Acte III - Scène X
(FOLLENTIN LA COLLÉGIENNE PUIS LE MARCHAND DE FLEURS)
(A l'une des fenêtres de la maison de droite, qui est ouverte depuis le début de l'acte, parait une collégienne, la pipe à la bouche, un livre à la main.)
LA COLLÉGIENNE(apercevant Follentin.)
Ah ! ventre de mon père ! Le bel homme. (Lui faisant signe.)
Eh, psst ! (Follentin se retourne pour voir à qui s'adresse l'apostrophe)
Psst !
FOLLENTIN
Ah ! c'est à moi
LA COLLÉGIENNE
Attendez-moi un instant !… Je descends ! (Elle disparaît)
.
FOLLENTIN
Oh ! (A part.)
Qu'est-ce qu'elle me veut, cette petite ?
LA COLLÉGIENNE(projetée en scène par un toboggan qui émerge en dehors du mur de la maison. A cheval sur l'extrémité du toboggan. )
Bonjour m'sieur !
FOLLENTIN
Hein ! Comment !… Elle a pris la gouttière !
LA COLLÉGIENNE
Ce n'est pas une gouttière, monsieur, c'est le toboggan de la maison.
FOLLENTIN
Ah ! je ne savais pas qu'on avait adopté…
LA COLLÉGIENNE
Oh ! partout ! C'est si commode quand on est pressé.
FOLLENTIN
Et qu'est-ce que vous me voulez, ma petite fille ?
LA COLLÉGIENNE
Oh ! m'sieur, vous attendez quelqu'un ?
FOLLENTIN
Non, ma petite amie, non.
LA COLLÉGIENNE
Oh ! alors, si vous. n'attendez personne, on pourrait peut-être tous les deux…
FOLLENTIN
Quoi donc, ma petite fille ?
LA COLLÉGIENNE
Oh ! m'sieur ! Vous êtes beau !
FOLLENTIN
Hein !
LA COLLÉGIENNE
Vous ne voulez pas que nous allions prendre quelque chose au bar tous les deux ?…
FOLLENTIN
Nous !…
LA COLLÉGIENNE
Un petit apéritif, n'importe quoi !… un étherbrandy, une morphine-curaçao, quelque chose qui mette en appétit.
FOLLENTIN
Non ! Non ! je vous remercie bien !
LA COLLÉGIENNE
Oh ! m'sieur ! ne soyez pas cruel, si vous ne voulez pas aller au bar…, eh ! bien, on pourrait…
(Elle lui parle à l'oreille.)
FOLLENTIN
Quoi ?… Mais, ma parole, elle me fait des propositions !
LA COLLÉGIENNE
Oh ! m'sieur, m'sieur, tout ce que vous voudrez !… vous savez, j'ai 40 francs.
FOLLENTIN
Quand vous en auriez 40.000 ! C'est ça qui m'est égal ! Vous n'avez pas honte ! A votre âge !
LA COLLÉGIENNE
Quoi ! à mon âge ! J'ai quinze ans ! et toutes mes camarades ont de petits bons amis, des garçons de brasserie, ou des petits cocos du quartier.
FOLLENTIN
Eh bien ! c'est du joli !
LA COLLÉGIENNE
Et moi, encore rien ! (Couplets)
Seule dans ce collège, Vrai, c'est trop de candeur, Seule, vous l'avouerai-je ? J'ai conservé ma fleur. Toutes mes camarades, Plus heureuses que moi, S'offrent des rigolades, En me montrant du doigt. Oh ! ma chère, C'est la rosière, Oh ! là, là ! Vois-tu ça ! Zut, zut, zut, va te faire, lanlaire, Ça n'peut pas durer comme ça, N'y a qu'un' chose à faire, Hop ! ma vertu, hop ! la ! la ! Il y a que ça, petit père, Il y a que c'moyen-là ! Pas à me dire chiche, Quand j'ai que chose en moi, Ce soir, faut que ça biche, Ou ça dise pourquoi. Ah ! soyez le Messie, Le sauveur que j'attends, Que demain cette scie, Ait enfin fait son temps. Ah ! ma chère, C'est la rosière… (etc. etc. etc.)
FOLLENTIN
Oh ! mais elle est extraordinaire !
LA COLLÉGIENNE
Oh ! m'sieur, soyez, gentil !
FOLLENTIN
Mais non ! mais non !
LA COLLÉGIENNE
Ecoutez, voilà ce qu'on pourrait faire…
FOLLENTIN
Mais non ! mais non !
