ACTE III - SCENE IV



ARNOLD
STANISLAS, SABINE, tous deux en costume de voyage.

STANISLAS
Nous ne pouvions pas entrer, Arnold, vous aviez mis la chaîne.

ARNOLD
Ah ! oui,… Monsieur, vous comprenez,… quand on est seul… la prudence !…(Changeant de ton.)
C'est Monsieur et Madame !… Ah ! bien, je suis bien content !… C'est Monsieur et Madame !… Monsieur et Madame vont bien ?

SABINE
Merci, Arnold.

ARNOLD
Moi aussi, pas mal, merci…

STANISLAS
(en prenant le manteau de sa femme qu'il va déposer sur le fauteuil gauche de la cheminée.)
Allons, tant mieux ! Nous n'avions pas demandé de vos nouvelles, mais ça ne fait rien.

ARNOLD
Non, Monsieur. (S'apercevant qu'il a toujours le chapeau de LA DUCHESSE dans la main.)
Oh ! (Il le dissimule derrière son dos et profitant que STANISLAS est occupé à enlever son propre manteau et SABINE ne le regardant pas, il va jusqu'à la cheminée, cherche des yeux un endroit pour cacher le chapeau, enfin le met, ainsi qu'une corbeille, au centre de la table, puis regarde le public en ayant l'air de dire : Et voilà !.)

STANISLAS
(à ARNOLD qui revient à lui et tout en lui remettant son manteau pendant que SABINE retire son chapeau qu'elle dépose sur la table.)
Ah ! dites-moi !…

ARNOLD
(empressé.)
Monsieur ?…

STANISLAS
(regardant le coin de feu que porte ARNOLD.)
Ah, ça ! mais qu'est-ce que vous avez donc là ?… C'est mon coin de feu neuf ?

ARNOLD
(avec aplomb.)
Non !… Hein ? Oui.

STANISLAS
Qu'est-ce que ça signifie ?

ARNOLD
Je vais dire à Monsieur !… C'est, c'est exprès… pour… pour le fatiguer !… Je le fatigue ainsi que Monsieur le voit…

STANISLAS
Oui !… Eh bien ! dorénavant, vous me le laisserez fatiguer moi-même ! Trop de zèle, mon garçon ! Faites-moi le plaisir d'aller enlever ça et de passer un veston à vous.

ARNOLD
Comme Monsieur voudra, mais si Monsieur veut bien se renseigner, tout le monde lui dira…

STANISLAS
C'est bon !… et allez monter les sacs.

ARNOLD
Ah ! non !
(Il a une mimique expressive signifiant : "Merci et l'autre qui est là".)

STANISLAS
Quoi ?

ARNOLD
Hein?… euh! oui, Monsieur… (A part.)
Mon Dieu!… et impossible de la faire filer.

STANISLAS
Eh bien ! allez ! Qu'est-ce que vous faites là, sur place ?

ARNOLD
Oui, Monsieur. (A part.)
Il n'y a qu'une fenêtre au troisième étage. Je ne peux vraiment pas lui demander un pareil sacrifice.
(Il sort.)

STANISLAS
(à SABINE.)
Eh bien ! ma chérie, comment ça va ?

SABINE
Bien, merci.

STANISLAS
Le chemin de fer ne vous a pas trop fatiguée ?

SABINE
Oh ! vous me dites "vous" comme en plein jour.

STANISLAS
C'est vrai, on est si peu habitué à être debout à pareille heure,… et sans ce voyage… Ah ! maudite dépêche de mon frère qui, en nous forçant à rentrer, a troublé notre gentille lune de miel.

SABINE
Elle l'a fait changer de place, voilà tout.

STANISLAS
Elle était si bien où elle était ! (Quittant SABINE et remontant au-dessus de la table pour redescendre à droite et tout en prenant les lettres à son adresse qu'il parcourra des yeux par la suite, tout en parlant.)
Aussi, cet animal de Constantin, je lui avais assez dit : "Avec ta manie d'automobile, tu conduis comme une mazette, ça te jouera une mauvaise farce. " Non, il a fallu qu'il fasse ce tour de France avec son Ambassadeur et les autres secrétaires de la Légation, soi-disant pour son avancement. (Les yeux au ciel.)
"Son avancement" ! Il est bien avancé, en effet !… Les v'là tous les quatre sur le flanc, l'Ambassadeur, Constantin et les autres secrétaires, pour avoir pris un mur pour une route nationale. Résultat : C'est mon pauvre Stanislas qui est obligé de s'improviser diplomate et de revenir dare dare à Paris pour se mettre à la disposition de l'envoyé extraordinaire du royaume d'Orcanie. Tout ça parce que toute la légation est sur le dos.
Ah ! je la retiens, celle-là, oui ! (Il met son courrier dans sa poche.)
Enfin si tu me dis que tu n'es pas trop fatiguée ?

SABINE
Vous savez bien que vous m'avez habituée aux nuits blanches.

STANISLAS
(touché.)
Chérie !… (Il l'embrasse. Dans ce mouvement ils pivotent tous les deux sur place, ce qui met STANISLAS 1 et SABINE 2, gagnant la gauche de la scène.)
Ah ! le voilà, le vrai bonheur ! Les voilà, les vraies joies !…

ARNOLD
(entrant avec les sacs.)
Voilà les sacs !

