ACTE PREMIER - SCÈNE XIV



LES MEMES, JEAN , PUIS LUCIENNE, SOLDIGNAC , PUIS, PONTAGNAC.

JEAN (paraissant au fond.)
C'est un monsieur qui demande si Monsieur est visible ?

VATELIN
Qui ça ?

JEAN
Mr. Soldignac.

MAGGY
Ma mari !

VATELIN
Lui ! (À Jean.)
Oui, tout de suite, je suis à lui(Jean sort.)
Qu'est-ce qu'il vient faire ?

MAGGY
Je sais pas ! vous presser la main, pouisqu'il est à Paris.

VATELIN
En tous cas, il ne faut pas qu'il vous voie ! Tenez, filez par là !
(Il lui indique la porte à droite, 1er plan, et la fait passer. )

MAGGY
All right ! à ce soir !…

VATELIN
Oui, oui, c'est entendu.

MAGGY
Quarante-houit roue Roquepaïne !…

VATELIN
Roue Roquepaïne ! allez ! allez !

MAGGY
J'allai ! j'allai !… O you wicked thing… I love you !
(Elle sort de droite. )

VATELIN
Oh ! les conséquences d'une faute !… Dire que je n'ai trompé qu'une fois ma femme depuis que je suis marié… et j'étais excusable, puisque j'avais le mal de mer… Eh ! bien, voilà !…

LUCIENNE (paraissant à gauche.)
Cette dame est partie ?…

VATELIN
Oui, oui !

LUCIENNE
Qui a sonné ?

VATELIN
Un ami que j'ai connu à Londres.

JEAN (introduisant Soldignac.)
M. Soldignac !

SOLDIGNAC (accent anglais.)
Eh ! bonjour, cher ami, comment vous va ?

VATELIN (poignée de main.)
Très bien, quelle bonne surprise !
(Soldignac salue Lucienne. )

VATELIN
Chère amie, M. Soldignac !

LUCIENNE
Monsieur !

SOLDIGNAC
Madame, sans doute ! Oh ! très bien ! très bien(S'asseyant.)
Mon cher ami, je viens qu'un instant ! je suis très pressé, vous savez, un soir si vous voulez, j'ai le temps, mais le jour… les affaires… business is business, comme nous disons en Angleterre.(Se levant)
Alors, voilà, je suis venu pour vous serrer la main d'abord, et puis à cause de ma femme.

VATELIN (assis à son bureau.)
Elle va bien, madame Soldignac ?

SOLDIGNAC
Très bien, merci. Elle m'a chargé beaucoup de choses… Justement c'est pour elle que je viens. Mon cher ami, j'ai appris une chose, vous allez être bien étonné, je suis coquiou.

VATELIN
Co… quoi ?

SOLDIGNAC
Pas coquoi, coquiou… madame Soldignac me trompe si vous préférez.

VATELIN
Hein ?

LUCIENNE (se levant.)
Je vous demande pardon, je crains d'être indiscrète, je me retire.

SOLDIGNAC
Oh ! non, ça m'est égal, je suis très philosophe. Seulement je suis pressé, j'ai les affaires.(S'asseyant)
Voilà, cet matin, j'ai mis la main sur la pot aux roses,… j'ai trouvé cette lettre dans le panier de ma femme.

VATELIN (à part.)
Nom d'un petit bonhomme ! la lettre qu'elle m'écrivait ; pourvu qu'elle ne m'ait pas nommé.

SOLDIGNAC
My love…

VATELIN (à part, rassuré.)
Love !… Non, ce n'est pas moi !

SOLDIGNAC
"Je souis à Paris… nous allons donc pouvoir nous rehaimer". Vous comprenez ?

VATELIN
Oui, oui.

SOLDIGNAC
"Cet soir ma mari"
- c'est moi
- passe son soirée tard à les affaires, je souis seule, vienne me trouver,, rue Roquepaïne, à la rez-de-chaussée,… je vous attend ! Maggy" Qu'est-ce que vous en dites ?…

VATELIN
Mon Dieu, vous savez, il ne faut pas trop… comme ça, à première vue ; peut-être qu'au fond il n'y a rien.

