ACTE IV - SCENE VI



LES MEMES, puis BEREZIN, LES INVITES, LES OFFICIERS, SERGE, CHOPINET,
KIRSCHBAUM
A ce moment, même jeu de scène qu'à l'entrée de CHANDEL. On entend au loin : "Portez armes ! Présentez armes ! " Les portes du fond s'ouvrent toutes grandes, l'orchestre attaque l'hymne. Par les portes ouvertes, on voit les officiers traverser la scène en courant pour aller au-devant du Roi. En même temps, BEREZIN accourt de gauche.

LE DUC
(écoute un instant, n'en croyant pas ses oreilles, puis avec explosion.)
Le Roi, c'est le
Roi !

UNE VOIX
(au lointain.)
Sa Majesté le Roi !

LE DUC
Mon Dieu, pourvu que ce soit vrai, cette fois ! Le chandelier, vite le chandelier !

UNE VOIX
(plus rapprochée.)
Sa Majesté le Roi !

LE DUC
Et la Duchesse qui n'est pas là, qui nous laisse nous pétriner tout seul (A BEREZIN.)
Bérézin, voyez donc la Duchesse. Dites que le Roi arrive, que c'est de la dernière inconvenance…

BEREZIN
J'y cours, Excellence.
(Il sort à droite.)

1er OFFICIER
(au seuil de la baie du milieu.)
Sa Majesté le Roi !

LE DUC
Sa Majesté !
(Il prend le chandelier des mains du valet de pied. Même place et même jeu de scène que pour l'entrée de CHANDEL. Entrée solennelle du Roi. Les INVITES forment la haie. Paraît SERGE dans la tenue qu'il avait lorsqu'il a été arrêté au second acte, mais toute déchirée et poussiéreuse. Son faux-col qui a perdu son bouton de chemise ne tient plus que par derrière. Tout ceci ne l'empêche pas d'avancer avec majesté en saluant de la main les INVITES qui s'inclinent ou font la révérence suivant leur sexe. Il est suivi des 2 officiers, et immédiatement après viennent CHOPINET et KIRSCHBAUM, comme SERGE, boueux et en lambeaux.)

LES INVITES
(étonnés.)
Ah !

SERGE
(au fond, à ses INVITES.)
Mesdames et Messieurs, soyez les bienvenus sur ce territoire orcanien. (Chacun s'incline ou fait la révérence de cour; descendant en scène et allant au Duc.)
Bonjour, Duc !

LE DUC
(s'inclinant profondément.)
Sire ! (Relevant la tête et voyant la tenue du Prince.)
Ah ! mon Dieu ! Sire, dans quel état !

SERGE
(souriant.)
Vous trouvez !

CHOPINET ET KIRSCHBAUM
(au fond, se chamaillant avec les officiers qui veulent les empêcher d'entrer.)
Mais nous sommes avec Sa Majesté !

SERGE
(se retournant à leurs voix et voyant ce qui se passe.)
Oui ! Laissez passer ! Ce sont mes ministres !

TOUT LE MONDE
(étonné.)
Ah !

LE DUC
(à part, ahuri.)
Ses ministres !

CHOPINET
(enchanté et passant fièrement devant l'officier.)
Aïe donc ! Colle-toi ça pour ton rhume !
(Il descend en scène.)

L'OFFICIER
(s'inclinant et laissant passer.)
Excusez, Excellence !

KIRSCHBAUM
(très dédaigneux.)
Oui ! C'est bon ! C'est bon !
(Il descend en se dandinant, les officiers descendent à leur suite et restent un peu au-dessus; les portes se referment. K. 1. C. 2. Le D. 3. S. A. Les officiers au-dessus 5 et 6.)

LE DUC
Mais par Dieu le Père, d'où peut revenir Votre Majesté pour être dans un pareil état ?

SERGE
(riant.)
Ah ! ah ! ça vous intrigue ! On a passé la nuit au dépôt !

TOUS
(sauf CHOPINET et KIRSCHBAUM.)
Hein ?

LE DUC
Au dépôt ! Quel dépôt ?

CHOPINET
(à la j'm'en fiche.)
La prison !

LE DUC
(sursautant.)
La prison ?

SERGE
(rieur.)
Eh ! oui.

LE DUC
En prison !… Sa Majesté !… On a osé !

SERGE
Si on a… ? Un peu !… On nous y a même passé à un de ces tabac !

LE DUC
Au tabac ?… Quel tabac ?…

SERGE
Celui qu'on prise à la Préfecture. (Faisant de la boxe et de la savate dans le vide.)
Pan ! pan ! et aïe donc là ! messieurs les agents !

LE DUC
(scandalisé.)
On a osé… ce lèse-majesté ?

SERGE
(philosophe.)
Laissez donc ! il faut se conformer aux usages des pays où l'on est. Le principal, c'est que l'on m'ait fait élargir.

LE DUC
(qui ne comprend pas, de plus en plus scandalisé.)
Elargir !… On a osé ! (A CHOPINET)
Qu'est-ce que ça veut dire : Elargir ?

CHOPINET
Relâcher.

LE DUC
(respirant à l'aise.)
Ah ! relâcher, relâcher, oui, oui. Mais Votre Majesté ne peut pas rester ainsi, son uniforme l'attend, ne désire-t-elle pas l'endosser ?

SERGE
Je veux !

LE DUC
(remontant et entr'ouvrant la porte de la baie.)
Eh ! Maître d'hôtel ?

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