ACTE II - SCÈNE IV
LES MEMES, VICTOR , PUIS CLARA
VICTOR (entrant.)
Madame, est-ce qu'on peut…(Scandalisé en voyant Armandine sur les genoux de Rédillon.)
Oh !(Avec découragement)
Oh !
ARMANDINE
Qu'est-ce qu'il y a, petit ?
VICTOR (d'une voix douce et tendre.)
Madame, c'est pour savoir si on peut faire transporter la malle.
ARMANDINE
Oui, oui !
REDILLON (à Victor.)
Quelle malle donc !
VICTOR (brutalement à Rédillon.)
Eh bien ! la malle qui est là ! pas celle du grand Turc !
REDILLON (se levant et allant à Victor.)
Dites donc ! en voilà une façon de me répondre ! Je vais vous faire voir, moi, si c'est pas celle du grand Turc ! A-t-on jamais vu !
ARMANDINE
Oh ! bien, ne le bouscule pas ce petit, il est très gentil !
REDILLON
Je ne te dis pas ! mais je lui apprendrai à me parler poliment.
ARMANDINE
Oh ! bien va, ça ne vaut pas la peine ! Tiens, donne-lui cent sous !…
REDILLON
Hein ! Comment ! Après la façon…
ARMANDINE
Quoi ! Tu ne vas pas me refuser de lui donner cent sous !
(Elle s'asseoit à gauche. )
REDILLON
Evidemment ce n'est pas pour les cent sous… Mais enfin, vraiment !…(Tendant une pièce de cinq franc à Victor.)
C'est bien, voilà cent sous pour cette fois, mais que cela ne vous arrive plus.
(Il passe à droite. )
VICTOR (sèchement)
Merci. (Empochant et entre ses dents.)
Cochon !
REDILLON (qui n'a pas entendu.)
Je suis comme ça, moi !
VICTOR (la voix tendre, à Armandine.)
Madame, je vais chercher la femme de chambre pour qu'elle m'aide à porter la malle !
ARMANDINE (assise à gauche.)
C'est ça, va, petit !
(Victor sort. )
REDILLON (grommelant.)
Au moins, il saura ce qu'il en coûte de me parler impoliment.
ARMANDINE
Ah ! bien, ce pauvre petit, il ne faut pas lui en vouloir. Il est énervé en ce moment, il est malade.
REDILLON
En voilà une raison ! Je m'en fiche, moi, qu'il soit malade !…
ARMANDINE
Si tu avais ce qu'il a !
REDILLON
Qu'est-ce qu'il a donc ?
ARMANDINE
Je ne sais pas bien ce que c'est ! Il paraît qu'il a de la puberté !
REDILLON
De la puberté ! Comment, de la puberté !
ARMANDINE (appuyée sur le bras du fauteuil.)
Parfaitement ! C'est le médecin qui l'a dit !
REDILLON
C'est ça, sa maladie ?… Ah ! bien vrai, je vais le plaindre !
ARMANDINE
C'est grave ?…
REDILLON
La puberté ? Ah ! oui !
ARMANDINE (se levant tout à fait.)
Ca ne se gagne pas au moins ?
REDILLON
Oh ! non, malheureusement ! Sans ça, cristi ! v'là un virus qui vaudrait de l'argent.
VICTOR (entrant, à Clara qui le suit.)
Tenez, aidez-moi !
CLARA
Cette malle-ci ?
VICTOR
Oui, à la descendre au 17…(Revenant prendre le sac sur la table)
Ah ! le sac !…
(Ils emportent la malle et le sac )
REDILLON (allant à elle.)
Ah, çà ! tu déménages donc ?
ARMANDINE
Oui, cette chambre ne me plaît pas. J'en ai demandé une sur la rue.
REDILLON
Je ne vois pas ce qu'il y a de plus agréable à être sur la rue. Enfin, va pour la nouvelle chambre. Allons dans la nouvelle chambre.
(Il va prendre son chapeau sur la cheminée. )
ARMANDINE
Nous ? pourquoi faire ?
REDILLON (descendant.)
Comment, pourquoi faire ?(Malicieusement)
T'es bête.
ARMANDINE
Oh ! non, non, mon ami, non, pas ce soir !
REDILLON
Quoi ?
ARMANDINE
Oh ! il n'y a pas de "quoi" !(Passant à droite)
Impossible, mille regrets !
REDILLON
Ah, çà ! c'est sérieux ! Ah ! bien, t'en as une santé ! Alors… non mais… Tu t'imagines que je vais m'en aller comme ça… le bec dans l'eau !
ARMANDINE (adossée à la table.)
Puisqu'il n'y a pas moyen ! J'attends un ami à onze heures !
REDILLON (allant s'asseoir sur le lit.)
Un ami ! en voilà une raison ! Qu'est-ce que c'est que cet ami-là ?
ARMANDINE
Un monsieur de Londres ! Tu ne le connais pas. Monsieur Soldignac. Et alors, chaque fois qu'il vient à Paris…
REDILLON
Mais c'est dégoûtant ce que tu me dis là !
ARMANDINE (passant à gauche.)
Enfin, quoi ! puisqu'il va venir !
REDILLON (se levant et descendant.)
Eh bien ! n'y sois pas ! Sais-tu, viens chez moi !
ARMANDINE
Comment, chez toi !
REDILLON (lui prenant le bras. Jeu de scène.)
Eh bien ! oui, chez moi ! J'ai un chez moi ; est-ce que tu crois que je loge sous les ponts ?
ARMANDINE
Mais que lui dire, à lui ?
REDILLON
Eh bien ! tu lui feras dire que tu as été veiller ta mère qui est très malade ; c'est vieux comme le monde et ça prend toujours.
ARMANDINE
Oh ! c'est pas chic !
REDILLON
Mais si, mais si, c'est très chic ! Tiens, mets ton chapeau et je t'emmène.
ARMANDINE (allant à la cheminée. Elle prend son chapeau placé sur la cheminée avant le lever du rideau.)
C'est pas chic, mais ça me tente.
(On frappe. )
REDILLON, ARMANDINE
Entrez !