Chez Maxim. La grande salle du fond, au décor modern-style, aux lumières éclatantes, aux fresques suggestives, aux glaces baroques. A gauche, au fond la loggia où se trouvent les musiciens et qui n'est elle-même que le prolongement ajouré de la partie en boyau qui mène au bar et dont on voit l'amorce à l'extrême gauche, se perdant derrière le manteau d'arlequin. Par là affluera la foule des consommateurs en même temps que par une porte à deux battants ménagée en pan coupé au fond de la loggia. A droite de la grande salle, au 2e plan, autre loggia à laquelle on accède par trois marches. De chaque côté, amorces de rampes en fer forgé. Dans la loggia au fond, tout de suite à gauche des marches, porte vitrée donnant sur les cabinets de toilette. Enfin, à droite 1er plan, dans la grande salle, une porte vitrée qui mène aux cuisines et par laquelle se fait le service. Entre cette porte et l'escalier de la loggia, un dressoir étroit chargé de vaisselle.
Rangée de tables servies au, fond, suivant la ligne de la banquette murale et de son retour le long de la loggia. Parallèlement à cette rangée de tables une autre rangée de tables également servies et entourées de chaises. Enfin au premier plan, juste au ras du rideau, quatre autres tables, servies et entourées de chaises. Puis à l'extrémité gauche, sur la même ligne que ces dernières, mais séparées d'elles pour ménager un passage assez grand, une autre table de profil, avec quatre chaises, une à chaque face.
EUGENE, CHAFLARD, ALICE, MOTCHEPOFF, MATHILDE, DURAND,
L'INSPECTEUR DE POLICE, PROSPER, CONSTANT, LE CHASSEUR, LE GROOM,
CONSOMMATEURS, GARÇONS, MAITRES D'HOTEL, TZIGANES, puis SAINT-ETIENNE, VIROFLAN puis LIANE, EGLANTINE, puis CHOUCHOU, puis CLORINDE, MARJOLET,
THOMAZIER, puis CHAUVEL, puis BELHOMME
Au lever du rideau, il est une heure du matin. Le restaurant bat son plein. A la lre table extrême gauche, Chaflard, dos à l'avant-scène et EUGENE, patron de l'établissement, smoking et cravate noire, au-dessus de la table et face au public, sont assis et consomment. La 2e table est inoccupée. A la table 3, L'INSPECTEUR DE POLICE, lisant un journal. Table 4, des consommateurs. Table 5, MATHILDE, au-dessus en face du public, soupe avec DURAND, dos au public. Deuxième rangée de tables consommateurs, hommes et femmes. Table n° 10, contre la loggia, par conséquent profil au public, ALICE. Tables 11, 12, 13, 14, consommateurs hommes et femmes. Table 15, au fond, coin droit, MOTCHEPOFF, LIANE et EGLANTINE debout, causent au fond. PROSPER, CONSTANT, les garçons, servent les tables qui relèvent de leurs brigades.
Va-et-vient des consommateurs. Ceux qui occupent la table 4 se sont levés après avoir payé leurs additions. LE CHASSEUR leur apporte leurs manteaux et les aide à les passer, après quoi ils s'en vont et LE GARÇON dessert et remet le couvert. Des arrivants parmi lesquels SAINT- ETIENNE, forment groupe à hauteur de la loggia, un peu au-dessus de la table où est EUGENE; ils regardent les soupeurs. Du cabinet de toilette descend une soupeuse qui va rejoindre une table du fond. Les tziganes jouent : "Vous êtes si jolie", de Paul Delmet. Brouhaha général, cris, chants, bruits de bouchons qui sautent, etc… Tout le dialogue qui s'engage doit se faire sur le bruit que l'on atténuera insensiblement par la suite, mais sans le cesser complètement.
MATHILDE(chantant à pleine voix comme une femme qui veut se faire remarquer.)Vous êtes si jolie,
O mon bel ange blond.
DURANDJe t'en prie ! Tout le monde nous regarde.
