRMA
(avec admiration.)
Non ! c'est pas Dieu possible ! le roi ! T'es roi !… Ah ! non, pour la rareté du fait !
(Elle lui saute au cou en lui enlaçant la taille avec ses jambes et l'embrasse.)

SERGE
(poussant un cri.)
Oh ! mais tu m'as mordu !

CHOPINET
(à SERGE.)
Pour une fois qu'elle a le roi, elle le marque.

SERGE
(se frottant l'endroit mordu.)
Nom d'un chien ! t'as de bonnes dents.

IRMA
(le. faisant retourner et avec admiration.)
Non, mais que je te regarde ! Alors, comme ça, t'es roi !… qui aurait dit ?… T'es fait comme tout le monde.

SERGE
Qu'est-ce que tu veux ? Que j'aie cinq pattes ?

IRMA
Non, mais je me figurais qu'un roi, c'était un homme avec une couronne sur la tête, une boule dans la main et un bâton dans l'autre.

SERGE
Merci ! avec quoi que je me gratterais ?

IRMA
Justement ! je pensais que c'était pour ça qu'il y avait toujours une main au bout du bâton.
(On rit.)

SERGE
(riant.)
Ah ! ah ! tu prends le sceptre pour un gratte-dos, c'est pas mal. (Changeant de ton.)
Après tout, rien ne me dit que mes cousins, quand ils sont seuls, ne s'en servent pas pour cet usage.

CHOPINET
C'est bien le moins qu'en ce siècle pratique, un symbole serve au moins à quelque chose.

SERGE
En tout cas, je profiterai de l'idée.
(On entend la voix du plombier.)

TOUS
(écœurés.)
Oh !

CHOPINET
Allons bon ! v'là le ténor revenu.
(A ce moment, LE PLOMBIER, mangeant une croûte de pain, débouche du réservoir, passe sur le toit et ramasse ses outils, puis tout en chantant arrive à l'échelle, la déplace de façon à l'amener près du manteau d'arlequin à proximité de l'endroit où débouche le tuyau de poêle.)

LE PLOMBIER
(chantant en descendant comme un ouvrier qui va à son ouvrage.)
C'est la chanson triste et touchante
De l'amante et de son amant.
C'est le roman simple et navrant

KIRSCHBAUM
II est assommant avec sa chanson.

IRMA
(indiquant une lettre chargée qui est la dernière de celles que tient SERGE.)
Mâtin ! de beaux cachets à cette lettre.

SERGE
(retournant son paquet de lettres.)
Ah ! oui !… (Déchiffrant les cachets.)
"Royaume d'Orcanie. Ministère des Finances. " Le ministre Galette ah ! ah ! ça tombe bien, (Tirant un chèque de l'enveloppe.)
Ma lettre de change mensuelle, les copains ! sur la maison Rotschild !… "Veuillez payer à l'ordre de Son Altesse Royale, le prince Serge d'Orcanie, la somme de soixante francs…" Chouette !

IRMA
(dépitée.)
C'est tout ?

CHOPINET
Le fait est que pour une liste civile !…

SERGE
Qu'est-ce que tu veux, j'ai un pays arriéré. Ils se figurent qu'à, Paris, c'est comme là- bas, on a une poule pour six sous, et une cocotte pour trois francs.

IRMA
(avec une conviction admirable.)
Oh ! sale pays ! trois francs !

SERGE
Le paradis terrestre, au contraire. L'âge d'or; tu ne connais pas le vrai bonheur. Allons ! mes enfants, j'ai soixante francs. Je serai pauvre demain, mais aujourd'hui je suis riche. Je propose de faire la fête.

IRMA
C'est ça, la fête.

CHOPINET
Bravo ! Vive Monseigneur !

KIRSCHBAUM
Un ban à Monseigneur !

TOUS
Un ban ! bip ! bip ! hourrah !
(Pendant ce qui précède, CHANDEL tenant par la main ROBIN paraît du fond se dirigeant vers l'escalier.)

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