SOLDIGNAC (se levant.)
Allons donc ! Eh ! bien, nous verrons bien !… Entre deux affaires j'ai couru chez le commissaire de police… et ce soir, je ne sais pas quel il est, loui, le "my love", mais je les fais pincer tous les deux, elle et son love, quarante houit, rue Roquepaïne.

VATELIN (à part.)
Saperlipopette ! Eh ! bien, il fait bien de venir me prévenir.

SOLDIGNAC
N'est-ce pas, madame ?…

LUCIENNE (se levant)
Mon Dieu, monsieur, vous savez, moi…

SOLDIGNAC
Oui, et alors je divorce.

VATELIN (se levant.)
Comment, vous voulez divorcer ?

SOLDIGNAC
Oh ! oui… je serai très content. Elle m'embête, ma femme… Elle a toujours un tempérament ; ça me dérange pour mes affaires. Alors je viens vous voir comme avoué pour vous prépariez tout de suite toutes les pièces pour le divorce.

VATELIN
Moi !

SOLDIGNAC (allant prendre son chapeau au fond.)
Oui parce que souis très pressé.

VATELIN
Mais ça n'est pas mon affaire,… comment voulez-vous,… c'est à Londres que vous devez…

SOLDIGNAC
Pourquoi à Londres ? Je souis pas de Londres !

VATELIN
Ah !

SOLDIGNAC
No, je souis de Marseille !

VATELIN ET LUCIENNE
Vous !…

SOLDIGNAC
Oui, Narcisse Soldignac, de Marseille, seulement j'ai été élevé toute petite en Angleterre, où j'ai toujours vécu pour mes affaires, et où je me suis marié, mais devant le Consulat français, par conséquent vous pouvez préparer les pièces.

VATELIN
Ah ! alors il faut que…

SOLDIGNAC
Evidemment, puisque je souis Français.

VATELIN
Oui, oui, oui…(À part)
Moi… c'est moi qui… Ah, ça ! c'est le comble !…

SOLDIGNAC
C'est convenu !… je vous demande pardon parce que je souis pressé.

VATELIN (à part.)
Ah ! et puis, après tout, qu'est-ce que je risque. (Haut.)
Eh ! bien, c'est entendu, seulement tout cela est soumis à une condition essentielle, c'est que vous, surpreniez votre femme et son complice !

SOLDIGNAC
Naturellement ! mais puisque je les pince ce soir, 48, rue Roquepaïne.

VATELIN (à part.)
Oui, pas si bête que tu nous y trouves !

SOLDIGNAC
Et quant au monsieur, quand je l'aurai entre les mains je me réserve pour mon plaisir de lui donner une petite leçon de boxe.

VATELIN
Ah ! vous êtes fort à…

SOLDIGNAC
Moi ? très fort !… Ma femme aussi, c'est moi qui loui ai appris !… Une fois je me souis battu avec le premier champion de Londres, ah ! je loui ai flanqué une de ces tatouilles, comme nous disons en Provence. Il a reçu un tel coup de poing qu'il en a traversé la Manche.

LUCIENNE
Oh ! oh ! oh !

SOLDIGNAC
Je vous assure,… le soir même par le premier paquebot.

VATELIN
Ah ! bon !

LUCIENNE
C'est que vous avez une façon d'accommoder vos récits à la Provençale.

SOLDIGNAC
Que voulez-vous, si j'ai pris, le flegme anglais… j'ai tout de même la nature de mon pays…(Avec un peu de lyrisme.)
Même à travers mon brouillard de Londres, on retrouve un rayon de soleil du Midi.

LUCIENNE
Oh ! mais vous êtes poète.

SOLDIGNAC (changeant de ton.)
No, j'ai pas le temps, je souis pressé… business is business comme nous disons à Londres. Au revoir… et quant au monsieur cet soir…(faisant un geste de boxe)
Voilà ! Di gou li gue vengue, mon bon ! comme nous disons à Marseille,… Au revoir !
(Il remonte et se cogne dans Pontagnac qui entre. )

PONTAGNAC
Oh ! pardon !

SOLDIGNAC
Oui, bonjour monsieur… je souis pressé.

VATELIN
Pontagnac, il arrive bien…(À Lucienne.)
Veux-tu accompagner M. Soldignac, j'ai un mot à dire à Pontagnac.

LUCIENNE (sortant à la suite de Soldignac.)
Parfaitement.

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