ACTE III - SCENE IV



ETIENNE
PHEDRE
LE BRISON.
(Pendant cette fin de scène, par petits groupes, peu à peu, du monde est arrivé derrière les soldats; on s'est rangé de façon à avoir de bonnes places quand se courra le circuit. Entre ETIENNE, arrivant de gauche, l'air sombre, le chapeau sur le nez. Il est suivi de PHEDRE, également de mauvaise humeur. ETIENNE va jusqu'à l'auberge, regarde à droite, à gauche, aux fenêtres.)

PHEDRE
Enfin, voyons, où vas-tu ? Où allons-nous comme ça ?

ETIENNE
(bourru. )
Quoi? nulle part… je marche.

PHEDRE
Non, mais t'es pas loufoque ?

ETIENNE
Oh ! Je vous en prie, hein ? Vous êtes ma maîtresse, eh bien ! que ça te suffise !
(Il pivote sur ses talons, gagne la gauche et va donner contre LE BRISON qui, n'ayant pu prendre le train, arrive seulement.)

LE BRISON
Enfin, monsieur, est-ce que ça va durer longtemps cette plaisanterie ? Qu'est-ce que c'est que cette promenade que vous nous faites faire ?

ETIENNE
Oh ! permettez, , monsieur, vous m'avez engagé pour courir le circuit, n'est-ce pas ?… jusque là, je suis maître de mes actes; je n'en dois compte qu'à Dieu !

LE BRISON
Eh ! Dieu ! Dieu ! qu'est-ce que vous voulez que ça lui fasse, à Dieu ? il n'a pas sa marque engagée, Dieu !… mais moi ! moi ! Enfin, le départ est dans un quart d'heure, tous les coureurs sont à leurs machines depuis l'aube.

ETIENNE
Jourdain est à la nôtre, c'est comme si j'y étais.

LE BRISON
Et voilà ce que vous faites ! vous vous baladez et il faut que je vous suive, vous et madame votre maîtresse.

PHEDRE
Ah ! assez, toi, hein !

LE BRISON
Je suis absolument ridicule.

PHEDRE
Ça ne vous change pas.

LE BRISON
Ah ! mais, madame, permettez, vous n'avez plus le droit de me parler ainsi ! je ne suis plus avec vous.

PHEDRE
Dieu merci, non ! Au moins, maintenant, j'ai un jeune, un beau, un vigoureux…

LE BRISON
Oh ! Assez ! assez !

PHEDRE
J'ai Etienne, n'est-ce pas, mon chéri ?

LE BRISON
Assez, vous dis-je !

ETIENNE
Ah ! oui, assez ! Je suis votre amant, c'est entendu ! Vous êtes ma maîtresse.
Désormais, on est ensemble, eh bien ! c'est bon, on le sait ! n'en parlons plus.

LE BRISON
Il a raison, n'en parlons plus.

PHEDRE
(à ETIENNE. )
Ah ! qu'est-ce que tu as, toi ?

ETIENNE
Moi ? J'ai que c'est tout ça qui est cause du pétrin où je suis tombé. J'ai que je me dis que j'avais une femme, une femme à moi ! qu'on s'aimait ensemble, qu'on filait le parfait amour, que vous êtes entrée dans notre vie et que, désormais, tout ça c'est fini, disparu, envolé ! Voilà ce que je me dis.

LE BRISON
C'est avant, monsieur, qu'il fallait réfléchir à tout ça !

PHEDRE
Non, mais tu sais, si tu la regrettes, ta femme!

ETIENNE
Moi ? Oh non ! oh non ! je peux regretter mon bonheur passé, mais ma femme!… aha! après ce qu'elle a fait! Quand on pense qu'elle ne s'est même pas demandé s'il n'y avait pas une raison à ma conduite, une raison. de dignité d'homme, de probité commerciale, mettons même que j'aie eu une défaillance!… mais n'est-ce pas dans les moments de défaillance que le devoir d'une épouse est, plus que jamais, de ne pas abandonner son mari. Mais non, elle est partie sans un regret, sans un regard en arrière, avec cette moule de Rudebeuf, sous l'œil complaisant de sa rosse de tante ! Voilà ce qu'elle a fait ! C'est dégoûtant ! C'est dégoûtant !

LE BRISON
Eh bien ! qu'est-ce que je dirais, moi ?

ETIENNE
Eh ! vous, vous, ça nous est égal, mais moi, moi !

PHEDRE
Eh bien ! et moi, et moi ? Est-ce que je ne t'ai pas sacrifié ma situation ? Car enfin, j'étais avec Le Brison.

LE BRISON
Oui.

PHEDRE
Une liaison de tout repos !

LE BRISON
Ah ! mais, dites donc !

ETIENNE
Oh ! comme je voudrais qu'elle soit là pour constater que madame est avec moi !

PHEDRE
Puisqu'elle t'est indifférente, tu n'as pas besoin de te donner tant de mal!

ETIENNE
Non, mais je veux qu'elle sache. Et je voudrais… je voudrais aussi avoir la veine de gagner le circuit !

LE BRISON
Ça, bravo !

ETIENNE
Pour qu'elle ait des regrets, beaucoup de regrets ! Vous n'avez pas idée comme je voudrais qu'elle ait beaucoup, de regrets.

PHEDRE
Ah ! tu es cruel quand tu n'aimes plus les gens, toi !

ETIENNE
Je suis comme ça.

LE BRISON
Il est comme ça.

ETIENNE
(à LE BRISON. )
Et penser que tout ça, tout ça, c'est votre faute !

LE BRISON
A moi ?

ETIENNE
Mais oui ! Si vous n'étiez pas venu me chercher dans mon garage; je ne pensais pas à vous, moi, là-bas ! Si vous ne m'aviez pas emmené dans ce château maudit !

LE BRISON
Ah bien ! celle-là, par exemple !

PHEDRE
Absolument ! Il a raison. Avec cette chambre secrète dont on ne pouvait soupçonner l'indiscrétion.

ETIENNE
Sans elle, on n'aurait rien su, personne n'aurait rien vu.

PHEDRE
Et rien de tout ça ne serait arrivé.

LE BRISON
C'est trop fort, ça ! C'est ma faute alors, si vous m'avez trompé, si vous êtes allés roucouler dans cette chambre ardente ?

PHEDRE
Mais absolument ! Car si vous m'aviez rendu le collage plus agréable, si vous aviez pu avoir un peu plus de séduction!…

LE BRISON
Oh !

ETIENNE
Et puis, si vous n'étiez pas allé tous presser la corne du bouc pour savoir ce que nous faisions.

LE BRISON
Oh ! c'est renversant ! Mais vous, si vous n'étiez pas allés vous fourrer dans la chambre ardente…

PHEDRE
Oh ! laissez-nous donc tranquilles !
(ETIENNE et PHEDRE remontent, chacun de son côté.)

LE BRISON
(ahuri. )
Non, mais vous verrez que ça finira par être moi qui me suis fait cocu.

PHEDRE
Quoi ? Qu'est-ce que cela veut dire ?

ETIENNE
Ah ! non ! Ce qu'il faut entendre !

LE BRISON
Oh ! C'est trop fort ! c'est renversant !

PHEDRE
Vous vous répétez, mon ami.

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