ACTE II - SCENE IV
MADAME GROBOIS
PHEDRE, puis ETIENNE.
PHEDRE
(entrant. )
Ah ! c'est vous, madame Grobois. Où sont les autres ?
MADAME GROBOIS
Ils enlèvent Châtel-Tarraut en automobile.
PHEDRE
Non !
MADAME GROBOIS
Si. Voulez-vous voir le départ ?
PHEDRE
Pas pour un empire que je raterai ça ! (Elle va vers la terrasse. ETIENNE entre de gauche.)
Eh ! bien, non… vous me le raconterez.
MADAME GROBOIS
C'est ça !… je vous le raconterai.
(Elle sort.)
PHEDRE
Ah ! c'est vous, monsieur Etienne !… D'où venez-vous donc ?
ETIENNE
Oh !… c'est sans intérêt.
PHEDRE
Mais tout a de l'intérêt… à la veille de ce grand jour.
ETIENNE
J'étais allé changer de chemise, parce que j'étais en transpiration.
PHEDRE
Oh ! mon pauvre ami.
ETIENNE
Bah ! C'est sec à présent.
PHEDRE
Ah ! bon.
ETIENNE
Oui.
PHEDRE
(à part. )
Il n'y a pas à dire, il est beau !…
ETIENNE
Comment, patronne ?
(Bruit d'une automobile qui démarre.)
PHEDRE
Rien. Vous voyez, on nous laisse seuls. (Avec tendresse.)
On nous laisse seuls.
C'est l'auto qui s'en va.
ETIENNE
Oui, la 24 chevaux. Elle tape du moteur.
PHEDRE
Le Brison vous enlève Gabrielle et on nous laisse en tête à tête !… C'est amusant vous ne trouvez pas?… Qu'est-ce que nous allons faire ?
ETIENNE
(très naturellement. )
Moi, je vais au garage.
PHEDRE
Ah !
ETIENNE
Oui… Une réparation à surveiller.
PHEDRE
Vous ferez ça un peu plus tard.
ETIENNE
C'est que… Jourdain m'attend.
PHEDRE
Ah ! bien… Allez, alors, allez !
(ETIENNE remonte.)
PHEDRE
(brusquement. )
Ah !
ETIENNE
(accourant. )
Qu'est-ce qu'il y a?
PHEDRE
Mon pied !… Oh ! là ! là !… Je me suis foulé le pied !
(Elle s'appuie contre ETIENNE.)
ETIENNE
Comment ça ?
PHEDRE
Je ne sais pas… Je me suis tourné la cheville… Oh !
ETIENNE
Appuyez-vous !… Appuyez-vous sur moi.
PHEDRE
Non, le fauteuil !… soutenez-moi jusqu'au fauteuil.
ETIENNE
Oui, sur un pied… en sautant.
PHEDRE
Oh ! non, non, pas de secousse !… portez-moi jusque-là !
ETIENNE
Hein ! oui.
(Il la prend dans ses bras.)
PHEDRE
Attendez, pas comme ça, je suis très mal.
ETIENNE
N'ayez pas peur.
(Il fait mine d'aller au fauteuil.)
PHEDRE
Mais attendez !… Vous avez l'air de chahuter un paquet !
ETIENNE
Oh ! patronne !…
PHEDRE
Ne bougez pas. (Elle passe son bras derrière le cou d'ETIENNE et appuie sa joue contre la sienne.)
Là ! Nous sommes mieux ainsi.
ETIENNE
Je peux vous déposer maintenant sur le fauteuil ?
PHEDRE
Vous savez que vous n'êtes pas poli !…
ETIENNE
Comment, patronne ?
PHEDRE
Vous n'êtes donc pas bien ? Moi, je resterais comme ça des heures entières.
ETIENNE
Ah !…
PHEDRE
L'éternité !… vous pas ?
ETIENNE
L'éternité !… ça serait peut-être un peu long.