Acte III - Scène première
(FOLLENTIN DANS SON LIT DONT LES RIDEAUX SONT FERMÉS, MADAME FOLLENTIN ET MARTHE, EN TOILETTE DU MATIN)
MARTHE
Quel orage, Mon Dieu ! Coup de sonnette.
MADAME FOLLENTIN
Tiens ! va voir ! on sonne ! (Pendant que Marthe va ouvrir, montrant le lit.)
Et dire que voilà vingt-quatre heures qu'il dort comme ça ! ( Gabriel entre vivement, introduit par Marthe, trempé comme une soupe, un parapluie ruisselant.)
MADAME FOLLENTIN ET MARTHE
Oh ! vous !
GABRIEL
Oui ! oui ! Follentin ! vite ! il faut que je le voie !
MADAME FOLLENTIN
Vous n'y pensez pas, voyons ! Vous savez comme il vous a reçu hier !
GABRIEL
Ah ! Je vous garantis bien que la nouvelle que j'apporte… (Coup de tonnerre extrêmement violent.)
LES DEUX FEMMES
Oh ! (Elles se signent.)
MADAME FOLLENTIN
Il n'a pas dû tomber loin, celui-là.
VOIX DE FOLLENTIN (, dans le lit. )
Arrêtez l'horloge ! arrêtez l'horloge !
TOUS
Il se réveille.
GABRIEL(courant au lit dont il ouvre les rideaux.)
Monsieur Follentin.
FOLLENTIN
Ah ! Gabriel, mon bon ange ! Sauvez-moi ! Sauvez-moi encore !
GABRIEL
Qu'est-ce que vous avez ?
MADAME FOLLENTIN
Adolphe !
MARTHE
Papa !
MADAME FOLLENTIN
Réveille-toi, tu as le cauchemar.
FOLLENTIN
Non ! non ! enlevez la pendule ! enlevez la pendule !
GABRIEL
C'est justement pour ça que je viens.
FOLLENTIN
Qu'est ce que vous dites ?
GABRIEL
La pendule ! la pendule de Barras ! Ça y est ! Je l'ai vendue !
FOLLENTIN MARTHE ET MADAME FOLLENTIN
C'est-il possible !
FOLLENTIN
Hein ! mais je ne veux pas ! 25 000 ! pas un sou de moins.
GABRIEL
J'ai mieux !
TOUS
Hein ? Combien ?
GABRIEL
Douze cent mille francs !
FOLLENTIN(étouffant d'émotion.)
Douze ! Douze ! (Il s'affale sur son oreiller.)
GABRIEL
Voici le chèque que je vous apporte.
MADAME FOLLENTIN
Ah ! mon ami !
MARTHE
Mon cher Gabriel !
FOLLENTIN
Mais comment avez-vous fait ?
GABRIEL
Oh ! c'est bien simple ! Une note dans les journaux annonçant que vous aviez refusé un million de votre pendule. Immédiatement j'ai trouvé un Américain qui m'en a offert douze cent mille.
FOLLENTIN
Ah ! mon enfant ! mon gendre !
TOUS LES TROIS(à part avec joie)
. Son gendre !
FOLLENTIN
Ah ! je l'ai toujours beaucoup aimé, ce garçon-là ! (On sonne, Marthe court ouvrir.)
MADAME FOLLENTIN
Qu'est-ce que c'est ?
MARTHE
M. Ebrahim.
FOLLENTIN(à Ebrahim qui paraît.)
Ah ! trop tard, monsieur Ebrahim, c'est vendu !
EBRAHIM
Ah ! combien ?
FOLLENTIN
Douze cent mille francs !
EBRAHIM
Tartoufle ! pourquoi ne me l'avez-vous pas dit ? Je vous l'aurais achetée !
MARTHE(qui a été pour fermer la porte, trouve Bienencourt sur le seuil.)
Ah ! Monsieur Bienencourt !
FOLLENTIN
Bienencourt !
BIENENCOURT
Tiens ! mon ami, tu m'as traité d'usurpateur, voici ma lettre de démission !… Je te cède ma place.
FOLLENTIN
Toi ! toi ! tu as fait ça ! Tiens ! voilà ce que j'en fais de ta lettre de démission. (Il la déchire.)
Ah ! mes amis ! mes amis ! Je suis bien heureux. Quand je pense que je m'échinais à chercher le bonheur à travers les siècles !… Pendant que, ce temps-là, il m'attendait chez moi.
MADAME FOLLENTIN
Oui, mon ami, le véritable bonheur, c'est celui qu'on se fait soi-même.
FOLLENTIN
Tu as raison, Caroline. Il est entre nos mains, l'Age d'Or !
(RIDEAU)
(FIN)