STANISLAS
…les voilà !

ARNOLD
(croyant qu'on lui parle des sacs.)
Oui, Monsieur, les voilà !

STANISLAS
Quoi ?

ARNOLD
Les sacs.

STANISLAS
Eh bien ! c'est bon, je m'en fiche.

ARNOLD
(à part.)
Eh bien ! alors, pourquoi qui m'le demande ?

STANISLAS
A quelle heure avez-vous reçu ma dépêche ?

ARNOLD
(les sacs toujours à la main.)
Quelle dépêche ?

STANISLAS
…Où je vous dis de nous attendre, que nous arrivons cette nuit ?

ARNOLD
Je n'ai pas reçu de dépêche.

STANISLAS
Comment, vous n'avez pas reçu de dépêche ? Alors qu'est-ce que vous faites ici ?… Comment se fait-il que nous vous trouvions là à nous attendre ?…

ARNOLD
(interloqué.)
Comment il se fait que…

STANISLAS
Oui.

ARNOLD
Oui, oui j'entends bien.

STANISLAS
Vous n'avez pas pu deviner que nous arrivions.

ARNOLD
Evidemment, non… non !… J'attendais, par intuition.

STANISLAS
(à gauche de la table.)
II est fou !… Et ce souper… ce souper à deux couverts, est- ce aussi par intuition ?

ARNOLD
(à droite de la table et au-dessus.)
Ah ! non !… non, ça, je vais dire à Monsieur, j'ai rêvé comme ça que Monsieur et Madame allaient revenir, alors, n'est-ce pas, j'ai… j'ai préparé cet en-cas… en cas… qu'en cas…

STANISLAS
Eh ! bien, vous pouvez vous vanter d'avoir la double vue !… Il est même très bien servi, ce souper; regarde donc, Sabine.

SABINE
(qui est remontée près d'eux pendant ce qui précède.)
Oh ! en effet ! et la jolie corbeille !

ARNOLD
(redescendant un peu à droite.)
Aïe !…

STANISLAS
(avec conviction.)
Sont-elles belles, ces fleurs ! C'est à croire qu'elles sont fausses !…

SABINE
C'est vrai. (Elle les touche.)
Oh ! mais… elles sont fausses !

STANISLAS
Hein ?

SABINE
(prenant le chapeau en main.)
Ah ! c'est un chapeau.

STANISLAS
Un chapeau ?

ARNOLD
(descendant près du bureau.)
Pincé !… (Affectant de rire.)
Ah ! ah ! ah ! oui…

STANISLAS
Délicieux !… Et ces fleurs, regarde-moi ça, sont-elles belles !… On jurerait qu'elles sont vraies !

SABINE
(ravie.)
Je l'emporte.
(Elle se dirige vers la porte droite, en passant au-dessus de la table bureau.)

ARNOLD
(à part.)
Ça y est ! Raflé, le chapeau à la cocotte.

STANISLAS
Tu ne veux pas manger quelque chose ?

SABINE
(à droite du bureau.)
Non, je n'ai pas faim ! Ce que je prendrais avec plaisir, c'est un bain !

ARNOLD
(dressant l'oreille.)
Hein ?

STANISLAS
Un bain ?

SABINE
Oui, je sens que cela me délasserait tout à fait.
(Elle sort.)

STANISLAS
Un bain ! Madame veut prendre un bain !… Vite, allons préparer le bain…

ARNOLD
(vivement, s'élançant entre STANISLAS et la porte.)
Non.

STANISLAS
Comment, non ?

ARNOLD
Non ! Monsieur me laissera faire cet ouvrage tout seul.

STANISLAS
Je l'entends bien ainsi ! Allez mon garçon.

ARNOLD
(à part.)
Ah ! bien, voilà encore une heureuse idée !

STANISLAS
(voyant ARNOLD qui n'a pas bougé.)
Eh bien ! vous n'êtes pas encore parti ?…

ARNOLD
J'y vais.
(On sonne.)

STANISLAS
(étonné.)
On sonne !

ARNOLD
(à part.)
Allons bon ! qu'est-ce que c'est encore ?

STANISLAS
A cette heure-ci ! Qui ça peut-il être ?

ARNOLD
Ah ! Monsieur, je ne vois pas.

STANISLAS
Eh bien ! allez ouvrir !… C'est le meilleur moyen de savoir.

ARNOLD
(riant d'un rire forcé.)
Evidemment !… Evidemment, c'est le… (Remontant.)
Quelle nuit ! Mon Dieu ! (Il sort en emportant les sacs et en laissant le battant de la porte ouvert, dépose ses sacs dans l'antichambre et ouvre la porte donnant sur le palier; apercevant LE DUC, il se précipite affolé dans le salon.)
Le Monsieur de chez Maxim !

STANISLAS
Quoi ?

ARNOLD
Hein ! Non, rien, je ne sais pas !
(Il se fait aussi petit que possible, dos au public, entre la porte du salon et la fenêtre; pendant ce qui précède on a vu LE DUC fermer la porte d'entrée sur l'escalier, puis descendre en scène.)

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