ACTE I - SCENE IX



LES MEMES, LE PROVISEUR, LE GARÇON

LE PROVISEUR
(pénétrant dans la classe.)
Ah !

TOUS
Nom d'un chien, le proviseur !
(Débandade générale, chacun regagne sa place, abandonnant ROBIN dont les jambes gigotent hors du trou. IRMA s'est précipitée dans la chaire où elle se dissimule tandis que CHANDEL qui a également couru à la chaire affecte de faire la leçon aux élèves.)

LE PROVISEUR
Qu'est-ce que c'est que ça ?

CHANDEL
(perdant la tête et voulant affecter un air dégagé.)
Monsieur le proviseur, j'ai bien l'honneur !

LE PROVISEUR
Ah, ça ! monsieur, qu'est-ce que c'est que ça, là-haut ?

CHANDEL
Je ne sais pas, monsieur le proviseur ! Je ne sais pas.

LE PROVISEUR
Comment ! vous ne savez pas ? (Appelant.)
Eh ! qui êtes-vous, là-haut!…
Eh! les jambes, là! (Voyant qu'il n'obtient pas de réponse. A CHANDEL.)
Mais retirez-le donc !
Vous entendez bien qu'il crie !

ROBIN
(une fois extrait de son trou, la figure noire de suie.)
But what is it ?

LE PROVISEUR
(à ROBIN.)
Qu'est-ce que vous faisiez là-haut ? hein ! Dites un peu !

ROBIN
What ?

CHANDEL
(sur le poêle, le bras passé autour du cou de ROBIN, debout à côté de lui, bafouillant.)
Je vais vous dire, monsieur le proviseur, c'est un nouvel élève, il est bien gentil, il ne connaît pas bien le lycée, et alors…

LE PROVISEUR
(narquois.)
Et alors, il cherche son chemin par les orifices des tuyaux de poêle ?

CHANDEL
Mais…

LE PROVISEUR
(sévère.)
Allons, assez, monsieur Chandel ! ne me prenez pas pour plus naïf que je suis. (Tout en descendant ROBIN.)
C'est-à-dire qu'on abusait de l'ignorance où est cet enfant de notre langue pour le brimer sous votre œil complaisant.

TOUS
Ah ! non !

LE PROVISEUR
(les faisant taire.)
Assez ! (A CHANDEL qui est descendu du poêle.)
C'est comme je voudrais bien savoir aussi quelle est la personne qui s'est rapidement dissimulée dans la chaire à mon entrée !…

CHANDEL
(essayant de lui barrer la chaire.)
Mais il n'y a personne, monsieur le proviseur, il n'y a personne.

LE PROVISEUR
(écartant CHANDEL et allant regarder dans la chaire par-devant.)
Oui-dà !
Eh bien ! c'est ce que nous allons voir ! Sortez, jeune homme !

CHANDEL
(à part.)
Pincée !

IRMA
(détalant par l'autre côté de la chaire en emportant sa robe, puis happant au passage ROBIN dont elle se fait comme un mur de protection.)
Oui, mon vieux, cours après si tu peux !

LE PROVISEUR
Une femme ! (Il se précipite à sa suite, elle lui envoie ROBIN dans les jambes et se sauve en fermant la porte d'un double tour de clef extérieur. LE PROVISEUR repousse ROBIN et vient se casser le nez à la porte.)
Voulez-vous ouvrir, petite effrontée !

IRMA
La gomme ! trésor !
(Elle lui envoie un baiser et pendant ce qui suit passe sa jupe.)

LE PROVISEUR
Quel scandale ! une femme ici ! C'est une indignité ! Vous serez, tous consignés ! Et vous, monsieur Chandel, qui vous faites le complice de ces débordements…

ROBIN
(qui est au 2 près de CHANDEL, croyant que c'est à lui qu'on parle, se retournant. —)
What !

LE PROVISEUR
(l'écartant avec humeur.)
Eh ! toi !

CHANDEL
Je vous assure, Monsieur…

LE PROVISEUR
(répétant.)
De ces débordements ! vous entendrez parler de moi. Je vais en référer immédiatement à Monsieur le Recteur ! C'est vous dire que vous pouvez vous considérer dès à présent comme ne faisant plus partie du lycée. (Se retournant et trouvant ROBIN dans ses jambes.)
Eh ! à la fin !
(Il l'envoie promener.)

CHANDEL
C'est bien, monsieur le proviseur.

IRMA
Maintenant que l'autre m'a vue, je me fiche un peu de passer devant le concierge.
(Elle va pour sortir par la droite et se croise avec LE GARÇON qui se dirige vers la classe de gauche.)

LE GARÇON
(à part.)
Tiens ! le professeur de maintien ! (Haut.)
Bonsoir, Madame.

IRMA
Bonsoir, mon garçon.
(Elle sort de droite.)

LE PROVISEUR
(qui pendant ce qui précède est allé jusqu'à la porte, frappant sur la vitre. —)
Isidore ! Isidore ! Eh bien ! ouvrez, voyons !

LE GARÇON
Tiens ! C'est donc fermé ?

LE PROVISEUR
Naturellement ! c'est fermé.

LE GARÇON
(ouvrant.)
Pourquoi… naturellement ?

LE PROVISEUR
(sur le pas de la porte.)
Vous feriez mieux, au lieu échanger des salutations avec cette demoiselle !… D'où la connaissez-vous ?

LE GARÇON
C'est le professeur de maintien.

