ACTE III - SCENE II



LES MEMES, LE BRISON

LE BRISON
(arrivant de droite et allant à RUDEBEUF, radieux. )
Ça va! ça va! J'arrive du poste voisin! On a téléphoné. Nous sommes bons! Nous sommes bons! Trois minutes et demie à la croix de Kergorec! Nous sommes bons!

RUDEBEUF
Qui, moi?

LE BRISON
Non, moi.

RUDEBEUF
Ah! ça me fait bien plaisir.

LE BRISON
A ce train-là, nous ne devons pas tarder à repasser.

CHATEL-TARRAUT
(traînant la laisse veuve de chien. -)
Ne t'intimide pas Tchaï-Nou, fais tes petites affaires, mon chien-chien! fais!

LE BRISON
(en passant près de Châtel-Tarraut. )
Nous sommes bons! Ça va! ça va!

CHATEL-TARRAUT
Pas trop mal! La chérie est un peu constipée!

LE BRISON
(qui n'a pas écouté la réponse de Châtel-Tarraut est déjà grimpé sur l'échelle. —)
Nous sommes bons! Nous sommes bons!

PHEDRE
Quoi?

LE BRISON
Hein! Vous! Pardon!
(Il fait mine de redescendre.)

PHEDRE
Oh! vous pouvez rester, vous ne me gênez pas.

LE BRISON
Vous êtes bien bonne!

CHATEL-TARRAUT
(sentant une résistance dans sa laisse sur le bout de laquelle quelqu'un a mis le pied. -)
Allons, ne te fais pas tirer, Tchaï-Nou, ne te fais pas tirer.

LE MONSIEUR
(qui a levé le talon, ce qui rend la laisse libre. )
Qu'est-ce qu'il a à traîner cette laisse derrière lui, ce bonhomme-là?

CHATEL-TARRAUT
Viens, Tchaï-Nou, viens!
(Il sort.)

LE MONSIEUR
Il s'est échappé de sa niche.

LA FOULE
La de Dion ! Bravo, la de Dion !

PHEDRE
(froidement. )
Vous avez le programme?

LE BRISON
(froid. )
Voilà!

PHEDRE
Merci!

UN GAMIN
On peut grimper sur un échelon, la bourgeoise?

PHEDRE
Grimpe, petit, grimpe.

LE BRISON
(brusquement. )
Pourquoi m'as-tu fait ça hier au soir?

PHEDRE
Quoi?

LE BRISON
Tu m'as fait beaucoup de chagrin!

PHEDRE
Oh! mais aussi, vous faites attention à des choses!…

LE BRISON
Merci! Ta conduite avec Chapelain!

PHEDRE
Eh! bien, quoi, c'est un béguin, est-ce que ça compte?

LA FOULE
La Fiat! La Fiat!

LE BRISON
(se bouchant les oreilles. )
Oh! qu'ils font du bruit tous ces gens-là, avec leur circuit!…

PHEDRE
Ah! bien! mais si tous les amants devaient aller fourrer leur nez dans ces détails, il n'y aurait pas un collage qui tienne.

LE BRISON
Oui, oui, évidemment, mais…

PHEDRE
Oh! tu as été bête! Et d'un manque de tact!

LE BRISON
Ah ! Ah ! vraiment, tu crois?…

PHEDRE
Mais un béguin, un béguin, c'est passager ! ça dure, quoi…

LE BRISON
L'espace d'un matin.

PHEDRE
Ou d'une nuit ! Mais au fond, le seul, celui qui compte, c'est l'amant sérieux, c'est toi, il n'y a que toi ! c'est toi qui paies, c'est toi le vrai !

LE BRISON
Ah ! Phèdre, que tu me fais du bien !

PHEDRE
Ingrat ! Je suis trop bonne de te pardonner !

LA FOULE
En voilà deux, en voilà deux !

MADAME GROBOIS
Deux voitures qui viennent en même temps.

LA FOULE
C'est une Fiat et une Le Brison !

LE BRISON
Le Brison ! Le Brison ! C'est nous !

PHEDRE
Etienne ! C'est Etienne !

MADAME GROBOIS
(à GABRIELLE. )
Ton mari ! Il va gratter l'autre dans le virage.

GABRIELLE
Ah ! J'aime mieux ne pas regarder.
(Bruit des deux autos.)

CRIS D'ANGOISSE DANS LA FOULE
Ah!

GABRIELLE
Qu'est-ce qu'il y a ?

PHEDRE
Ah ! que j'ai peur !

LA FOULE
Bravo ! Bravo Chapelain ! Bravo Chapelain !

