ACTE II - SCÈNE VIII



CLARA, PONTAGNAC ET LUCIENNE

CLARA (riant.)
Hein ! Eh ! bien, le voilà parti ! Ah ! bien, il est plutôt spécial, l'égaré de la Cour !… Allons ! allons chercher les oreillers !
(Elle sort par le fond. On entend un bruit de clé dans la serrure de la porte de gauche et Pontagnac suivi de Lucienne se glisse avec circonspection. )

PONTAGNAC
Vous pouvez venir, il n'y a plus personne !

LUCIENNE
Alors, c'est ici ?

PONTAGNAC
C'est ici !

LUCIENNE
Dans cette chambre ?

PONTAGNAC
Le 39 ! Parfaitement !

LUCIENNE (s'asseyant sur le fauteuil.)
Quelle turpitude !… Et dire que c'est dans cette chambre !… Elle a plutôt l'air honnête, cette chambre ! Menteuse ! Que c'est dans cette chambre que, tout à l'heure, mon mari avec une autre…

PONTAGNAC (retirant ses gants.)
Avec une femme !

LUCIENNE (se levant.)
Oui ! Et alors tous les deux, lui, comme je le connais dans l'intimité… avec ses mots, ses tendresses, ses riens, et elle, elle, comme je ne la connais pas… avec ses… est-ce que je sais, moi ? et alors ? Oh ! non, non je ne peux pas, je ne veux pas ! O Dieu ! vous pourrez assister à cela de sang-froid, vous ?

PONTAGNAC
Mon Dieu, si le geste est beau !

LUCIENNE (passant à droite.)
Ah ! taisez-vous. Je ne vois que trop ! Je ne me représente que trop ! D'affreuses images se dressent devant mes yeux ! Ah ! non, non, je ne veux pas voir, je ne veux pas voir !(Elle met la main sur ses yeux.)
Ah ! et puis non, j'aime encore mieux garder les yeux ouverts ; quand je les ferme ; j'y vois encore mieux !…

PONTAGNAC
Je vous en prie, ne vous énervez pas comme ça !

LUCIENNE
Oh ! il me semble que j'en veux à tout ce qui m'entoure.(Elle remonte en passant derrière le canapé)
À ces murs de leur complicité, à ces meubles pour ce dont ils vont être témoins, à cela… Oh ! non, non, ça, je ne veux pas ! Je ne veux pas ! La sonnette, où est la sonnette ?

PONTAGNAC (l'arrêtant.)
La sonnette ! Pourquoi faire ?

LUCIENNE
Je vais faire enlever le lit !

PONTAGNAC
Ah ! mais non, mais vous n'y pensez pas !… Ah, çà voulez-vous surprendre votre mari, oui ou non ?

LUCIENNE
Oh ! oui, certes, je le veux !

PONTAGNAC
Eh ! bien, alors, si vous voulez avoir la preuve matérielle du délit, ne lui enlevez pas le moyen de se manifester.

LUCIENNE
Oh ! mais c'est épouvantable, l'épreuve que vous m'imposez.
(Ils descendent un peu. )

PONTAGNAC
Nous tâcherons de ne pas la prolonger inutilement.

LUCIENNE
Oh ! oui.

PONTAGNAC
Pourvu que nous arrivions au moment psychologique !

LUCIENNE
Avant, oh ! avant !

PONTAGNAC
Eh ! bien oui, c'est ce que je veux dire : pas trop tôt pour ne pas voir arriver les violons et pas trop tard…

LUCIENNE
Pour que la musique n'ait pas eu le temps de commencer.

PONTAGNAC
Voilà !

LUCIENNE
Oui, c'est ça ! Mais comment saurons-nous ?…

PONTAGNAC (allant à la table.)
Eh ! bien, j'y avais déjà réfléchi, et mon moyen, le voici !
(Il montre deux timbres électriques enveloppés dans un papier et qu'il avait posés sur la table. )

LUCIENNE
Qu'est-ce que c'est que ça ? des timbres électriques !

PONTAGNAC
Vous l'avez dit ! Savez-vous ce que c'est que la pêche au grelot ?

LUCIENNE
Non !

PONTAGNAC
Eh ! bien ! c'est ça, la pêche au grelot. On met un grelot au bout d'une ligne et c'est le poisson lui-même qui sonne pour avertir le pêcheur qu'il est pris. C'est tout simplement ce procédé-là que j'applique à l'usage de Vatelin.

LUCIENNE
Vous allez pêcher mon mari au grelot ?

PONTAGNAC
Vous l'avez dit, et c'est lui-même et sa… compagne qui auront la complaisance de nous sonner au moment voulu.

LUCIENNE
Oh ! voyons, quelle bêtise !…

PONTAGNAC
Bêtise ? Tenez ! vous allez voir comme c'est facile !(Remontant au lit, suivi de Lucienne)
Quel est le côté habituel de votre mari ?

LUCIENNE
Le bord.

PONTAGNAC
Le bord, bon ! par conséquent, madame, c'est la ruelle ! Le bord, la ruelle ! Bien ! Ceci dit, je prends ces deux timbres électriques ! Le gros, là.(Il fait sonner l'un des timbres. Sonnerie grave)
Nous dirons que c'est Vatelin ! Et celui-ci.(Il fait sonner l'autre timbre. Sonnerie aiguë)
Ce sera madame !(Les faisant sonner successivement)
Monsieur, Madame ! Bien ! Je place Monsieur ici.
(Il glisse le premier timbre sous le matelas du lit, à la place que Lucienne a indiquée comme devant être celle de Vatelin.)(Faisant le tour du lit et apparaissant dans la ruelle.)
Et Madame, là ! Il glisse l'autre timbre sous l'autre côté du matelas.

LUCIENNE
Oui, et puis ?

PONTAGNAC
Quoi, "Et puis ?" Et puis voilà, ça y est, c'est amorcé.

LUCIENNE
Comment, ça y est ?

PONTAGNAC (dans la ruelle.)
Eh ! bien, oui, nous n'avons plus qu'à attendre que ça morde. L'un des deux pénètre dans le lit, crac, une sonnerie ! Nous ne bougeons pas, il n'y a qu'un poisson de pris. Soudain la seconde arrive renforcer la première, ça y est ! nous les tenons tous les deux.
(Il quitte la ruelle du lit. )

LUCIENNE
Mais c'est très ingénieux.

PONTAGNAC
Oh ! Non, c'est génial, voilà tout !
(Bruit de voix au fond. )

PONTAGNAC (prenant sa canne et son chapeau.)
J'entends du bruit, c'est peut-être nos personnages.
(Il remonte à gauche. )

LUCIENNE
Eux ! je vais leur crever les yeux !

PONTAGNAC (l'arrêtant.)
Ah ! là ! ils ne sont pas encore arrivés que vous voulez déjà leur crever les yeux ? Vite, venez, nous n'avons que le temps.
(Il la fait passer devant lui. )

LUCIENNE (comme si elle parlait à son mari.)
Ah ! tu ne perdras rien pour attendre !
(Ils sortent de gauche et l'on entend, après leur sortie, le bruit de la clé dans la serrure. En même temps la porte du fond s'ouvre pour laisser passage à Maggy suivie de Clara portant deux oreillers. )

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