ACTE PREMIER - SCÈNE IX



LES MEMES, JEAN, MME PONTAGNAC

JEAN (annonçant au fond.)
Madame Pontagnac.

TOUS
Hein !

PONTAGNAC (bondissant, à part.)
Non d'un petit bonhomme ! Ma femme !

TOUS
Votre femme !

PONTAGNAC
Hein ! oui,… non,… il faut croire !…

LUCIENNE
Comment ! je la croyais à Pau !

VATELIN
C'est vrai, avec ses rhumatismes.

PONTAGNAC
Eh bien ! oui, je ne sais pas !… C'est qu'elle aura été guérie !…(Au domestique)
Nous n'y sommes pas !… Dites que nous n'y sommes pas !

LUCIENNE
Mais pas du tout ! Au contraire ! Faites entrer.

PONTAGNAC
Oui, je dis bien, faites entrer !…(À part.)
Ah ! là, là, là, là !

TOUS (à part.)
Mais qu'est-ce qu'il a ?

REDILLON (à part.)
Il n'a pas l'air d'être à la noce, le bonhomme.

PONTAGNAC (à part.)
Ah, bien ! me voilà bien !…(Haut)
Je vous en prie, mon ami, madame, pour des raisons que je vous expliquerai plus tard, si ma femme vous questionne, pas un mot, ou plutôt, dites comme moi, hein ! dites comme moi !

MME PONTAGNAC (entrant.)
Je vous demande pardon, messieurs, madame…

PONTAGNAC (courant à elle.)
Ah ! chère amie, te voilà ! Quelle charmante surprise !… Justement je m'en allais ! Allons, dis au revoir à madame et à ces messieurs, et allons-nous en ! Viens, allons-nous en !

TOUS
Hein !

MME PONTAGNAC
Mais pas du tout ; en voilà une idée !

PONTAGNAC
Mais si ! mais si !

MME PONTAGNAC
Mais non ! mais non !

LUCIENNE
Mais laissez donc, voyons !

PONTAGNAC
Mais voilà ! Je laisse !(À part.)
Oh ! mon Dieu ! mon Dieu !

MME PONTAGNAC (s'asseyant sur la chaise que lui avance Vatelin.)
Excusez-moi, madame, de venir ainsi chez vous, sans avoir eu l'honneur de vous être présentée.

LUCIENNE (assise.)
Mais, madame, c'est moi, au contraire…

VATELIN (un genou sur le pouf.)
Croyez bien que… certainement…

MME PONTAGNAC
Mais vraiment il y a longtemps que j'entends parler de vous par mon mari…

VATELIN
Vraiment ?…Ah ! c'est gentil, cela, Pontagnac.

MME PONTAGNAC
… Que vraiment je me suis dit : "Cet état de choses ne peut pas continuer, des amis si intimes dont les femmes ne se connaissent pas !"

LUCIENNE ET VATELIN
Si intimes !

MME PONTAGNAC
Ah ! vous pouvez dire que mon mari vous aime ! C'est-à-dire que j'en étais arrivée à être jalouse ! Tous les jours la même chose : "Où vas-tu ?… Chez les Vatelin." Et le soir : "Où vas-tu ?… Chez les Vatelin !" Toujours chez les Vatelin !

VATELIN
Comment, chez les Vatelin !

PONTAGNAC
Mais oui, naturellement, quoi ! Qu'est-ce que ça veut dire, cet étonnement ?(Vivement à Mme Pontagnac)
Tu n'as pas vu sa galerie, non ? Viens voir sa galerie ! Ca vaut la peine, viens voir sa galerie !

MME PONTAGNAC
Mais non, voyons ! mais non !… Mais qu'est-ce que tu as donc ?

PONTAGNAC
Moi ? mais rien ! Qu'est-ce que tu veux que j'aie ?

VATELIN
Qu'est-ce que tout cela veut dire ?…

REDILLON (assis dans le fauteuil, à part.)
Non, ce que je m'amuse, moi ! ce que je m'amuse…

MME PONTAGNAC
Ah ça ! tu as l'air bien agité !… Est-ce que, par hasard ?…

PONTAGNAC
Moi ? Où ça, agité ! où ça, agité ! je ne bouge pas… Seulement, tu vas raconter à M. et Mme Vatelin que je vais tous les jours chez eux ! Ils le savent bien que je vais tous les jours chez eux.