LA COLLÉGIENNE
Mais… laissez-moi parler, voyons ! Vous direz " mais non" après !… Eh ! bien, voilà : de 5 à 7, je ne suis pas libre, j'ai mon service militaire à faire.
FOLLENTIN
Votre service ?
LA COLLÉGIENNE
Mon service militaire.
FOLLENTIN
De cinq à sept ?
LA COLLÉGIENNE
Alors, moi j'ai devancé l'appel pour en être débarrassée plus tôt et je suis sergent d'infanterie.
FOLLENTIN
De cinq à sept ?
LA COLLÉGIENNE
Mais oui, comme tout le monde !… c'est le service obligatoire… tous les jours de cinq à sept, pendant six mois.
FOLLENTIN
Allons donc !
LA COLLÉGIENNE
De cinq à sept ! mais à partir de 7 heures, je suis libre ! Si vous voulez, je vous emmène dîner au bar de la plateforme de l'Arc de Triomphe.
FOLLENTIN
Hein !
LA COLLÉGIENNE
Il est très bien ! Il est très bien !… Et il y a une vue superbe.
FOLLENTIN
Voilà ce qu'on fait des monuments commémoratifs, aujourd'hui !
LA COLLÉGIENNE
Après ça, si vous voulez, nous irons finir la soirée aux Folies-Saint-Augustin.
FOLLENTIN
Où ça, les Folies-Saint-Augustin ?
LA COLLÉGIENNE
Mais là ! Il y a un grand duc qui fait de la voltige. Cela fait courir tout Paris…
FOLLENTIN
Mais alors… ce n'est donc plus une église ?
LA COLLÉGIENNE
Saint-Augustin ? mais non ! c'est un music-hall. Ah, çà ! d'ou sortez-vous ? Il y a un siècle que c'est comme ça depuis la séparation de l'Église et de l'État !… Si vous voulez je louerai la chaire d'avant-scène ; c'est de là qu'on voit le mieux.
FOLLENTIN
Mais non ! mais, non ! Vous êtes bien gentille, mais sérieusement !…
LA COLLÉGIENNE
Vous tenez donc bien à votre vertu ?
FOLLENTIN
Ce n'est pas à la mienne que je tiens !…
UN AIMABLE MARCHAND DE FLEURS (, s'avançant. )
Un bouquet pour votre beau monsieur, princesse ?
LA COLLÉGIENNE
Ah ! des fleurs ! Voulez-vous des fleurs ?
FOLLENTIN
Mais non ! mais non ! Laissez-nous donc, vous !
LE MARCHAND DE FLEURS.
Ma belle dame, ayez pitié d'un pauvre archimillionnaire !
LA COLLÉGIENNE
Non ! vous êtes millionnaire… Oh ! mon pauvre homme !
FOLLENTIN
Je ne comprends pas ! Il me semble que si vous êtes archimillionnaire !…
LA COLLÉGIENNE
Justement ! C'est une victime de l'impôt sur le revenu.
LE MARCHAND
Ah ! c'est dur, Monsieur, allez ! Jadis j'étais riche, Je menais grand train, Quand, va te faire fiche, Le peupl' souverain, S'dit un jour : "En somme, Je n'vois pas pourquoi, Y en a qu'ont la somme, Et qu'ce n's'rait pas moi ! " Dès lors vaill' que vaille, Il chercha comment Confisquer l'argent, Et v'la sa trouvaille, L'impôt, l'impôt sur le revenu - u Depuis qu'ils l'ont eu, C't'impôt saugrenu, L'impôt, l'impôt sur le revenu - u. Pour mieux nous atteindre, On créa tout vif, Sommes-nous à plaindre, L'impôt progressif. Plus on a de rente, Plus on s'voit grever, Echelle ascendante, Pour vous décaver. Cet impôt farouche, Fait ainsi que moi, Je paie - ô la Loi ! Plus que je ne touche ! L'impôt, l'impôt sur le revenu u. (Etc., etc., etc.)
FOLLENTIN
O mon pauvre archi-millionnaire !
LE MARCHAND
Vous pouvez le dire, Monsieur ! avec leur sale impôt progressif ! Passe encore pour les petites fortunes. Mais moi, j'ai deux millions de rente, Monsieur, savez-vous ce que ça me coûte : cent deux pour cent de mon revenu !
FOLLENTIN
Cent deux pour cent !
