Prologue - Scène VI
(MADAME FOLLENTIN MARTHE, PUIS GABRIEL, @EBRAHIM FOLLENTIN)
(On voit la porte du fond s'ouvrir et la tête de Gabriel qui paraît.)
GABRIEL
Il est entré dans sa chambre ?
MARTHE
Ah ! vous !
MADAME FOLLENTIN
Mais c'est de la folie !
MARTHE
Mais par où êtes-vous entré ?
GABRIEL
Par nulle part ! Je n'étais pas sorti ! J'ai fait simplement claquer la porte pour faire croire !
MARTHE
Mais allez-vous-en ! Papa est à côté, il peut venir.
GABRIEL
Oui, je m'en vais. Mais dans l'intérêt même de votre père, il faut que nous puissions nous revoir pour nous entendre, nous concerter.
MARTHE
Oui !… Eh bien !… (Coup de sonnette.)
Oh !…
MADAME FOLLENTIN
Quelqu'un !
MARTHE
C'est bon, je chercherai, je vous ferai savoir. Vite ! Filez !
GABRIEL
Je me sauve ! Il se dirige vers la porte du vestibule.
MADAME FOLLENTIN
Pas par là !
MARTHE
Vous pourriez vous cogner avec papa allant ouvrir !
MADAME FOLLENTIN(ouvrant la porte du fond à droite)
. Venez, par ici ! Attendez qu'on vienne vous chercher. (Gabriel sort. Follentin entre de gauche.)
Oh !
FOLLENTIN(sortant de sa chambre en pantalon de soirée et en bretelles, en train de nouer sa cravate. Il a son gilet et son habit sous le bras)
. Eh bien ! qui est-ce qui a sonné ?
MARTHE
On a sonné ?
MADAME FOLLENTIN
Nous n'avons pas entendu !
FOLLENTIN
Oui, on a sonné ! (Nouveau coup de sonnette.)
. Tenez !
MADAME FOLLENTIN(allant ouvrir)
. J'y vais !
FOLLENTIN
Vous n'avez donc d'oreilles que pour votre Gabriel. (Madame Follentin va ouvrir la porte d'entrée. Ebrahim paraît avec le collectionneur.)
MADAME FOLLENTIN
Vous désirez, Monsieur ?
EBRAHIM
Che suis Monsieur Ebrahim, marchand d'andiquidés !
MADAME FOLLENTIN
Ah ! parfaitement ! (A Follentin.)
Adolphe, Monsieur Ebrahim, marchand d'antiquités, mon ami !
FOLLENTIN(se faisant aimable)
. Entrez donc, Messieurs, entrez donc ! Excusez-moi de vous recevoir comme ça, je suis en train de m'habiller !
EBRAHIM
Che vous en prie ! Fous m'avez fait dire, Monsieur, que fous aviez une bendule à vendre !
MADAME FOLLENTIN
La pendule !
MARTHE
Comment, papa, tu veux laver la pendule ?
FOLLENTIN
Chut ! Chut !… mes enfants, tout à l'heure. (Pendant ce qui suit, Madame Follentin et Marthe enlèvent le couvert tout en prêtant l'oreille. A Ebrahim.)
En effet, Monsieur, il s'agit d'une pendule qui nous vient de famille !
EBRAHIM(sceptique)
. Les bendules qu'on fend fiennent toujours de famille.
FOLLENTIN
Oh ! permettez, Monsieur. Pour celle-là, je vous la garantis, elle a appartenu à Barras lui-même, de qui je descends par ma mère, et Barras la tenait lui-même de son père, le père Barras !
EBRAHIM
Ah ! Ah ! Eh ! pien, foilà !… Monsieur qui est collectionneur, si la bendule lui blaît et si vous êtes et raisonnaple, je ne tis pas que nous ne ferons pas une betite affaire.
FOLLENTIN
Voyez, Monsieur, examinez tout à votre aise. Voici la pendule de Barras. Approchez, Monsieur, approchez.
EBRAHIM(lance un coup d'œil au collectionneur en faisant claquer sa langue. A mi-voix)
. Recardez.
LE COLLECTIONNEUR(avec un mouvement, d'admiration)
. Oh ! qu'elle est belle !
@EBRAHIM (BAS)
.
Chut ! Bas de chestes !
FOLLENTIN
Maintenant, Monsieur, si pour faciliter l'affaire, il vous convenait de prendre les candélabres avec… (Il indique les candélabres affreusement modernes.)
LE COLLECTIONNEUR(à Ebrahim, vivement)
. Non.
FOLLENTIN
Comme vous voudrez ! (Il s'éloigne par discrétion.)
EBRAHIM
Est-elle bien bure ?… On en a fait tant de Louis XV, sous Louis-Philippe.
FOLLENTIN
Mais, Monsieur, puisque je vous dis qu'elle me vient de Barras !
