ACTE II - SCÈNE XV
LES MEMES, PONTAGNAC, LUCIENNE , PUIS LE GERANT, LE GROOM, CLARA , DES VOYAGEURS , ETC.
LUCIENNE (surgissant, suivie de Pontagnac.)
Ah ! c'est toi, misérable !
(Elle s'approche de lui et le prend par les épaules, Pinchard dans le mouvement perd l'équilibre et tombe assis par terre. Il a toujours le dos tourné aux autres personnages et n'a pu retirer qu'une seule bottine. )
LUCIENNE ET PONTAGNAC
C'est pas lui !
(Ils se précipitent dans la chambre de gauche. )
PINCHARD (se relève, sa bottine à la main et ; ne voyant plus personne, marche en boitant en cherchant de tous côtés.)
Eh bien ! où sont-ils ! par où sont-ils passés ?
VICTOR (entrant vivement du fond.)
Qu'est-ce qu'il y a, monsieur ! qu'est-ce qu'il y a ?
PINCHARD (mettant une pantoufle.)
Hein ?
CLARA (entrant de même.)
C'est monsieur qui sonne comme ça ?
PINCHARD
Moi !
LE GERANT (entrant comme les deux premiers.)
Ah çà ! monsieur, on ne sonne pas comme ça ! Vous allez réveiller tout l'hôtel !
PINCHARD
Comment ! mais est-ce que c'est moi qui sonne ?
UN VOYAGEUR (entrant, robe de chambre et bonnet de coton.)
Vous n'avez pas bientôt fini de sonner, monsieur !… Ma femme ne peut pas dormir !
DEUXIEME VOYAGEUR (entrant.)
Est-ce qu'on sonne comme ça ?
(Succession de voyageurs et voyageuses entrant en tenues diverses, brouhaha de réclamations.)
(Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi sonne-t-on ! Ce n'est pas bientôt fini ce train-là ! etc. )
PINCHARD
Ah çà ! qu'est-ce que c'est que tous ces gens-là ? Voulez-vous vous en aller !
LE GERANT
Oui, quand vous aurez fini de sonner !
TOUS
Oui ! oui !
PINCHARD
Où ça, je sonne ? Où voyez-vous que je sonne ? Qui voyez-vous sonner ? Est-ce que c'est ici qu'on sonne ?
LE GERANT
Mais enfin, monsieur !
PINCHARD
Est-ce que c'est une façon d'entrer chez les gens ? Allons, fichez-moi le camp !
TOUS (le conspuant.)
Oh !
PINCHARD (furieux, près du lit.)
Voulez-vous me fiche le camp !(Pour donner plus de force à son injonction, sur le mot "fiche le camp", il scande chaque syllabe en la ponctuant d'un coup de poing sur le matelas, le timbre répond par une courte sonnerie : "Drin ! Drin ! Drin !" Pinchard s'arrête, étonné, regarde son matelas, et, à froid, redonne trois coups de poing successifs, et le timbre, par conséquent, de lui répondre par trois nouvelles sonneries séparées : "Drin ! Drin ! Drin !")
Ah çà ! mais c'est dans le lit que ça sonne !
TOUS
Dans le lit ?…
PINCHARD
Mais absolument !(Il retire le timbre qui est sous le matelas à sa place.)
Ah ! çà ! en voilà une plaisanterie !… Je voudrais bien connaître le farceur qui s'amuse à faire des facéties pareilles !
TOUS (étonnés.)
Ah !
PINCHARD
Et tenez ! ça continue ! Je vous parie qu'il y en a un autre sous le … sous ma femme ?
(Tout le monde se dirige vers le fond. Le Gérant et les voyageurs s'engagent dans la ruelle et vont retirer l'autre timbre. )
MME PINCHARD (qui ne comprend rien du tout à ce qui se passe.)
Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce que vous me voulez ? mon ami ! Pinchard ! des hommes après moi !
PINCHARD
C'est pas à toi qu'on en a.
LE GERANT
Ne craignez rien, madame.(Trouvant le timbre)
Eh oui ! En voilà un autre !
PINCHARD (prenant le timbre et descendant.)
Là ! Qu'est-ce que je vous disais ? Ah çà ! je voudrais bien savoir ce que ça signifie, tout ça !
LE GERANT
Mais, monsieur, je n'y comprends rien !
PINCHARD
Si c'est comme ça qu'on s'amuse aux dépens des voyageurs dans votre hôtel, je me plaindrai, vous savez !
LE GERANT
Oh ! monsieur, je vous assure…
PINCHARD (donnant les timbres au gérant.)
Allons, c'est bien ! Allez-vous en tous ! et laissez-nous tranquilles.(Tout le monde sort ; il referme brutalement la porte sur les sortants)
Eh bien ! en voilà une caserne !
(Il gagne la droite. )
MME PINCHARD (à genoux dans le lit, un oreiller devant elle.)
Mais qu'est-ce qu'il y a ?
PINCHARD (s'asseyant près de la table.)
Elle n'a rien entendu ! Eh bien ! Coco, tu en as de la veine, toi !
MME PINCHARD
Qu'est-ce qu'ils voulaient, Tous ces gens-là ?
PINCHARD (accompagnant son dire d'un geste négatif de la tête.)
Rien ! rien !
(Il retire sa seconde bottine. )
MME PINCHARD
Oh ! ils m'ont fait peur ! Mes douleurs commençaient à se calmer, voilà qu'elles m'ont reprise de plus belle.
(Elle se recouche. )
PINCHARD (se levant.)
Oh ! les animaux ! Ecoute, tu devrais te mettre un cataplasme.
(Il met sa seconde pantoufle. )
MME PINCHARD
Quoi ?
PINCHARD (sans voix.)
Si tu mettais un cataplasme !
MME PINCHARD
Comment veux-tu que je te comprenne !… Tu me parles à contre-jour, je ne vois pas ce que tu me dis !
PINCHARD (prenant la bougie et s'éclairant la figure, sans voix.)
Tu devrais te mettre un cataplasme.
MME PINCHARD
Ah ! je crois bien ! avec quelques gouttes de laudanum, ça me ferait du bien. Mais où aller le chercher ?
PINCHARD (montrant son sac et sans voix.)
J'ai ce qu'il faut là-dedans ! il n'y a qu'à le faire ! attends !(Il va sonner, puis ouvrant son sac, il en tire un paquet contenant de la farine de lin. À part)
Quand je l'ai vue malade au départ, je me suis muni, en cas ! Il y avait un petit coin de libre dans le sac, elle voulait y fourrer du pain et du jambon,… moi j'ai préféré y mettre un cataplasme ! Je vois que j'ai bien fait !