LE MARCHAND
Oui, Monsieur, et alors c'est pour gagner ces deux pour cent en plus qu'il faut que je trime.
FOLLENTIN
Oh ! bien, deux pour cent !
LA COLLÉGIENNE
Eh bien ! Vous n'avez pas l'ait d'y penser, ça fait 40 000 francs par an.
LE MARCHAND
Si vous croyez que c'est facile en vendant des fleurs.
FOLLENTIN
C'est vrai !… Oh ! mais, il faut lui acheter ses fleurs ! Vite, vos bouquets, vos bouquets !
LA COLLÉGIENNE
C'est ça, vos bouquets !
LE MARCHAND(lui donnant ses fleurs.)
Mon bon monsieur ! ma belle demoiselle ! Cela vous sera compté au ciel !
FOLLENTIN(voulant payer.)
Attendez, attendez
LA COLLÉGIENNE
Du tout ! du tout, c'est moi ! (Elle paie.)
LE MARCHAND
Si vous avez besoin d'autres fleurs, j'ai mon éventaire à côté, au coin de la rue. Vous n'avez qu'à me demander.
FOLLENTIN
C'est ça ! Vous vous appelez ?
LE MARCHAND
Rotschild !
FOLLENTIN
Pas possible !
LE MARCHAND
Au revoir, Monsieur, et merci bien. (Il sort.)
FOLLENTIN(à la collègienne. )
Attendez ! je ne veux pas permettre… Laissez-moi vous rembourser.
LA COLLÉGIENNE
Mais jamais de la vie !
FOLLENTIN
Mais si ! mais si !
LA COLLÉGIENNE
Mais non ! mais non !
FOLLENTIN
Ah ! c'est d'un XXIe siècle !… (Chant militaire en sourdine.)
Qu'est-ce que c'est que ça ? Oh ! des soldats !
LA COLLÉGIENNE
Sapristi ! Le peloton que je commande ! Quelle heure est-il ?
FOLLENTIN
Cinq heures.
LA COLLÉGIENNE
Cinq heures ! Nom d'un chien ! L'heure du service, et moi qui ne suis pas en tenue !… Ah ? bien, je suis bien !
CHOEUR
De cinq à sept ! De cinq à sept ! Chaque jour, six mois, c'est bien net, C'est le service obligatoire, De cinq à sept ! De cinq à sept ! De cinq à sept ! la sale histoire, Il faut trimer comme soldat Pour le service de l'État. Sur la fin du chœur, ont paru deux pelotons :l'un de soldats hommes, l'autre de soldats femmes.
LA COLLÉGIENNE(en sergent.)
Halte ! Rassemblement (L'arrêt se fait net.)
- Là, regardez-moi ces cosaques Il faut que ça s'arrête ensemble ! Combien de fois faut-il que je vous répète que je veux entendre chaque pas séparément.
FOLLENTIN
C'est vos soldats, alors, ça
LA COLLÉGIENNE
Oui ! peloton des hommes ! peloton des femmes !
FOLLENTIN
Oh ! oui, pelotons des femmes
LA COLLÉGIENNE
Comment ?
FOLLENTIN
Rien ! C'est une réflexion.
LA COLLÉGIENNE
Ce que vous voyez là, C'est les célibataires ! Quant aux gens mariés, ils forment un peloton à part. Seulement il est toujours en retard, ce-lui-là !… Allons, le peloton marié, là, grouillez-vous ! (Paraît un troisième peloton composé de gens mariés. )
TOUS CEUX DU PELOTON MARIÉ
Voilà, Sergent, voilà !
FOLLENTIN
Alors, c'est ça, l'armée d'aujourd'hui ?
LA COLLÉGIENNE
Eh ! bien, oui, puisque - c'est le service obligatoire pour tout le monde, hommes, femmes, chacun y passe !
(Parmi les mariés, deux s'embrassent.)
LA COLLÉGIENNE
Allons ! les nouveaux mariés ! Vous pouvez bien attendre sept heures, ! Et vous, le soldat du premier peloton, avez-vous fini de faire de l'œil à la petite de la troisième du deux ?…
LE SOLDAT
Sergent ! J'en pince pour elle !
LA COLLÉGIENNE
Ce n'est pas mon affaire !… Si c'est pour la bagatelle, après le service !… Sinon, épousez-la et au peloton des gens mariés ! Qu'est-ce que c'est que ça, donc ? Allez, mes enfants, manœuvrez un peu pour montrer à Monsieur. (Commandant.)