EBRAHIM
Oui !… Enfin ! Follentin va discuter bas avec sa femme et Marthe.
LE COLLECTIONNEUR (bas)
C'est une merveille ! Offrez cinquante mille francs !
EBRAHIM(bas)
. Taisez-vous !… J'ai l'hapitude. Tenez ! Foulez-vous que je vous dise ! Allez donc vous en !
LE COLLECTIONNEUR
Moi ?
EBRAHIM
Oui !
Prenez un petit air indifférent, et pour le reste, rabbortez-vous en à moi.
LE COLLECTIONNEUR
Bien ! (A Follentin.)
Eh bien ! voilà, Monsieur, j'ai vu… merci… Ne vous dérangez pas !
FOLLENTIN
Eh !… bien, il s'en va ?
EBRAHIM(ouvrant de grands bras)
. C'est glagué !
FOLLENTIN
Comment, claqué. Il ne veut pas de la pendule ?
MADAME FOLLENTIN
Qu'est-ce qu'il lui reproche ?
MARTHE
Elle est pourtant bien belle !
EBRAHIM
Elle est bien pelle, elle est bien pelle ! et elle n'est pas bien pelle ! Entre nous, ce qui enlève un peu de sa valeur…
MARTHE
C'est qu'elle est à vendre !
EBRAHIM
Oh ! Matemoiselle !
MADAME FOLLENTIN(La rappelant à l'ordre)
. Marthe !
FOLLENTIN
Mais alors, qu'est-ce que nous allons faire ? Qu'est-ce que nous allons faire ?
EBRAHIM
Egoutez ! Vous me faites de la peine ! Qu'est-ce que vous en foulez, de votre pendule ?
FOLLENTIN
Je ne sais pas… la pendule de Barras ! Je l'ai fait voir à un connaisseur. Il l'a estimée à 25 000 francs.
EBRAHIM
25 000 francs ! Ecoutez, je suis un homme très rond en affaires ! Je crois qu'en vous payant cette bendule… qui est pien, mais qui n'est pas pien, pien, euh !… 1 800 francs…
FOLLENTIN
1 800 francs ! La pendule de Barras ! Vous êtes fou.
EBRAHIM
Ne vous emballez pas !
FOLLENTIN
Mais j'aimerais mieux laisser crever toute ma famille de faim que de vous la céder à ce prix-là !
MADAME FOLLENTIN ET MARTHE
Absolument !
EBRAHIM
Ah ! Vous êtes bon comme tous les autres. Dès qu'ils ont un pipelot te rien du tout, ils croient tout de suite qu'ils ont l'Opélisque ! Eh bien ! écoutez. Je vais faire une grande folie ! Il n'y a pas, vous me plaisez ; aussi, je vais vous offrir… 2 000 francs tout ronds !
FOLLENTIN
Deux mille francs !
EBRAHIM
Saisissez la palle au bond ! Ne me laissez pas le temps de réfléchir !
FOLLENTIN
2 000 francs ! Tenez, voilà ce que j'en fais, de vos 2 000 francs ! (Il prend sa feuille de contribution, en fait une boulette et la jette à terre.)
EBRAHIM
Vous faites ça avec parce que c'est du papier.
FOLLENTIN
Allez-vous-en, Monsieur, je vois rouge.
EBRAHIM
Pien ! Pien ! Mais la nuit porte conseil ! Quand vous serez décidé, vous viendrez trouver, le betit bère Ebrahim.
FOLLENTIN
Foutez-moi le camp !
EBRAHIM(en sortant)
. Votre serviteur ! (Il sort par le fond à gauche.)
@FOLLENTIN (FURIEUX)
.
Shylock ! (il descend. Coup de sonnette.)
Encore quelqu'un ! (Il ouvre et se trouve en face d'Ebrahim.)
EBRAHIM
Ecoutez, j'irai jusqu'à 2 500.
FOLLENTIN
Oh !
EBRAHIM
Foui !… (Il sort par le fond gauche.)
FOLLENTIN(arpentant la scène)
. Oh ! Oh ! Oh ! L'avez-vous vue, la sale humanité ! L'avez-vous vue dans toute son horreur !
MADAME FOLLENTIN
Mais, mon ami, comment allons-nous faire ?
FOLLENTIN
Je n'en sais rien ! (Il passe son gilet. On sonne.)
Ah ! non, mon vieux ! (A sa femme.)
Non, ne va pas ouvrir !… Oser m'offrir 2 000 francs d'une pendule qui vaut 25 000 ! (Nouveau coup de sonnette.)
Oui, sonne, va, sonne ! (Il met son habit, nouveau coup de sonnette.)
je vais lui flanquer mon pied quelque part. (Il se précipite à la porte d'entrée, qu'il ouvre.)
Espèce de fourneau ! (Il se trouve en face de Bienencourt.)
Bienencourt ! (La surprise le fait redescendre en scène.)