MATHILDEAh ! fiche-moi la paix ! Je chanterai si je veux !
(Elle reprend son chant.)DURAND(navré.)Oh !
MATHILDE(chante encore quelques notes, puis.)Je vais me laver les mains.
DURANDC'est ça.
MOTCHEPOFFGarçon ! l'addition !
PROSPERL'addition du 1, vite !
UN GARÇONL'addition du 1, bien !
CONSTANT(qui arrive du bar, portant une consommation, se frayant un passage à travers le groupe qui obstrue le chemin.)Pardon, messieurs !
SAINT-ETIENNEEh bien ! quoi, garçon, vous n'avez pas besoin de me bousculer.
EUGENEAllons, Constant, voyons, faites donc attention !
CONSTANTMonsieur, c'est pas de ma faute, on ne peut pas passer.
EUGENEOui, bon, pas de discours.
(CONSTANT ne répond pas, mais va en maugréant porter la consommation à la table de L'INSPECTEUR de Police.)SAINT-ETIENNEIls sont étonnants, ma parole !
VIROFLAN(qui arrive, à SAINT-ETIENNE.)Bonjours, vieux, ça va ?
SAINT-ETIENNEÇa va… fatigué. Je crois que je vais aller me coucher.
VIROFLAN(riant.)Ah ! ah ! oui. Oh ! je la connais, celle-là. Je parie que dans deux heures vous êtes encore là.
SAINT-ETIENNEOh ! non !
VIROFLANLa flemme, alors ? Allons, à une autre fois.
SAINT-ETIENNEBonsoir.
CONSTANT(le regardant partir.)Ça engueule les garçons, et ça fait flanelle.
(Il regagne le bar.)VIROFLANBonjour, Eugène.
EUGENEBonjour, Monsieur le Comte.
ALICE(au fond.)Chasseur, appelez-moi le groom.
(LE CHASSEUR salue et sort.)VIROFLANEugène ! Je suis fauché !
EUGENEEh bien ! ça ne vous change pas !
VIROFLANJe voudrais trouver quelqu'un qui m'avançât cent mille francs sur ma bonne mine.
EUGENE(remplissant le verre de CHAFLARD.)Je comprends ça, moi aussi.
CHAFLARD(l'arrêtant de verser.)Merci !
VIROFLANVoyez-vous, Eugène, tout ça, c'est la République.
(LE GROOM se présente à ALICE, qui lui remet une lettre à porter. Après quoi, il se retire; EGLANTINE et LIANE pendant ce qui précède, ont quitté les gens avec qui elles causaient et passant au-dessus de la 1re rangée de tables, sont arrivées à la table n° 2.)LIANEAh ! ben, prenons toujours la table.
EGLANTINE(à VIROFLAN.)Bonjour, Viroflan.
(Elle va s'asseoir à la table n° 2, face au public) .
VIROFLAN(à LIANE et à EGLANTINE.)Bonjour, les gosses.
LIANEBonjour.
(A EUGENE pendant que VIROFLAN s'étend à la bonne franquette, les jambes allongées, le poids du corps sur les avant-bras, contre la table, de façon à ne pas masquer LIANE.) Dites donc, Eugène, vous n'avez pas vu l'américain d'hier qui nous avait donné rendez-vous pour souper ?
EUGENENon, mais avec la pistache qu'il a prise, je doute fort…
EGLANTINEOh ! il ne nous ferait pas ça !
VIROFLANCe serait dégoûtant.
(Pendant ce qui précède, CHOUCHOU est sortie du cabinet de toilette et en passant au-dessus de la lre rangée de tables, tout en distribuant des poignées de main et des bonjours sur son passage, est arrivée jusqu'à la table de LIANE et EGLANTINE.)LIANEAh ! Chouchou !
CHOUCHOU(se glissant entre les tables 2 et 3.)Bonjour, mes petites.
LIANEToute seule ! Tu as donc lâché ton portugais ?