Mouvement horizontal et latéral des bras, sans flexion, avec flexion des extrémités inférieures. Commencez !
TOUS LES SOLDATS HOMMES ET FEMMES
Une ! deux ! Une ! deux ! (Ils exécutent le mouvement les uns après les autres et sans aucun ensemble.)
LA COLLÉGIENNE
C'est ça !… Ça va !… (A Follentin.)
Croyez-vous que c'est une manœuvre, que ça manque assez d'ensemble ?
FOLLENTIN
C'est admirable !
LA COLLÉGIENNE
Attention, mes enfants, voilà un général.
FOLLENTIN
Un général ! un général ! (Le Général traverse la scène et salue militairement en passant devant les trois pelotons : la collégienne, tous les soldats répondent par un pied de nez.)
FOLLENTIN
Ah ! mais qu'est-ce qu'ils font ?… Un pied de nez au général ?
LA COLLÉGIENNE
Mais oui !
FOLLENTIN
Mais c'est le conseil de guerre !
LA COLLÉGIENNE
Mais jamais de la vie ! C'est le règlement en vigueur aujourd'hui sur les marques extérieures de respect. (Couplets)
LA COLLÉGIENNE
Jadis on disait à chaque homme. Soldats, mes enfants, voici comme
LES SOLDATS
Com, com, com, com, com, com, comme,
LA COLLÉGIENNE
A tout chef quand il passera, Son respect on témoignera.
LES SOLDATS
Ra, ra, ra, ra, ra, ra, ra.
LA COLLÉGIENNE
Dans l'ordre de la hiérarchie, D'abord l'arme qu'on rectifie,
LES SOLDATS
Fi, fi, fi, fi, fi, fi, fi,
LA COLLÉGIENNE
Puis le port d'arme, mes enfants : Présentez arm' ! sonnez aux champs !
LES SOLDATS
Cliamps, champs, champs !
LA COLLÉGIENNE
Et voilà comme, Pour chaque homme, Se règle le respect en somme. Pour l'adjudant, c'était comme ça
TOUS
Ça, ça, ça
LA COLLÉGIENNE
Pour le Capitaine, voilà !
TOUS
La, la, la.
LA COLLÉGIENNE
Le Colonel, lui, c'était ça !
TOUS
Ça, ça, ça !
LA COLLÉGIENNE
Enfin, le Général, voilà !
(Sonnerie aux Champs,)
TOUS
Ta ra, ta ra, ta, ra, ta, ta.
LA COLLÉGIENNE
Un beau jour, on trouva qu'en somme, Ce, pour la dignité de l'homme,
TOUS
Lom, lom, lom, lom, lom, lom, lomme
LA COLLÉGIENNE
Ces marques de soumission, C'était une humiliation !
TOUS
Tion, tion, tion, tion, tion, tion, tion !
LA COLLÉGIENNE
Lors au rancart : "Présentez armes" ! "Portez-arme", aussi, manquait de charme.
TOUS
Charm, charm, charm, charm, charm, charm, charme !
LA COLLÉGIENNE
On supprima tout, fallut bien Trouver qué qu'chos', restait plus rien.
TOUS
Rien, rien, rien !
LA COLLÉGIENNE
Et voilà comme. Pour chaque homme, Aujourd'hui ça se règle en somme. Pour un adjudant, c'est comme ça
TOUS
Ça, ça, ça !
LA COLLÉGIENNE
Pour le Capitaine, voilà !
TOUS
La, la, la !
LA COLLÉGIENNE
Le Colonel, lui c'est comme ça !
TOUS
Ça, ça, ça.
LA COLLÉGIENNE
Enfin le Général, voilà !
TOUS
La, la Tur, lu, tu, tu, la, tu, tu, tu, tu.
LA COLLÉGIENNE
Et maintenant, à la caserne ! (Commandant.)
Par file à droite, gauche ! (Tous les soldats exécutent ce mouvement très mal.)
Très bien ! En avant, marche !… (Tout le monde se met en marche.)
Pas au pas, là, pas au pas ! Allez tout droit, je vous rejoins ! (Sortie des soldats.)
LA COLLÉGIENNE
Au revoir, mon chéri !
FOLLENTIN
Au revoir, ma petite collégienne,
LA COLLÉGIENNE
Eh ! bien, quoi ! Tu ne m'embrasses pas ?
FOLLENTIN
Si, mais si !
LA COLLÉGIENNE(l'embrassant.)
Ah ! mon chéri !