MADAME GROBOIS
Bravo mon neveu ! C'est mon neveu, Etienne Chapelain.

UNE PERSONNE
Quoi, Chapelain, c'est votre neveu ?

MADAME GROBOIS
Le mari de ma nièce ! Voilà ma nièce ! Je suis sa tante ! Bravo !

MURMURES dans la foule
C'est la famille de Chapelain! La petite, là, c'est sa femme !

PHEDRE
(continuant d'applaudir. )
Ah ! c'est admirable ! Bravo, Chapelain ! Bravo, Etienne !

LE BRISON
Oui, c'est bon ! c'est bon ! pas tant d'exubérance !

PHEDRE
Ah ! non, toi ! Tu ne vas pas recommencer, hein ?

LE BRISON
Enfin, quoi, criez tout de suite à la foule que Chapelain est votre amant.

PHEDRE
Ah ! la barbe ! Eh bien, oui, c'est mon amant !

LE BRISON
Phèdre, voyons, Phèdre !

PHEDRE
Oui, Chapelain est mon amant.

UN TITI
Qui, Chapelain ? C'est votre amant ?

PHEDRE
Oui, c'est mon amant. Ça embête monsieur, mais c'est mon amant !

LE BRISON
Ah ! je vous en prie, hein ! ou alors, descendez de mon échelle !

LE TITI
Ah ! bien, celle-là, par exemple !

LA FOULE
La Panhard ! La Panhard !

LE TITI
(qui est allé vers le groupe Grosbois. )
Dites donc, voulez-vous voir la maîtresse de
Chapelain, vous autres ?

GABRIELLE et MADAME GROBOIS
Quoi?

LE TITI
C'est la dame, là-bas, perchée sur l'échelle.

GABRIELLE
Qu'est-ce qu'il a dit ?

MADAME GROBOIS
Dis donc ! dis donc ! le voyou breton ! tu ne sais pas à qui tu parles!
Madame est Madame Chapelain! Et c'est ma nièce! Elle est ma nièce!

GABRIELLE
C'est cette femme, hein ! C'est cette femme qui vous a dit ?

LE TITI
Mais oui.

GABRIELLE
(descendant de l'échelle. )
Eh bien ! attends un peu !

MADAME GROBOIS
(descendant également. )
Gabrielle, où vas-tu ?

GABRIELLE
Tu vas le voir !

RUDEBEUF
Voyons ! Voyons ! Madame Chapelain !

GABRIELLE
Laissez-moi tranquille. (A PHEDRE.)
Dites donc, vous, là-haut, est-ce que ça va durer longtemps ce petit manège ?

PHEDRE
Quoi?

GABRIELLE
(secouant l'échelle. )
Oui, Eh bien ! en voilà assez !

PHEDRE
Voulez-vous me laisser, vous allez me faire tomber.

LE BRISON
Voyons, madame Chapelain, voyons !

GABRIELLE
Je ne vous parle pas, à vous.

MADAME GROBOIS
Gabrielle !

GABRIELLE
Ni à toi. (A PHEDRE.)
Je vous défends d'afficher plus longtemps mon mari.

PHEDRE
Mais ne secouez donc pas !

GABRIELLE
Vous oubliez que je suis sa femme.

PHEDRE
Ah ! là ! là ! sa femme !…

L'ENTOURAGE DE GABRIELLE
Elle a raison! Elle a raison!

LE BRISON
Du calme, mon enfant, du calme.

GABRIELLE
Je ne suis pas complaisante comme votre banquier.

LE BRISON
Charmant ! c'est charmant !

L'ENTOURAGE
Elle a raison ! Elle a raison !

MADAME GROBOIS
Viens, va, ne te commets pas ! ne te commets pas !

GABRIELLE
C'est que je lui ferai voir qui je suis, toute petite que je paraisse.

RUDEBEUF
Vous me mettez dans une situation !

LE BRISON
(maugréant. )
Banquier complaisant ! Banquier complaisant !

PHEDRE
(à LE BRISON. )
Voilà ce que vous m'attirez, vous !

LE BRISON
Moi !

PHEDRE
D'ailleurs, il est à remarquer que, quand on est avec vous, on a toujours des ennuis

LE BRISON
Eh bien ! elle est raide, celle-là !

PHEDRE
Ah ! taisez-vous donc ! Comme si vous n'auriez pas dû déjà donner votre carte à M.
Rudebeuf.

LE BRISON
Elle est forte !

MADAME GROBOIS
(à GABRIELLE, toutes deux sur l'échelle. )
Mais dédaigne, voyons! dédaigne! Plane!… Sois au-dessus de ça!

