ACTE II - SCÈNE III
ARMANDINE, REDILLON
REDILLON (de la porte.)
Bonjour !
ARMANDINE
Vous !
REDILLON
Moi.
(Il descend et pose son chapeau sur la cheminée. )
ARMANDINE
Ah ! ben vrai !… Vous savez ! ça ! eh ! bien ! vrai !
REDILLON
Voilà comme je suis, moi !
ARMANDINE
Et ça va bien depuis l'autre fois ?
REDILLON
Très bien ! Vous permettez ?
ARMANDINE
Quoi ?
(Rédillon contracte sa bouche en rond pour lui montrer qu'il veut l'embrasser. )
ARMANDINE
Oui ! oui !
(Ils s'embrassent sur les lèvres. )
REDILLON
C'est bon !
ARMANDINE
Tu m'aimes donc ?
REDILLON
Je t'adore !
ARMANDINE
T'es pas long !… Comment que tu t'appelles ?
REDILLON
Ernest !
ARMANDINE
Ernest quoi ? T'as bien un autre nom ? Ton père t'a pas reconnu ?
REDILLON
Si, si, si ! Rédillon !
ARMANDINE
C'est bête ce nom-là !
REDILLON
Il y a si longtemps qu'on le porte dans ma famille.
ARMANDINE
D'ailleurs, ce n'est pas le nom qui fait l'homme, n'est-ce pas ? Regarde-moi. Tu es joli, tu sais !(Rédillon fait une moue)
. Tu ne sais pas ce que je trouve ?
REDILLON
Non !
ARMANDINE
Tu ressembles à mon amant !
REDILLON
Ah !
ARMANDINE
On ne te l'a jamais dit ?
REDILLON
Non ! Qu'est-ce que c'est que ton amant ?
ARMANDINE (le repoussant.)
Comment ce que c'est que mon amant ! mais c'est un type très chic, tu sais !… C'est le baron Schmitz- Mayer.
(Elle va s'asseoir sur le canapé. )
REDILLON
C'est un juif ?
(Il s'assied. )
ARMANDINE
Oui, mais il n'a pas été baptisé !… C'est le Schmitz-Mayer qui monte en steeple ; oh ! tu ne connais que lui. C'est lui qui a gagné tant d'argent dans cette émission, comment donc… Tu sais bien, les journaux en ont parlé ! Ca ne vaut plus un clou aujourd'hui.
REDILLON
Il y en a tant.
ARMANDINE
Oh ! mais si ! Tiens, c'est sa sœur qui a épousé le duc…
REDILLON
Non, mais dis donc, je ne suis pas venu ici pour entendre la généalogie de ton amant !
ARMANDINE
Le pauvre garçon !… Il fait ses vingt-huit jours en ce moment, c'est pour cela qu'il n'est pas là.
REDILLON
Eh ! bien ! tant mieux !… À la caserne ! À la caserne !(Se levant)
Ma petite Armandine !
ARMANDINE
Quoi ?
(Rédillon tend ses lèvres comme précédemment. )
ARMANDINE (se levant.)
Ah !(Elle l'embrasse longuement)
Tu sais, j'ai vu tout de suite que tu me faisais de l'œil, hier, au théâtre !
REDILLON
Oui-dà !
ARMANDINE
C'était Pluplu qui était avec toi dans la loge ?
REDILLON
Oui. Tu la connais ?
ARMANDINE
Oh ! je la connais ! Comme elle me connaît ! de vue ! C'est une femme chic ! C'est même ça qui m'a donné envie de toi.(Descendant à gauche)
Sans ça, j'aurais pas répondu à tes œillades, parce que tu sais, quand je ne connais pas les gens, moi, d'habitude…
REDILLON
Aha ?
ARMANDINE
Mais qu'est-ce que tu veux ! le monsieur d'une femme chic, il n'y a pas… C'est stimulant !… C'est pour ça que je t'ai fait passer ma carte par l'ouvreuse pendant l'entr'acte.
REDILLON
Oui-dà ! alors, c'est à Pluplu que je dois…
ARMANDINE
Ne va pas lui dire tout ça au moins ! Si nous devons…
REDILLON
T'es bête !
ARMANDINE
Ah ! non, ou alors il n'y a rien de fait… parce que tu sais, je ne voulais pas lui faire une saleté.
(Elle remonte à la cheminée. )
REDILLON (la suivant.)
Mais sois donc tranquille !… T'es rudement bien faite, tu sais… C'est à toi tout ça ?
ARMANDINE
Mais dame ! à qui veux-tu que ce soit ?
REDILLON (la prenant dans ses bras.)
Mais… à moi !…
(Il l'embrasse. )
ARMANDINE
Aha ! gourmand !… mais tu me le rendras ?
REDILLON
Naturellement.
ARMANDINE
Ah ! oui, parce que… qui qui ne serait pas content ? C'est Schmitz-Mayer !
REDILLON (la quittant et descendant.)
Ah ! zut ! alors ! Si tu ne me parlais pas tout le temps de ton Schmitz-Mayer !
ARMANDINE (descendant.)
Ah ! ce qu'il m'aime, lui !… Il est drôle ! Tu ne sais pas ce qu'il me dit toujours : "Je t'aime parce que tu es bête !" N'est-ce pas que je ne suis pas bête ?
REDILLON
Mais non, tu n'es pas bête ! Ouh ! ma petite Armandine…
(Ils s'embrassent. )
ARMANDINE
Ouh ! mon petit… Comment donc déjà ?…
REDILLON
Ernest !
ARMANDINE
Mon petit Ernest !
REDILLON (s'asseyant à gauche et l'attirant sur ses genoux.)
Tiens ! viens sur mes genoux !
ARMANDINE
Oh ! déjà !
REDILLON
Oui, déjà !… Oh ! Lucienne ! Ma Lucienne !…
ARMANDINE (sur ses genoux.)
Comment Lucienne ! Je ne m'appelle pas Lucienne ! Je m'appelle Armandine !
REDILLON (toujours en extase.)
Non, Lucienne ! Laisse-moi t'appeler Lucienne ! Qu'est-ce que ça te fait, j'aime mieux ce nom-là ! Ah ! Lucienne !
ARMANDINE
Que tu es drôle !… Tiens, ça me rappelle une fois…
REDILLON (même jeu.)
Non, ça ne te rappelle rien ! Tais-toi, ne parle pas ! et embrasse-moi ! Lucienne ! ma Lucienne… Est-ce toi ! Est-ce bien toi !…
ARMANDINE
Mais non !
REDILLON
Mais tais-toi donc ! Je ne te demande pas de me répondre ! Ah ! dis-moi que c'est toi…
(On frappe à la porte. )
ARMANDINE
Qui est là ?
REDILLON (parlant sur la voix qui vient au fond, de façon à empêcher d'entendre.)
Oh ! Lucienne ! ma Lucienne !…
ARMANDINE (à Rédillon.)
Mais tais-toi donc aussi ! Il n'y a pas moyen d'entendre.(Dans la direction de la porte.)
Qui est là ?
VOIX DE VICTOR
Victor, madame, le chasseur.
ARMANDINE
Ah ! c'est toi ! Entre !