CHOUCHOUTu parles 1 Un sauvage qui me fichait le trac ! non mais, ma chère, tu ne l'as pas vu ! il rugit, il bondit !… Moi, je ne comprends pas l'amour en panthère !
(Les femmes rient.)VIROFLAN(de loin, à ALICE qui s'est levée et se dirige vers le cabinet de toilette.)Bonjour, Alice !
(Geste de la main.)ALICE(tout en continuant son chemin.)Bonjour !
CHOUCHOU(à L'INSPECTEUR qui écarte sa consommation en ayant l'air de maugréer parce qu'elle s'est assise sans façon sur le coin de la table.)Quoi ? dis tout de suite que je te gêne.
LIANE(à VIROFLAN.)C'est à cette grue d'Alice que tu dis bonjour ?… Quelle dinde ! ce qu'elle me déplaît !
EGLANTINEEt à moi donc! J'lui parie jamais! Oh! la grue!…
EUGENE(de sa table.)Blaguez pas ! Elle a mis la main sur un petit gigolo fraîchement pondu.
Il a l'air d'avoir douze ans !
VIROFLAN(sans bouger de place.)Eh ! bien, on s'en fout !
EUGENEOui, mais il a 400 millions.
VIROFLAN, LIANE, EGLANTINE(transportés comme par un mot magique à la table d'EUGENE et CHAFLARD qui jusqu'ici ne s'est pas mêlé à la conversation, tous d'une voix. —)Non !
EUGENEParfaitement !
(Voyant presque nez à nez au-dessus de sa table, ces quatre personnes dont l'une ne connaît pas les trois autres, présentant rapidement.) Monsieur Chaflard, Monsieur le Comte de Viroflan, Mesdames Eglantine de la Closerie et Liane de Corse.
(Salutations, puis)TOUS LES QUATRE(ensemble, en scandant chaque syllabe.)Quatre cents millions !
CHOUCHOU(qui n'a pas bougé de place, à L'INSPECTEUR DE POLICE, lui tirant la manche.)Dis donc, quatre cent millions !
EUGENELe petit Thomazier, parfaitement !
CHOUCHOU(à L'INSPECTEUR qui dégage son bras avec humeur.)Ah ! t'as le sourire!
VIROFLAN(à EUGENE.)Ah ! le voyou !… Tenez, v'là des choses qui me dégoûtent.
EUGENEMais, tout de même, ça vous irait.
VIROFLANOh ! à moi, naturellement !
(Il s'assied à la table de CHAFLARD.)EGLANTINE ET LIANEEt à nous donc !
(Elles regagnent leur table.)MOTCHEPOFFGarçon, l'addition !
PROSPERL'addition du 1, pressons !
UN GARÇON(en passant sans s'arrêter.)L'addition du 1. Bien !
CLORINDE(entrant, suivie de MARJOLET.)Allons voir au fond, il y a peut-être une table.
EGLANTINE ET LIANE(assises.)Ah ! Clorinde !
EUGENE(se levant.)Madame Clorinde !
CLORINDEMais oui !
EUGENEJ'espère qu'il y a longtemps qu'on a eu le plaisir…
CLORINDEQu'est-ce que vous voulez !… J'ai gardé le lit.
LIANETu as été malade ?
CLORINDE(indiquant MARJOLET qui est un peu au-dessus d'elle, cherchant une table des yeux.)Non. J'ai été amoureuse.
(Prenant la main de MARJOLET et le faisant descendre au niveau des INVITES.) Je vous présente mon nouvel ami, Monsieur Marjolet.
TOUSMonsieur !…
CLORINDEII est chic, hein ? Tel que vous le voyez, sorti premier de Centrale.
MARJOLETAllons, voyons !
CLORINDE(va à MARJOLET.)Quoi ? J'mens pas, puisqu'on t'a fichu à la porte au bout de huit jours. T'es bien sorti le premier !…
(A EUGENE.) Une table, Eugène.
EUGENEMais comment donc !
(Remontant.) Prosper, une table pour Madame Clorinde !
PROSPERBien, Monsieur.