LUCIENNE (à part.)
Aha !

VATELIN (à part.)
Ah ! je comprends !

PONTAGNAC (à Vatelin, tout en lui faisant des signes.)
Enfin, Vatelin, n'est-ce pas que vous le savez que je viens tous les jours chez vous !

VATELIN
Oui ! oui ! oui ! oui ! oui !

PONTAGNAC
Là, tu vois !

REDILLON (se levant et intervenant, l'air narquois.)
Je l'y ai même rencontré.

PONTAGNAC (le regard étonné, à part.Hein !… Puis, bas.)
Merci, monsieur !

REDILLON (bas.)
Il n'y a pas de quoi.
(Il se rassied. )

PONTAGNAC
Eh bien ! tu es convaincue ?

MME PONTAGNAC (l'air de douter, se levant.)
Oui, oui, oui.
(Elle gagne un peu la gauche. )

PONTAGNAC
Mais, dame !

VATELIN (à part. )
Pauvre Pontagnac, il me fait de la peine !(Bas, à Pontagnac)
Attendez, je vais vous tirer de là !

PONTAGNAC
Ah ! oui !

VATELIN
Croyez même, madame, que mon ami Pontagnac, dans ses fréquentes visites, me parlait souvent de vous.

MME PONTAGNAC
Ah ! vraiment !

PONTAGNAC (bas.)
C'est ça ! Très bien !

VATELIN
Et qu'il y a longtemps que je lui aurais demandé de me présenter à vous si je n'avais pas su que vous étiez à Pau !

MME PONTAGNAC
À Pau ?

PONTAGNAC (à part.)
Allons, bon !(Haut, faisant pirouetter Vatelin pour se mettre entre lui et sa femme)
Mais non ! Mais non ! Quoi, Pau ? Où ça, Pau ? Où allez-vous prendre Pau ?

VATELIN
Comment, où je vais prendre ?…

PONTAGNAC
Mais oui, quoi ! Qui est-ce qui vous a parlé de Pau ?

VATELIN (qui veut se rattraper.)
Non, Pau !… Je dis "Pau"… Je veux dire : si j'avais su que vous étiez… que vous étiez…

PONTAGNAC
Mais nulle part !

VATELIN (ne sachant à quel saint se vouer.)
C'est ça, que vous n'étiez nulle part !

PONTAGNAC
Allons, bien !(Bas)
Mais taisez-vous donc !

VATELIN
Je veux bien ! Je ne sais plus ce que je dis !
(Ils remontent. )

REDILLON (à part.)
Le monde où l'on patauge !

MME PONTAGNAC (à part.)
Décidément, je commence à croire que mes soupçons ne me trompaient pas.(Haut)
Oh ! mais, monsieur Vatelin, ne vous excusez pas ! Je savais que je n'aurais pas à compter sur votre visite, mon mari m'avait mise au courant de votre état.

PONTAGNAC (à part.)
Bien, voilà autre chose !

VATELIN
De mon état ?…

MME PONTAGNAC
Mais oui, étant perclus de rhumatismes.

VATELIN
Ah ! vous !

MME PONTAGNAC
Moi ? non, vous ! puisqu'on est obligé de vous traîner dans une petite voiture.

VATELIN
Permettez, c'est vous !…

MME PONTAGNAC
Non, c'est vous !

PONTAGNAC (allant à Vatelin.)
Mais oui, c'est vous ! quoi ! vous n'avez pas besoin de faire des coquetteries pour ma femme.

VATELIN
Ah ! c'est moi !… Bon ! bon !… Alors, moi aussi.

PONTAGNAC
Mais non, pas vous aussi !(Entraînant Vatelin à gauche)
Tenez, venez donc me faire voir votre galerie !… Je n'ai pas tout vu !… Je n'ai pas tout vu !

VATELIN
Ah ! je veux bien ! Allons voir la galerie !

MME PONTAGNAC
Edmond, veux-tu rester là !
(Lucienne se lève. )

PONTAGNAC
Voilà ! Je reviens ! Je reviens !

VATELIN
Nous revenons ! Nous revenons !
(Ils sortent à gauche. )

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