Acte III - Scène II
(LES MÊMES, FOLLENTIN, BIENENCOURT)
BIENENCOURT(introduisant Follentin.)
Entrez !
TOUS
Ah !
FOLLENTIN
Mesdames !
L'AMPHITRYONNE
Quel est cet étranger ?
BIENENCOURT
Salut à vous, éthéromanes, morphinomanes, intellectuels et raffinés, dernière expression de la jeunesse décadente d'aujourd'hui. C'est un convive que je vous amène qui demande place à l'orgie.
L'AMPHITRYONNE
Sois le bienvenu, qui que tu sois, noble étranger.
TOUS
Sois le bienvenu !
FOLLENTIN
Ah ! vraiment ?
L'AMPHITRYONNE
Toi qui estimes comme nous qu'il faut arracher à la vie le secret de toutes ses jouissances, connaître toutes les sensations nouvelles, toi qui veux sacrifier avec nous au Dieu que nous adorons, à l'esprit du Mal, au Dieu du Vice, sois le bienvenu !
TOUS
Sois le bienvenu !
FOLLENTIN(à part.)
Ah ! Caroline ! Caroline ! c'est toi qui l'auras voulu !
L'AMPHITRYONNE
Choisis, parmi ces belles, les chairs qui te tentent ! Pour toi les baisers fous, les étreintes passionnées, les caresses subtiles. C'est la fête des sens ! C'est l'orgie !
FOLLENTIN(enlaçant les femmes qui s'offrent à lui.)
Ah ! si l'on me voyait au ministère !
L'AMPHITRYONNE
Tiens ! prends cette coupe, et vous, versez le breuvage qui donne l'extase !
FOLLENTIN(pendant qu'on lui verse.)
Ohé ! Ohé ! à nous la grande noce !
BIENENCOURT(triomphant.)
Allons ! Cette fois tu m'appartiens ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! (Il s'éclipse par la porte de droite qui se referme.)
L'AMPHITRYONNE
Bois !
FOLLENTIN(goûtant.)
Oh ! nom d'un chien ! la sale drogue !
L'AMPHITRYONNE
Levons la coupe des ivresses, Dans un même élan enflammé, A nos amants, à nos maîtresses, A ce que nous avons aimé ! Que l'encens fume Et nous embrume ! Que les parfums, Subtils et fins, Nous engourdissent, Et que les roses en même temps, Sous leurs pétales odorants, En pluie, ah ! nous ensevelissent ! A nos derniers moments ! Cette minute est sans seconde, C'est notre dernier rendez-vous Et puisque le monde, c'est vous, Ah ! buvons à la fin du monde ! Levons la coupe des ivresses, (etc. etc. etc.)
FOLLENTIN
Ah, çà ! de quelle fin du monde parlez-vous ?
L'AMPHITRYONNE
De la fin qui nous attend.
FOLLENTIN
Hein !
L'AMPHITRYONNE
Nous allons connaître la plus subtile des sensations humaines.
FOLLENTIN
Qui est ?
L'AMPHITRYONNE
Mon palais est miné, et quand sonnera le dernier coup de minuit, nous allons tous sauter.
FOLLENTIN (AFFOLÉ.)
Sauter ! Ah ! mais pas du tout ! En voilà une sale blague ! (Courant à la porte.)
Ouvrez ! Ouvrez !
L'AMPHITRYONNE
Inutile ! Tout est fermé ! Et voici minuit qui sonne !
FOLLENTIN
Minuit !
LES CHOEURS
pendant que sonne minuit à coups espacés : Voilà minuit ! minuit qui sonne ! C'est le grand saut dans l'inconnu, Mes amis, courte et bonne, Nous avons bien vécu !(Pendant le chœur, Follentin, affolé, s'épuise contre la porte en parvenant à intervalles à établir le dialogue suivant)
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FOLLENTIN
Oh ! mon Dieu ! mon Dieu !… et cette porte !… cette porte qui résiste !… au secours !… au secours !… mon Dieu !… cinq… six… sept ! et Gabriel !… Gabriel qui n'est pas là !… Plus que trois !… Ah ! sauvez-moi ! sauvez-moi !
BIENENCOURT(paraissant en Idole du Vice,)
Trop tard ! (Le dernier coup de minuit sonne, violente détonation, tout le monde s'effondre. CHANGEMENT)
(Epilogue Même décor qu'au prologue. Seule, la pendule n'est plus sur la cheminée. Au lever du rideau, orage, éclairs et tonnerre.)