LA FOULE
La Brasier ! La Brasier !
(Arrive Cbâtel-Tarraut, traînant une bouteille vide au bout de sa laisse et suivi par des gamins qui le montrent du doigt.)

CHATEL-TARRAUT
Ils me rendront fou avec ce circuit, à m'empêcher de rentrer chez moi.

UN GAMIN
A la fraîche ! A la fraîche ! Qui veut boire.

CHATEL-TARRAUT
Merci ! Jamais entre mes repas.
(Les gamins rient.)

LE TITI
Ah! le type avec sa bouteille, pigez-moi ça!

TOUS
Ah ! la bouteille ! la bouteille !

CHATEL-TARRAUT
On n'a pas idée de faire des circuits en rond!

MADAME GROBOIS
Amaury ! Amaury ! ta bouteille.

CHATEL-TARRAUT
Comment ?

MADAME GROBOIS
Pourquoi te promènes-tu avec une bouteille ?

CHATEL-TARRAUT
Une bouteille !… Mais je n'ai pas de bouteille !

MADAME GROBOIS
Mais au bout de ta laisse.

CHATEL-TARRAUT
Au bout de ma… (Poussant un cri.)
Ah ! mon Dieu ! Tchaï-Nou ! J'ai perdu Tchaï-Nou !

MADAME GROBOIS
T'as perdu Tchaï-Nou ?

RUDEBEUF
Aussi, est-ce qu'on se promène avec des chiens dans un circuit ?

CHATEL-TARRAUT
Mon Dieu ! Pourvu qu'il ne lui soit rien arrivé. (A RUDEBEUF.)
Ecoutez, vous avez là un téléphone ! Vous ne pourriez pas téléphoner ?

RUDEBEUF
Téléphoner quoi?

CHATEL-TARRAUT
Pour savoir si on n'a pas retrouvé mon chien, un chien rose, un chien chinois, Tchaï-Nou.
(Sonnerie au téléphone.)

RUDEBEUF
Attendez !

CHATEL-TARRAUT
Ah ! merci.

RUDEBEUF
(au téléphone. )
Oui ! Eh bien ?

CHATEL-TARRAUT
Expliquez bien : un chien rose, un chien chinois.

RUDEBEUF
Il a passé au Calvaire ?

CHATEL-TARRAUT
Ça ne m'étonne pas ! C'est sur le chemin.

LE BRISON
(accourant. )
Qui a passé au Calvaire ? Le 8 ou le 4 ?

CHATEL-TARRAUT
Mon chien ! Un chien rose, un chien chinois.

RUDEBEUF
Mais taisez-vous donc !

CHATEL-TARRAUT
(à LE BRISON. )
Mais taisez-vous donc !

RUDEBEUF
Eh ! quoi ? je n'entends pas.

LE BRISON
Mais qui des deux a passé au Calvaire, qui ?

CHATEL-TARRAUT
Mon chien ! un chien rose, un chien chinois.

RUDEBEUF
Mais foutez-nous donc la paix avec votre chien chinois, on n'entend rien. Quoi ?
Ce n'est pas possible ! C'est le 4. Eh bien ! et ma voiture, la Rudebeuf ? Elle passe seulement maintenant. Charmant !

CHATEL-TARRAUT
Mais alors, mon chien, ils ne vous ont pas dit.?…

RUDEBEUF
Ah ! Zut, avec votre chien !

LE BRISON
Vous n'avez pas fini de nous raser avec votre chien ?

CHATEL-TARRAUT
Ils n'ont pas autre chose en tête que leurs automobiles. (Téléphonant.)
Pardon, monsieur, on ne vous a pas signalé… quoi ?… Le 14 a passé le petit pont !… oui, ça n'a pas d'importance… Vous n'auriez pas aperçu un chien rose, un chien chinois?

LA FOULE
Oh ! un chien ! un chien dans le circuit !

CHATEL-TARRAUT
(raccrochant vivement le récepteur. )
Qu'est-ce qu'ils disent ? un chien dans le circuit !

MADAME GROBOIS
Mais c'est ta chienne, Amaury !

CHATEL-TARRAUT
Tchaï-Nou ! Mais elle va se faire écraser !

RUDEBEUF
Mais appelez-le donc ! il va causer un accident !

CHATEL-TARRAUT
Tchaï-Nou ! Tchaï-Nou ! (fiAu commissaire.)
Au nom du ciel !
Suspendez le circuit ! Agitez vos drapeaux ! (Appelant.)
Tchaï-Nou !

LA FOULE
Tchaï-Nou ! Tchaï-Nou !

CHATEL-TARRAUT
Vierge Marie ! Ça devait arriver ! C'est maintenant qu'elle fait pipi.
(Grondement d'une voiture qui apparaît.)

