ACTE II - SCÈNE XIV



VATELIN, MAGGY , PUIS PINCHARD, MME PINCHARD

VATELIN (qui est allé à la porte de droite.)
Vite ! Maggy !

MAGGY (entrant.)
Je pouvais venir ? Ils sont partis ?

VATELIN
Ah ! oui, "partis" ! ils sont là à m'attendre ! je suis obligé d'aller faire une partie de billard avec votre mari ! Je vous en prie, pendant ma courte absence, ne bougez pas de cette chambre où je vous enferme, et j'emporte la clé pour plus de sûreté. Maintenant, si on venait, cachez-vous dans ce cabinet et n'en sortez que quand je serai venu vous y chercher… Est-ce compris ?

MAGGY
Ah ! yes !

VOIX DE SOLDIGNAC
Vatelin ! Vatelin !…

VATELIN (vivement.)
Lui ! cachez-vous !
(Maggy n'a que le temps de se cacher en se collant contre le lit. )

SOLDIGNAC (sur le pas de sa porte.)
Eh bien ! voyons, Vatelin !

VATELIN
Mais, voilà ! je viens, je viens !
(Il sort en ayant soin d'emporter la clé et de fermer à double tour derrière lui. )

MAGGY (seule, descendant en scène.)
Ah ! que j'ai eu peur ! Ah ! Dieu, quand j'ai vu mon mari là, tout mon courage il est parti ! Ah ! non ! non ! je veux plus, je veux me en aller…(Cherchant son costume sur la chaise où elle croit l'avoir déposé.)
Ma costume !… Où il a mis ma costume !…(On entend parler dans le couloir)
Ah ! mon Dieu, qu'est-ce que c'est encore !…
(Elle se précipite dans la pièce de droite. )

VOIX DE PINCHARD
Allons bon ! la clé n'est pas sur la porte et j'ai oublié de la demander en bas !(Appelant)
Garçon ! voulez-vous m'ouvrir, s'il vous plaît ?

VOIX DE @GARÇON
Voilà, monsieur.
(La clé tourne dans la serrure. La porte s'ouvre et Pinchard et Mme Pinchard entrent. Le garçon s'efface pour les laisser passer. )

PINCHARD
Merci, garçon.

LE GARÇON
Il n'y a pas de quoi, monsieur.
(Il referme la porte. )

PINCHARD (à sa femme qu'il soutient en la faisant avancer.)
Là ! là ! ne geins pas ! ça se passera ! Tiens, assieds-toi là.(Il la fait asseoir.)
Sacrées crises hépatiques. va ! Il a fallu que ça la reprenne au théâtre. Nous avons dû nous en aller avant la fin.(Apercevant son sac.)
Ah ! ils ont remonté mon sac ! je savais bien que j'avais dû le laisser en bas.(À sa femme qui le regarde d'un air doux et souffreteux. Ceci et les phrases suivantes sans voix en articulant seulement.)
Eh bien ! ça ne va pas mieux ?(Mme Pinchard fait "non" de la tête)
Tu as toujours mal ?(Mme Pinchard fait "oui" de la tête)
Montre ta langue !(Mme Pinchard tire la langue)
Elle n'est pas mauvaise !(Mme Pinchard fait une moue signifiant : "elle ne doit pas être bonne".)
Sais- tu, tu devrais te coucher.(Signe de Mme Pinchard : "tu crois ? tu as peut-être raison".)
Mais oui !(Mme Pinchard fait de la tête, avec un sourire triste : "Bonsoir".)
Bonsoir !(Elle remonte un peu, puis revient à son mari et l'embrasse. Haut.)
Ah, oui ! l'anniversaire.(Il l'embrasse sur le front)
Vingt-cinq ans !…(Elle va, d'un pas languissant, entre le mur et la ruelle du lit, pour se déshabiller.)
Moi, je vais lui préparer une potion calmante.(Il va à la cheminée, prend la bougie allumée et vient à la table sur laquelle il pose le flambeau, puis cherchant dans son sac.)
Où est ma pharmacie !(Sortant ses pantoufles.)
Mes pantoufles !(Il les jette devant lui, tire une autre paire.)
Ah ! les siennes. Tiens coco !… pantoufles !… Hé ! Mules !…
(Il va les porter à sa femme. )

MME PINCHARD (derrière le lit.)
Merci !

PINCHARD (de son sac, sortant une camisole.)
Ah ! un caraco !(À sa femme)
Coco ! Caraco !
(Il lui passe sa camisole. )

MME PINCHARD
Merci !…
(Elle la met. )

PINCHARD (redescend à son sac.)
Ah ! voilà ma pharmacie.(Ouvrant sa pharmacie de voyage)
Laudanum ! Laudanum ! Voilà le laudanum.

MME PINCHARD (de l'autre côté du lit.)
Mon démêloir, passe-moi mon démêloir.

PINCHARD (tirant un démêloir du sac.)
Le démêloir ! voilà !(Il le lui passe par-dessus le lit puis, prenant le verre qui est sur la table de nuit au pied du lit, la carafe et la cuillère.)
Voyons, préparons cela !
(Il redescend à la table et prépare la solution. Mme Pinchard, en jupon, sans corsage, les cheveux sur les épaules, s'assied sur le lit pour se démêler ; le timbre, placé sous le matelas à la place qu'elle occupe, se met naturellement à sonner d'une façon continue. Pinchard n'y fait pas attention. Il s'assied à la table. )

PINCHARD (comptant les gouttes.)
Une, deux, trois… Ah ! çà ! quel est l'animal qui s'amuse à sonner comme ça à cette heure-ci ?… Quatre, cinq, six, voilà six gouttes !(Il pose le verre sur la table et se lève.)
Oh ! mais il commence à m'embêter avec sa sonnerie !(Courant ouvrir la porte du fond et criant dans le couloir)
Vous n'avez pas bientôt fini, là-bas, le sonneur !

UNE VOIX DANS LE COULOIR
Ah çà ! qui est-ce qui sonne comme ça, donc ?

PINCHARD (répondant à la personne.)
Je ne sais pas, monsieur, c'est insupportable !(Criant)
Assez, là ! il y a des gens qui dorment !

MME PINCHARD (se levant pour aller voir, la sonnerie cesse.)
Qu'est-ce qu'il y a donc ?

PINCHARD (n'entendant plus sonner.)
Ah ! ça cesse, c'est pas trop tôt !

LA VOIX
Oui, il était temps ! Bonsoir, monsieur.

PINCHARD
Salue bien, monsieur.
(Il referme la porte du fond. )

MME PINCHARD
Qu'est-ce qu'il y a donc eu, Pinchard ?

PINCHARD
Rien, rien.(La poussant du côté du lit.)
Va, couche-toi, il est tard, je vais en faire autant. Je l'ai bien fait taire, cet animal !(Il retire son dolman ; pendant ce temps, Mme Pinchard se couche. La sonnerie reprend de plus belle.)
Allons, bon ! les voilà qui recommencent ! C'est assommant à la fin !(S'appuyant sur le lit pour retirer ses souliers et mettre ses pantoufles, le timbre qui est de son côté se met à sonner conjointement avec l'autre.)
Comment, en voilà un autre qui se met de la partie !… Ce n'est pas possible, il y a un concours de timbres dans l'hôtel !… On n'a pas idée d'un pareil charivari !… Il se met à retirer ses bottines en tournant le dos à la porte de gauche.

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