(A MARJOLET qui le suit ainsi que CLORINDE, entre la lre et la 2e rangée de tables pendant qu'EUGENE s'efface pour laisser passer.) Si Monsieur veut celle-ci.
(Il indique la table 4 que MARJOLET adopte et pendant ce qui suit, MARJOLET et CLORINDE, au-dessus de leur table, se débarrassent de leurs manteaux entre les mains du chasseur.)EUGENE(revenant vivement à LIANE, EGLANTINE, VIROFLAN et CHAFLARD.)Tenez !… tenez ! le v'là, le petit Thomazier !
TOUSOù ça ? où ça ?
EUGENELà !… Chut !
THOMAZIER(entrant de gauche; élégant, jeune et l'air vanné, il a une cigarette à la bouche. —)Eugène!… Madame Alice?…
EUGENE(lui retirant son paletot avec force courbettes et prévenances, pendant que les autres le mangent des yeux.)A cette table !
(Il indique le 10.) Elle attend Monsieur Thomazier avec impatience.
THOMAZIEROh ! et pis quoi ?
(Rire stupide.) Hé ! hé ! hé ! Bonjour Chouchou ! hé ! hé ! hé !
(On rit avec complaisance exagérée, il gagne le 10.)EGLANTINE(avec conviction.)Oh ! ma chère !… Ce qu'il a l'air intelligent !
VIROFLANOh !… pour 400 millions !
CLORINDE(qui s'apprêtait à s'asseoir à la table 4, à ce mot de "400 millions" se précipite à la table de l'INSPECTEUR DE POLICE en s'appuyant de tout le poids de son corps, de façon à masquer complètement l'Inspecteur estomaqué de tout ce sans-gêne.)Qui ça, 400 millions ?
(A L'INSPECTEUR avec désinvolture.) Pardon, monsieur.
CHOUCHOU(toujours assise à sa table.)Ce petit-là, ma chère, quatre cents millions !
CLORINDETu blagues !
(Revenant à MARJOLET.) T'entends, 400 millions, ce petit ?…
MARJOLET(assis, dos au public.)Eh bien ! Qu'est-ce que tu veux ?
CLORINDE(s'asseyant.)Oh ! je ne te les demande pas !
MARJOLET(placide.)Tu peux !
ALICE(qui est descendue des lavabos et a regagné sa table, à THOMAZIER. )Ah ! c'est pas trop tôt ! c'est à cette heure-là que tu arrives ?
THOMAZIERAh ! et pis quoi ?… hé ! hé ! hé !
LILIANE(à EGLANTINE.)Oh ! ma chère, mais elle l'engueule !
ALICEQu'est-ce que tu dis ?
THOMAZIERJe dis : Et pis quoi ? hé ! hé ! hé !
ALICEEt pis ça, tiens !…
(Elle lui donne un soufflet.)THOMAZIER(se frottant la joue.)Oh !
CONSTANT(qui est en train de servir un client se retourne au bruit et à THOMAZIER. —)Monsieur a appelé ?
THOMAZIERNon ! Oui !… Du champagne !
(Il s'assied.)EGLANTINEOh ! la rosse ! As-tu vu ça?… Battre un enfant !
LIANEC'est dégoûtant !
CLORINDE(voyant MATHILDE qui, sortant du lavabo, regagne sa table.)Ah ! Bonjour Mathilde !
MATHILDEClorinde ! Comment tu vas ?
DURAND(saluant.)Madame.
MATHILDE(présentant.)Mon amant, monsieur… Comment tu t'appelles déjà, un nom à coucher dehors ?
DURAND(très simplement.)Oh !… Durand !
MATHILDE(étonnée.)Tiens !…
(Bonne enfant.) Ah ! non, c'est pas toi, c'est vrai, c'est un autre…
(Présentant.) Mon amant, Monsieur Durand, Madame Clorinde.
(Salutations.)CLORINDEEnchantée !… Monsieur porte là un nom bien connu.
