ACTE II - SCENE VII



PHEDRE seule, puis Mme GROBOIS.

PHEDRE
(seule. )
Quelle brute !… Il ne comprend rien du tout !… Et dire que j'ai tout sous la main : la cachette rêvée, l'homme qui me plaît !…
(Elle soupire, puis brusquement se lève, regarde à droite et à gauche, s'il ne vient personne, puis va jusqu'à la muraille du fond. Elle appuie sur la perle de la moulure. Un pan de mur s'abaisse, formant pont-levis et donnant accès dans la pièce secrète.)
C'est épatant !… Tout le monde ici, croit que c'est une citerne, je ne retrouverai jamais ça !…
Enfin.
(On entend la voix de Mme Grosbois.)

MADAME GROBOIS
(à la cantonade, chantant. )
"Je suis lâche avec toi !…", etc…

PHEDRE
Oh ! la tante !… (Elle represse sur le bouton. Le pan de mur se relève.)
Quel tact elle a ! Elle chante pour me prévenir… (On frappe à la porte.)
Hein !… Alors là, elle exagère !…
Entrez !

MADAME GROBOIS
Je ne suis pas indiscrète ?

PHEDRE
Mais vous n'avez que faire de frapper. C'est le salon, la pièce commune.

MADAME GROBOIS
C'est que, tout à l'heure…

PHEDRE
Quoi, tout à l'heure ? je me suis tourné le pied, ça peut arriver à tout le monde !…
Etienne, qui était là, me transportait.

MADAME GROBOIS
Quelle chance qu'il ait été là !

PHEDRE
(elle descend en boitillant. )
Mais oui, évidemment !

MADAME GROBOIS
Oh ! ma pauvre petite, c'est vrai que vous boitez. Vous avez très mal ?

PHEDRE
(qui s'est assise. )
Non, un peu, je suis surtout énervée !

MADAME GROBOIS
Ah !…

PHEDRE
Je trouve que la vie est idiote.

MADAME GROBOIS
Vous êtes difficile ! quatre mille cinq par mois, deux rangs de perles. On vous loue un château et, à votre âge, vous recevez déjà le curé !

PHEDRE
Oh ! le curé !

MADAME GROBOIS
Quoi ! c'est comme si à l'âge d'un caporal, on passait déjà capitaine.
Qu'est-ce qui vous manque ?

PHEDRE
Je ne sais pas. L'amour, un beau gars ! Je n'ai rien du tout.

MADAME GROBOIS
Vous avez M. Le Brison.

PHEDRE
Oui, Je n'ai rien du tout. Est-ce drôle, la vie ? Je n'aime au monde que la jeunesse et la beauté, et j'ai toujours été collée avec des vieux !

MADAME GROBOIS
Faites fortune. A mon âge, vous vous collerez avec un jeune.

PHEDRE
Il y a des femmes qui n'ont pas de chance. J'en ai connu des hommes, n'est-ce pas ?
Eh bien ! je n'ai pas encore été aimée par l'homme qu'il m'aurait fallu.

MADAME GROBOIS
L'homme qu'il faut à une femme, elle ne le rencontre jamais; c'est même à ça qu'elle peut le reconnaître.

PHEDRE
Oui, c'est peut-être vrai.

MADAME GROBOIS
Oh ! ne vous frappez pas. On ne sait jamais… Ainsi, tout à l'heure, quand je suis entrée, vous faisiez un beau couple avec Etienne. Tous les deux, vous étiez bien assortis.

PHEDRE
(avec une moue. )
Oh ! vous savez !

MADAME GROBOIS
Si, si !… C'est égal, il est heureux que ce soit moi qui sois entrée au lieu de…

PHEDRE
Au lieu de… qui ?

MADAME GROBOIS
Dame ! au lieu de Gabrielle. Si elle vous avait surprise dans les bras de son mari !…

PHEDRE
Mais puisque je m'étais foulé le pied !

MADAME GROBOIS
C'est vrai!… que je suis bête!… j'oublie toujours ça. (Entre un valet.)

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