LA FOULE
Une voiture ! Une voiture !

RUDEBEUF
Tonnerre de tonnerre ! C'est ma voiture !

TOUS
La Rudebeuf ! Le prince turc!

CHATEL-TARRAUT
Une voiture ! Une voiture ! Arrêtez ! (Il se précipite sur les fanions du commissaire spécial et les agite avec frénésie.)
Arrêtez !

LE COMMISSAIRE
Monsieur ! Monsieur ! Vous êtes fou !
(Bruit formidable de voiture brisée, sensation prolongée dans la foule.)

LA FOULE
Ah !

PREMIER GIGOLO
Ça devait arriver !

RUDEBEUF
Nom de Dieu de nom de Dieu !

CHATEL-TARRAUT
Ma chienne ! Ils vont écraser ma chienne !

LE BRISON
Faites arrêter les autres voitures ! des hommes ! des hommes !

LE COMMISSAIRE
Hissez la voiture ! Posez-la contre la route.

CHATEL-TARRAUT
Tchaï~Nou! Tchaï-Nou est morte! qu'on ne la laisse pas sur la route !
Faites-la hisser aussi ! des hommes ! des hommes !

LE BRISON
C'est honteux, monsieur, ce que vous avez fait là. Vous pouviez être la cause de la mort d'un homme !

LA FOULE
C'est honteux !

CHATEL-TARRAUT
Ma chienne n'est plus, monsieur ! Ils ont tué ma chienne !

LE BRISON
Grand bien lui fasse !

LA FOULE
C'est honteux !

CHATEL-TARRAUT
Oh ! Cochonne d'automobile ! cochonne d'automobile !

RUDEBEUF
(au prince qui apparaît, les vêtements en lambeaux, et tenant à la main son volant brisé en deux morceaux. )
Vous n'avez rien ?

LE PRINCE
Rien ! mais votre voiture ! Voilà tout ce qui reste de votre voiture !

RUDEBEUF
Nom de Dieu !

LE PRINCE
Au moins, on ne pourra pas dire que j'ai lâché ma direction.

RUDEBEUF
C'est la faute de cette triple brute !
(Sonnerie au téléphone.)

GABRIELLE
On téléphone !

MADAME GROBOIS
On téléphone !

PHEDRE
On téléphone !

LE BRISON
Qu'est-ce qu'il y a?… (Il se précipite et prend le récepteur.)
Oui! Quoi? quoi? un tamponnement entre deux voitures!

PHEDRE
Un tamponnement entre deux voitures !

LA FOULE
Un tamponnement !

LE BRISON
Quelles voitures ? (Répétant ce qu'il entend.)
Comment ! On ne sait pas ? Allô ! on croit que c'est le 14… Comment ? Le 14 et le 8 ?

PHEDRE
Et le 8 !

LE BRISON
Mais c'est ma voiture !

PHEDRE
Mais c'est Etienne ! Mon Dieu ! C'est Etienne !

LE BRISON
Mais tais-toi donc ! Allô ! On ne peut rien dire encore ! Ce n'est peut-être rien ! j'attends, oui, j'attends !

PHEDRE
Oh ! C'est épouvantable ! Etienne ! C'est Etienne !

GABRIELLE
(qui a entendu ces derniers mots, fendant la foule suivie de Mme Grosbois. —)
Quoi, Etienne ? Qu'est-ce qu'il y a, Etienne !

PHEDRE
Oh ! madame, c'est horrible ! Mon amant, Etienne Chapelain !

GABRIELLE
Il est arrivé quelque chose à Etienne ?

PHEDRE
Ah ! c'est vrai, madame ! Vous êtes aussi sa femme !

GABRIELLE
Mais quoi ? quoi ?

PHEDRE
Je ne sais pas ! Ah ! mon Dieu, madame, pourvu qu'il n'y ait rien de grave !

GABRIELLE
Pourvu qu'il ne soit pas blessé, madame, qu'il n'ait rien !

PHEDRE
Oh ! oui, madame !

LE BRISON
Ma voiture, mon Dieu!

MADAME GROBOIS
(surgissant entre elles deux. )
Mes enfants ! Mes enfants ! Du sang- froid, ne perdons pas la tête !

LE BRISON
Allô, j'attends ! Oui, j'attends !

GABRIELLE
Quand je pense qu'il y a tant de voitures, il faut que ce soit juste la nôtre.

MADAME GROBOIS
C'est épouvantable !

LE BRISON
Allô ! Allô ! Le tamponnement ! Oui ! Eh bien ?… Sait-on quelles sont les deux voitures ? Quoi ?