LE PROVISEUR
Quoi, de maintien ?… Qu'est-ce que ça veut dire ? Il est joli, le maintien !…
Vous faites le facétieux avec moi, maintenant, espèce d'imbécile !

LE GARÇON
Qu'est-ce qu'il y a ?

LE PROVISEUR
(descendant légèrement.)
Si les garçons de salle s'entendent avec les maîtres d'études pour…

CHANDEL
Je vous jure, monsieur le proviseur…

LE PROVISEUR
Et puis, en voilà assez ! Vous n'avez plus rien à faire ici !… Veuillez vous retirer et aller m'attendre dans mon bureau ?

CHANDEL
(pincé.)
C'est bien, monsieur le proviseur. (Il passe au-dessus de lui et en remontant va donner dans ROBIN, le faisant pirouetter.)
Ah ! toi !… (Il est arrivé à la hauteur des tables devant lesquelles sont assis les élèves; aux élèves :)
Eh bien ! vous êtes contents, vous autres, vous êtes contents ! Oh ! mais vous me le paierez. (Il leur montre le poing.)

LE PROVISEUR
C'est bien, pas d'histoires, allez !

CHANDEL
Oui, monsieur le proviseur ! (Aux élèves.)
Vous me le paierez !
(Il sort furieux.)

LE PROVISEUR
(au garçon qui est entré et est resté un peu au-dessus de la porte.)
Et puis qu'est-ce que vous voulez ? Qu'est-ce que vous venez faire ?

LE GARÇON
Monsieur, il y a là monsieur le duc… Le duc. , je ne me rappelle plus de quoi, ambassadeur d'Orcanie, avec la duchesse et toute une suite.

SERGE
L'ambassadeur !

LE PROVISEUR
Ah ! Sapristi !… dans mon indignation j'avais complètement oublié le but de ma venue. (A SERGE qui se lève aussitôt.)
Monseigneur… préparez-vous !… c'est vous que ces messieurs viennent chercher.

SERGE
Moi ?

LE PROVISEUR
Une grande nouvelle dont j'ai été précisément avisé par lettre tout à l'heure.
Sire, le roi Yvan, votre auguste père, désirant prendre un juste repos, vient d'abdiquer en votre faveur. Sire, vous êtes Roi !

SERGE
(grimpant sur le banc.)
Je suis Roi !

CHOPINET ET KIRSCHBAUM
Vive le Roi !

LE PROVISEUR
Je suis heureux d'être le premier à annoncer cette bonne nouvelle à Votre
Majesté.

SERGE
(très ému.)
Oh ! merci, monsieur le proviseur, merci ! (Aux autres.)
Ah ! mes amis ! mes amis ! je suis Roi ! chouette ! c'est la fête.

LE GARÇON
Que dois-je aller dire ?

LE PROVISEUR
Rien, rien ! J'y vais moi-même. (A ROBIN.)
Venez petit, je vous emmène !

ROBIN
No ! Il will stay here to fetch that ladder.

LE PROVISEUR
(le prenant par la main.)
Je vous dis de venir, je ne vous demande pas vos réflexions.

ROBIN
(résistant et tapant du pied.)
But no !… you dont understand ! I say : I'll stop here to fetch thé ladder !…

LE PROVISEUR
Ah ! à la fin, viendrez-vous ! quand je vous le dis.
(Il le tire brusquement ce qui l'envoie dans la cour.)

ROBIN
(furieux.)
Aoh !… vache !…
(Il se sauve à toutes jambes et disparaît par l'escalier.)

LE PROVISEUR
(estomaqué.)
Qu'est-ce qu'il a dit ? Il m'a appelé ?… Attends un peu ! petit garnement.
(Il sort suivi du garçon.)

SERGE
(sautant par-dessus la table suivi dans son mouvement par ses deux camarades.)
Roi !
Roi ! je suis Roi !… Il faut que je me le répète pour le croire !

CHOPINET
Vive le Roi !…

KIRSCHBAUM
Vive Sa Majesté !

SERGE
(se grisant au son des vivats.)
Ah ! c'est bon, la popularité !

CHOPINET ET KIRSCHBAUM
Vive Sa Majesté !
(A ce moment on entend la voix du plombier qui chante "C'est la chanson triste et navrante", en même temps on le voit remettre son échelle à sa première place. Pendant ce qui suit, il remonte sur le toit, gagne le réservoir et disparaît.)

SERGE
Allons ! bon !… Voilà le ténor qui remet son échelle ! Il est bien temps, maintenant.(Brusquement.)
Oh ! quelle idée ! Si nous en profitions, de son échelle ?

CHOPINET
Pour quoi faire ?

SERGE
Pour filer donc ! Je propose une fête carabinée !… C'est ma façon à moi de célébrer mon avènement. Ça va-t-il ?

CHOPINET
C'est très joli, mais on nous fichera à la porte.

SERGE
Qu'est-ce que ça vous fait ? Je me charge de votre avenir. Vous serez mes ministres.

KIRSCHBAUM
Oh ! alors !

SERGE
(remontant.)
Allons, mes enfants, dépêchons-nous. Et pendant deux jours une noce à tout casser, c'est moi qui paie. Je n'ai que soixante francs, mais je trouverai bien quelqu'un qui m'avancera sur ma liste civile.

KIRSCHBAUM
Papa ! vous le nommerez baron en échange.

SERGE
Comment, il est Kirschbaum et il n'est pas baron ? C'est une lacune à combler.
Entendu ! filons ! Je passe devant !
(Il monte à l'échelle, suivi des autres.)

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