(DURAND s'incline, flatté.)LIANE(à EGLANTINE.)Mais si, viens donc, rien que pour l'embêter. MATHILDE, à
CLORINDETu soupes avec nous ?
(MARJOLET s'assied.)CLORINDEMerci, je suis là, avec mon ami.
(Salutations.) Mais on peut rapprocher les tables.
(Ils rapprochent le 4 du 6.)LIANE(qui, suivie d'EGLANTINE, est arrivée à la place d'ALICE, feignant la surprise.)Ah !
Alice !
EGLANTINEBonjour, Alice !
LIANEComment vas-tu, Alice ?
EGLANTINETu vas bien, ma chérie ?
ALICEMais très bien, merci. Prenez-vous quelque chose avec nous ?
LIANE ET EGLANTINEMais comment donc !
MOTCHEPOFFEh bien ! l'addition ?
PROSPERL'addition du 1. Pressons !
LE GARÇONL'addition du 1 !
ALICE(présentant.)Mon ami, Monsieur Thomazier.
LIANE ET EGLANTINEAh ! Enchantée…
THOMAZIERAh ! et pis, quoi ! hé ! hé ! hé !
CHAFLARD(à EUGENE qui a regagné sa place.)Eh ! bien, je crois que ça va, les affaires.
EUGENENous n'avons pas à nous plaindre.
(Sur ces entrefaites est entré L'AGENT en bourgeois qui cherche un instant des yeux, puis aperçoit L'INSPECTEUR.)L'AGENT(allant à L'INSPECTEUR.)Monsieur L'INSPECTEUR !
L'INSPECTEURAh !… Eh bien ?…
(Il lui fait signe de s'asseoir.)L'AGENT(avançant la chaise de la table 4 et s'asseyant.)Eh bien ! Monsieur l'inspecteur, Sa Majesté le roi d'Orcanie est signalée au Café Américain où elle fait un potin avec une bande d'amis !… un royal potin !…
L'INSPECTEURParfait ! On a bien observé les instructions : filer à distance et discrètement, et n'intervenir sous aucun prétexte ?… Surtout pas d'histoires ! C'est qu'il ne faudrait pas nous créer des complications diplomatiques.
L'AGENTTout a été exécuté à la lettre, Monsieur l'inspecteur, et on m'a dépêché pour vous prévenir.
L'INSPECTEUR(se levant.)On a bien fait !… J'y vais. Allons.
(Appelant.) Garçon !
CONSTANTMonsieur ?
L'INSPECTEUR(mettant de la monnaie sur la table.)C'est payé.
CONSTANTBien, Monsieur.
MOTCHEPOFFGarçon ! l'addition, voyons.
PROSPEREh ! bien, voyons ! l'addition du 1 !
UN GARÇONL'addition du 1 ?… Voilà !
CHAUVEL(débouchant de la loggia et parlant à la cantonade, habit et melon.)Oui, c'est entendu, si t'es pas content, t'iras te plaindre à ma sœur !
TOUSAh ! Chauvel !
CONSTANT(qui a desservi la table de L'INSPECTEUR, se dirigeant vers le bar et se croisant avec CHAUVEL.)Pardon, Monsieur Chauvel.
CHAUVEL(au garçon.)Baptiste, t'es beau !
(Il l'a pris par le cou et veut l'embrasser, On rit.)LE GARÇON(se défendant.)Allons, Monsieur Chauvel, allons !
CHAUVELQuoi, tu fais ta Sophie… Va donc, eh ! Pointu !
(Rires.)EUGENEAllons, voilà Chauvel qui a sa bombe !
CHAUVEL(à l'assistance.)Bonjour, les enfants.
TOUSBonjour, Chauvel.
CHAUVEL(à EUGENE.)Bonjour, Eugène, mon frère…
(Prenant le verre qui est devant EUGENE.) T'es chic, toi !…
(Il boit.) Présente-moi ton ami je ne connais pas.
(CHAFLARD se lève et porte la main à son chapeau.)EUGENEMonsieur Chaflard.
CHAUVELBonjour, Chaflard, t'as une sale gueule !