PHEDRE et GABRIELLE
Quoi?

MADAME GROBOIS
Quoi? Chut, la foule!

LE BRISON
Oh ! ce téléphone ! quelle invention !

LES TROIS FEMMES
(bouillant sur place. )
Oh !

LE BRISON
Mais quoi ? Quelles voitures ? Hein ! Mais taisez-vous donc !

LES TROIS FEMMES
(à la foule. )
Mais taisez-vous donc !

LE BRISON
Le 14… et le… et le 18 ?

GABRIELLE, MADAME GROBOIS
Le 18 !

LE BRISON
Mais alors, ce n'est pas le 8 ?

PHEDRE, GABRIELLE, MADAME GROBOIS
Ce n'est pas le 8 ?

LE BRISON
Non, non ! Nous sommes sauvés.

PHEDRE
Ah ! Madame, que je suis heureuse.

LE BRISON
Allô ! Comment ! Le 8 a passé depuis longtemps ? Pas possible ! Depuis cinq minutes !

LES TROIS FEMMES
Cinq minutes.

LE BRISON
Admirable! Admirable! Allô! Cinq minutes et demie! Merci! Merci! (Il raccroche le récepteur, puis, aux trois femmes.)
Mais alors ! mais alors !

PHEDRE et GABRIELLE
Quoi ?

LE BRISON
S'il a passé depuis cinq minutes et demie, ça prouve, ça prouve !…

LES TROIS FEMMES
Ça prouve ?

LE JOURNALISTE
La Le Brison ! C'est la Le Brison !

TOUS
Quoi ? La Le Brison !

LE JOURNALISTE
C'est la Le Brison ! C'est Chapelain qui gagne !

LE BRISON, GABRIELLE, PHEDRE, MADAME GROBOIS
Gagné ! Oui ! C'est Chapelain… Il arrive !

GABRIELLE
Ah ! ma tante ! ma tante !

MADAME GROBOIS
Mais j'en étais sûre !

PHEDRE
(à LE BRISON, )
Hein ! Ai-je eu du nez de l'attirer chez nous.

LE BRISON
Oh ! oui !…

GABRIELLE
Etienne gagne ! (A PHEDRE.)
Oh ! madame ! Oh ! madame !

PHEDRE
Ah! oui, madame! Oh! nous pouvons être fières.
(On entend dans la coulisse de gauche: "Hurrah! Vive Chapelain! Bravo Chapelain! Vive Chapelain! ")

LA FOULE
Voilà le vainqueur ! V'là le vainqueur qui arrive ! Vive Jourdain ! Vive Chapelain ! Via le vainqueur qui arrive ! Bravo Chapelain ! Par ici, Chapelain ! (La foule se précipite à gauche, tandis que les cris, dans la coulisse, continuent. Mais un remous se produit dans la foule. C'est ETIENNE qui arrive, suivi de JOURDAIN, environné de gens qui lèvent leurs chapeaux, de femmes qui agitent leurs mouchoirs. ETIENNE est soulevé, poussé vers LE BRISON. Arrivé devant LE BRISON, tous les deux ont une seconde d'hésitation.)

LE BRISON
(montrant GABRIELLE. )
Demandez-lui pardon.

GABRIELLE
Ah ! mon chéri !…

ETIENNE
La maîtresse de Rudebeuf ! Jamais !

GABRIELLE
Quoi?… Moi; la maîtresse de Rudebeuf!… tu as pu croire ?… Imbécile !…
(Elle le gifle.)

ETIENNE
(se tenant la joue. )
Hein ! Eh bien ! ça ! Eh bien ! ça ! ça me fait un rude plaisir !

GABRIELLE
Hein !

ETIENNE
La gosse !… Je t'aime… Et je te demande pardon !
(Ils s'embrassent.)

LE BRISON
Je vais gagner une fortune.

PHEDRE
Tu n'oublieras pas mon petit cadeau.

CHATEL-TARRAUT
(entrant. )
Irène ! Irène ! Un grand bonheur ! Ce n'est pas mon chien qui a été écrasé!

MADAME GROBOIS
Hein ?

CHATEL-TARRAUT
C'est le tien !

MADAME GROBOIS
Ah ! Rip !… Ah !…

CHATEL-TARRAUT
Rip n'est plus, mais je te reste.

ETIENNE
Je suis bien heureux.

RUDEBEUF
C'est crevant ! Tout à l'heure, vous vous mangiez le nez, et maintenant, ils s'embrassent.

ETIENNE
Que voulez-vous, Monsieur Rudebeuf, c'est le succès!
(FIN)

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