ACTE I - SCENE I


Le bureau-magasin de vente du garage Grosbois. A droite, premier plan, grande vitrine donnant sur la rue où sont exposés différents accessoires pour automobiles. Au deuxième plan, porte vitrée donnant également sur la rue. Au fond, occupant plus de la moitié du panneau et jusqu'à mi-hauteur du mur, grand meuble-placard surmonté de rayons garnis de nombreux articles relevant de ce commerce. Devant ce meuble-placard, grand comptoir encombré d'accessoires. A gauche du comptoir, un bureau-caisse avec sa chaise. A gauche, premier plan, occupant tout le panneau, un meuble-placard avec rayons semblables au premier. Au fond, à gauche et face au public, une porte vitrée donnant, sur le garage. A chaque extrémité du comptoir, une chaise. Aux murs, différentes affiches de publicité commerciale…


MADAME GROBOIS, RUDEBEUF, JOURDAIN, HERLAUT.

JOURDAIN
(entrant essoufflé. )
C'est pas à la magnéto, monsieur, la magnéto fonctionne. Ni au différentiel. Rien à la boîte de vitesse. Bons changements; tout ça neuf, d'ailleurs. Tout neuf!

RUDEBEUF
(à droite de la scène, premier plan, avec HERLAUT. )
La panne est survenue à votre porte. Impossible d'avancer.

MADAME GROBOIS
Je suis désolée que vous ayez eu une panne, monsieur. Pourtant, dans notre métier, nous sommes un peu comme les médecins. Plus il y a de malades, mieux les docteurs se portent. Plus il y a d'accidents d'auto, mieux les ateliers fonctionnent. (Présentant une carte à RUDEBEUF.)
Garage Grosbois, téléphone 202-24. Si vous avez des amis !…

RUDEBEUF
Je vous remercie.

MADAME GROBOIS
Nous louons des voitures au mois, à la journée et à l'heure.(Présentant une carte à HERLAUT.)
Monsieur s'occupe aussi d'automobile ?

HERLAUT
Oh ! moi, en amateur ! Tandis que M. Geoffroy Ru… (Coup de pied dé RUDEBEUF.)
Quoi ?

RUDEBEUF
Nous faisons tous deux de l'auto en amateurs. (Bas à HERLAUT.)
Ne dis pas mon nom.

MADAME GROBOIS
Ces messieurs sont des gens de cercle. Ça se voit tout de suite. L'air chic et pas décorés. (Regardant la voiture.)
C'est une Rudebeuf. Vous avez là une bonne marque.

HERLAUT
Vous ne savez pas combien vous lui faites plaisir.

RUDEBEUF
Mon ami veut dire : on est toujours flatté d'entendre louer sa voiture. (Bas.)
Ferme donc ça ! (A Mme Grosbois.)
Dites-moi, madame… madame ?

MADAME GROBOIS
Valentine Grosbois. Autrefois, je m'appelais Irène de Lysieux. Vous êtes trop jeune. Vous n'avez pas connu ce temps-là.

RUDEBEUF
Vous étiez au théâtre ?

MADAME GROBOIS
Oui, monsieur.

RUDEBEUF
Le drame ? La comédie ?

MADAME GROBOIS
Non ! Le cirque. J'étais écuyère et je traversais des petits cerceaux.

RUDEBEUF
Ah ! elle est bonne ! Je vous demande pardon.

MADAME GROBOIS
Ça ne fait rien.

RUDEBEUF
Eh ! bien, madame Grobois, ce n'est pas la première fois que je viens à votre garage. J'étais déjà venu avant-hier pour acheter des lunettes. J'en ai acheté d'ailleurs. Seulement, j'en voudrais…

MADAME GROBOIS
Vous n'êtes pas content de celles qu'on vous a vendues ?

RUDEBEUF
Enchanté !… Elles sont élégantes. Et l'automobile n'exclut pas l'élégance, , au contraire !

HERLAUT
Oh ! là ! là !

RUDEBEUF
Quoi ? "Oh ! là, là !…" Il n'y a qu'à me regarder. Mais aujourd'hui, c'est… c'est monsieur qui veut des lunettes !…

HERLAUT
Moi ?

RUDEBEUF
(vivement. )
Oui, tu veux des lunettes. (Changeant de ton.)
. C'est toujours la petite dame brune qui vend des lunettes, n'est-ce pas ?

MADAME GROBOIS
Certainement ! Des lunettes, des manteaux de tussor, des petites casquettes pour la route. Nous vendons de tout ça. Et c'est coquet, je vous assure. Je vais vous chercher des lunettes.

RUDEBEUF
Non, non, rien ne presse. Tout à l'heure, quand la petite dame brune!… Car elle va venir, n'est-ce pas, la petite dame brune ?

MADAME GROBOIS
Ma nièce ?

RUDEBEUF
Ah ! c'est votre nièce ! Je vous félicite. C'est une jeune fille ?

MADAME GROBOIS
C'est une jeune fille… en ce sens qu'elle n'est pas mariée. Elle est avec Etienne, mon chef mécanicien,

RUDEBEUF
Vous lui avez laissé faire ça ?

MADAME GROBOIS
C'est une liaison qui ne durera pas. Elle n'est fondée que sur l'amour.(A JOURDAIN.)
Ça va, là-bas ?

JOURDAIN
Je n'y comprends rien, rien. Les cylindres donnent. Le différentiel est en état. Je n'y comprends rien, rien.

HERLAUT
(à RUDEBEUF. )
Dis donc, nous avons rendez-vous avec Le Brison et tu m'as l'air d'avoir une panne sérieuse.

RUDEBEUF
D'autant plus sérieuse qu'il n'y a pas de panne.

HERLAUT
Comment ?

RUDEBEUF
Madame Grosbois, à quelle heure arrive votre nièce ?

MADAME GROBOIS
Dans une demi-heure. Si ces messieurs veulent attendre ?

RUDEBEUF
Je vais fumer une cigarette devant la porte. (A HERLAUT.)
Va chez Le Brison et excuse-moi. Qu'il vienne me prendre pour déjeuner. Je ne démarre pas de ce garage. Tu comprends, comme il n'y a pas de panne, ils ont le temps de chercher.

JOURDAIN
Hé ! monsieur ! monsieur !… elle marche !… elle marche, maintenant!…

RUDEBEUF
Ne croyez pas ça !… Elle marche comme ça dans le garage. Mais sur la route, au bout de dix minutes, elle s'arrête. A tout à l'heure, madame Grobois.

MADAME GROBOIS
A tout à l'heure, messieurs, et très heureuse !…

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