ACTE II - SCENE VI



LES MEMES, ARNOLD, CHANDEL

CHANDEL
(gris, suivant ARNOLD.)
Tu comprends, mon vieux : si la terre était carrée…

ARNOLD
Ah ! laisse-moi tranquille ! (Stupéfait en apercevant la Môme sur les épaules de CHAUVEL.)
Ah ! la dame des Folies-Bergère !

LA DUCHESSE
Mon béguin de ce soir ! (ARNOLD, gêné, esquisse un salut. LA DUCHESSE, très femme du monde, lui rend le salut. ARNOLD, encouragé, salue plus franchement, ce que voyant CHAUVEL répond par des révérences de tout son corps qui donnent un mouvement de tangage à LA DUCHESSE qui, toujours sur les épaules, rend salut pour salut, puis.)
Il me semble, Monsieur, que j'ai eu le plaisir de vous voir ce soir.

ARNOLD
(très homme du monde.)
En effet, Madame, aux Folies-Bergère, je crois.

LA DUCHESSE
(très femme du monde.)
Aux Folies-Bergère, c'est ça. Parfaitement!

CHANDEL
(qui pendant les saluts saluait sans savoir pourquoi, revenant à ses moutons.)
Tu comprends : si la terre était carrée, elle tournerait pas…

ARNOLD
(lui donnant une poussée.)
Ah ! toi !… fous-moi la paix !…

CHANDEL
Et elle tourne !

ARNOLD
Eh ! bien, c'est bon. Va m'attendre au bar.

CHANDEL
(se dirigeant vers le bar.)
Oh ! oui, elle tourne !
(Il a pris le porte-allumettes de la table de Chaflard et le porte à sa bouche, ainsi qu'un verre. Il part avec.)

MATHILDE
(à mi-voix, à LA DUCHESSE.)
Mais alors, ma chère, c'est lui ?

CLORINDE
(très émoustîllée, à MATHILDE.)
C'est lui, ma chère !

ARNOLD
(revenant, à LA DUCHESSE.)
Je m'attendais si peu à avoir le plaisir de vous retrouver.

CHAUVEL
…Sur mes épaules!… Dis donc, là-haut! faudrait pas cependant les prendre non plus pour un salon de réception !
(On rit.)

LA DUCHESSE
Eh ! bien, descends-moi, Chauvel ! (CHAUVEL la dépose. La plupart des consommateurs vont se rasseoir aux tables qui restent. Seule la table 2 reste vide. Une fois à terre :)
Et… présente-moi à Monsieur.

CHAUVEL
Lui ? Je ne le connais pas, mais ça ne fait rien ! (A ARNOLD.)
Comment que tu t'appelles ?

ARNOLD
Arnold.

CHAUVEL
(avec aplomb.)
Mon ami, le comte Arnold ! La môme Crevette ! (ARNOLD et la Môme se font des saluts cérémonieux.)
Et maintenant vous êtes unis. (Leur coupant leurs saluts et les poussant l'un contre l'autre, ce qui leur donne un mutuel renfoncement.)
Pan ! pan ! allez vous coucher.

LA DUCHESSE
(vexée.)
Ah ! Chauvel, que tu es vulgaire ! (A ARNOLD.)
Vraiment,
Monsieur, vous allez pensez…

ARNOLD
Mais rien du tout, Madame.

MATHILDE
(qui est remontée au-dessus, les séparant. -)
Ah ! et puis, à quoi bon ce chichi, je vais vous mettre à l'aise, moi. Tu vois, Madame. Eh bien ! elle a un béguin pour toi.

ARNOLD
Non ! C'est vrai ?

LA DUCHESSE
(se défendant mollement.)
Allons, voyons, Mathilde !

MATHILDE
Ah ! moi, j'aime les situations nettes. Au moins, maintenant, vous savez sur quel terrain marcher.

ARNOLD
C'est vrai, madame, ce qu'à dit Madame ?

LA DUCHESSE
(baissant les yeux.)
Puisqu'elle l'a dit.