CHAFLARDHein ?
CHAUVELMais ça ne fait rien, on a la gueule qu'on peut.
CHAFLARDMais pardon, monsieur…
EUGENE(présentant vivement et sur un ton qui appelle l'indulgence.)Monsieur Chauvel.
CHAFLARDEh ! tant que vous voudrez ! Je ne permettrai pas…
CHAUVELRouspète pas, Chaflard, je t'aime comme ça !
(Il lui prend la tête entre ses deux mains et l'embrasse sur les deux joues.)CHAFLARD(furieux.)Ah !… mais monsieur, à la fin !
CHAUVEL(lui repoussant la tête du plat de la main sur la bouche.)Bouche ça, t'es un daim !
(On rit. Apostrophant les assistants pendant qu'EUGENE calme CHAFLARD.) Là, regarde-moi tous ces empiffrés qui se nourrissent de la sueur du peuple !
TOUSAh ! Chauvel !
CHAUVEL(redescend au milieu.)Les v'là, les espoirs de la France !…
TOUS(le conspuant.)Oh !
CHAUVELLes corrompus du XXe siècle, le Paris de la décadence !
TOUS(le conspuant.)Oh !
CHAUVELVous croyez qu'ils s'amusent, et bien ! non, ils s'embêtent !
TOUS(couvrant sa voix.)Oh ! à la porte !
MATHILDE(de sa place.)As-tu vu la ferme ?
(On rit.)CHAUVELTais-toi ! eh ! Pneumatique !…
(Rires.)MATHILDEAh ! pneumatique ! qué que ça veut dire ?
CHAUVELÇa veut dire que tu peux crever !…
(Rire général. Applaudissements pendant qu'il va prendre le verre de THOMAZIER et le vide.) A ta santé, Chérubin.
THOMAZIERAh ! Et pis quoi ! eh ! eh ! eh !
(A ce moment, on entend, venant du bar, un bruit de dispute accompagné de vaisselle cassée.)EUGENE(flairant une bataille.)Allons bon, qu'est-ce que c'est encore ?
(Il s'élance vers le bar. Les consommateurs se regardent :) Qu'est-ce que c'est ?… qu'est-ce qu'il y a ?…
(Quelques- uns quittent leurs tables et descendent regarder du côté du bar, sans quitter la scène.)CHAFLARD(se levant également et regardant.)Qu'est-ce que c'est ?… quoi ?… une bataille ?
CHAUVEL(courant comme les autres.)Quelques vagues humanités qui se cognent.
(D'autres consommateurs quittant également leurs tables ont grossi le groupe, quelques-uns se détachent et attirés par la dispute se dirigent vers le bar. Arrive BELHOMME qui en vient. Il est entouré par les curieux : Qu'est-ce que c'est ?… Qu'est-ce qu'il y a ?…")BELHOMME(très gai.)C'est un pochard qui a versé une coupe de champagne dans le cou de
Carbonnot, ils se sont fichus des gifles.
TOUS(ceux qui s'étaient levés.)Oh ! allons voir ! allons voir !
(Ils sortent ainsi que BELHOMME.)CHAUVEL(sortant le dernier.)Qu'est-ce que je disais ?… Vas-y, Chauvel, ta place est là…
(Il suit les autres dans la direction du, bar. Il reste peu de monde en scène. A la première rangée de tables, seuls DURAND et MARJOLET; les femmes curieuses sont allées voir la dispute. Quelques consommateurs à la 2e rangée et au fond.)MOTCHEPOFF(toujours à sa place.)Eh ! bien, voyons, garçon !
LE GARÇONMonsieur !
MOTCHEPOFFMon addition !…
PROSPERVoilà, monsieur.
MOTCHEPOFFEt voilà ! voilà !… Voilà donc une heure que vous dites "voilà" et elle n'arrive jamais !
PROSPEROn l'apporte, monsieur, on l'apporte !…
(Appelant.) L'addition du 1.
UN GARÇONL'addition du 1.