ARNOLD
Ah ?… Alors !…
(Il l'embrasse dans le cou.)

LA DUCHESSE
Allons, voyons !…

TOUS
Ah !

ARNOLD
(à LA DUCHESSE.)
Alors, on va être tout à fait gentille, on va souper avec moi.

LA DUCHESSE
Je veux bien.

ARNOLD
Et après ?… Ah ! ah ! après…

LA DUCHESSE
(se dégageant.)
Allons ! allons ! ne dis pas de bêtises !
(Elle va rejoindre CHAUVEL.)

ARNOLD
(emballé.)
Elle est exquise !… (Appelant.)
Maître d'hôtel ! (Celui-ci s'avance sans qu'ARNOLD le remarque, tout à son emballement.)
C'est un ange !

PROSPER
Oui, Monsieur !

ARNOLD
Hein ? Oui, mais c'est pas pour ça que je vous ai appelé ! Maître d'hôtel ! Du champagne et un souper ! Un !

PROSPER
Bien, Monsieur.

ARNOLD
(rattrapant PROSPER.)
Et quelque chose de chic, hein ! le tralala ! Vous pouvez y aller, il y a de la galette là-dedans !… Tenez, regardez.
(Il tire des billets de banque.)

PROSPER
(discret.)
Oh ! mais je n'en doute pas, Monsieur.

ARNOLD
Non, mais enfin, c'est pour dire, la vraie noce ! quoi ! pas une noce de domestique.

PROSPER
(avec un sourire de supériorité.)
Ici, Monsieur, on ne fait pas de noces de domestiques.

ARNOLD
(interloqué.)
Hein ? Oui, évidemment, je sais bien… non, je dis ça… c'est parce que… enfin, oui, je me comprends.

LA DUCHESSE
(qui est assise sur la table n° 3, à côté de CHAUVEL assis de, même et la tenant par la taille.)
Eh bien ?

ARNOLD
(courant à LA DUCHESSE.)
Me voilà… mon ange ! Me voilà !
(Il va s'asseoir à sa droite également sur la table.)

LA DUCHESSE
(qui mange ARNOLD des yeux, lui prenant le menton et à CHAUVEL.)
Hein ?… Crois-tu qu'il a une jolie petite gueule ?

CHAUVEL
Oh! exquise!… Tu m'en laisseras.

ARNOLD
(riant et lui envoyant une bourrade dans l'estomac par dessus LA DUCHESSE.)
Est- il bête !

CHAUVEL
(se redressant avec un dignité jouée et comique.)
Non, mais je vous en prie, Monsieur.
(Dans un mouvement, il a pris la chaise qui est devant la table et s'apprête à s'y asseoir à califourchon.)

LES TEMOINS
(qui ont déjà, depuis quelque temps, regagné leur place.)
Eh bien ! voyons, Chauvel !

CHAUVEL
(toujours à califourchon sur sa chaise, gagnant leur table au petit galop d'un cheval imaginaire.)
Quoi ?

CHAFLARD
Eh bien ! ce duel, quoi ?

CHAUVEL
(envoyant promener sa chaise sur VIROFLAN.)
Ah ! la gomme !… Quoi ? Vous ne pouvez pas mettre : "Hier, rencontre chez Maxim, deux gifles ont été échangées sans résultat ? "

TOUS
(protestant.)
Oh ! allons, voyons !

CHAUVEL
Ah! zut!… Eh bien! on y va, là! (Allant chercher ARNOLD et LA DUCHESSE qui marivaudent à la table et les prenant comme un seul bloc.)
Allons, venez là, Roméo et Juliette !

LA DUCHESSE ET ARNOLD
Où ça ?

CHAUVEL
(derrière eux, les poussant dans le dos.)
Prendre un verre avec les copains. Vous n'êtes pas de trop. On règle une affaire d'honneur !… Plus on est de témoins, plus on rit.

ARNOLD
(se laissant entraîner ainsi que LA DUCHESSE.)
Quel type !

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