ACTE II - SCENE XVIII



LES MEMES, LE BRISON.

LE BRISON
(une caisse à robe et un carton à chapeau à la main. )
Voilà ! je n'ai pas été long, je rapporte les colis.

GABRIELLE
Oui ! Ah, bien ! vous êtes gentil dans ce rôle.

LE BRISON
Quoi ?

CHATEL-TARRAUT
Mon ami, ne l'écoutez pas…

GABRIELLE
Vous allez chercher des robes pour Phèdre, vous !

LE BRISON
Oui, eh bien ?

GABRIELLE
Eh bien ! pendant ce temps-là, elle se fait déshabiller par mon mari.

LE BRISON
Qu'est-ce que vous dites ?

GABRIELLE
Oui, là, tenez, dans la chambre ardente.

MADAME GROBOIS
Comme sous Louis XV.

LE BRISON
(furieux. )
Ah! mille millions de tonnerres!
(D'un geste brusque, il accroche sa casquette à la licorne, ce qui met immédiatement en mouvement tout le mécanisme.)

CHATEL-TARRAUT
Ah ! nom d'un chien !

LE BRISON
Hein ! qu'est-ce qu'il y a ?

CHATEL-TARRAUT
Ne regardez pas ! Fiez-vous à mon expérience, ne regardez pas !
(La fresque redevient transparente. On revoit comme précédemment, le couple enlacé.)

LE BRISON
Oh !

GABRIELLE
Eh ! bien, hein ! les voyez-vous ? les voyez-vous ?

LE BRISON
Ah ! misérables ! Courtisane ! Traîtresse !

GABRIELLE
Ah ! canaille ! débauché ! As-tu fini ?

CHATEL-TARRAUT
Allons, ça ne va pas recommencer ? en voilà assez ! en voilà assez !
(Il appuie sur l'autre licorne; manœuvre en sens inverse.)

LE BRISON
Oh ! Jamais, jamais elle ne m'a embrassé comme ça !

GABRIELLE
Et dire que vous alliez lui chercher des robes.

LE BRISON
Oui.

GABRIELLE
Avec lesquelles elle affole ce garçon.

LE BRISON
Oui, suis-je assez bête !

GABRIELLE
Ah ! oui, vous êtes bête ! Ah ! oui, vous êtes bête ! Cocu !

LE BRISON
En cartes, chère amie.

CHATEL-TARRAUT
Quel drame ! ça me rajeunit de vingt ans.

MADAME GROBOIS
Et quand je pense que cette petite n'a pas de toilettes, de chapeaux.
Comment peut-elle lutter, monsieur ?

GABRIELLE
Oh ! mais maintenant, c'est fini. J'en aurai des toilettes ! j'en aurai des chapeaux ! et plus énormes que ceux de Phèdre.

MADAME GROBOIS
A la bonne heure !

LE BRISON
Oui, vous en aurez. Cette robe, d'abord, et ce chapeau. Plus souvent que ce sera pour elle !

MADAME GROBOIS
Tu entends ce que dit M. Le Brison, il te les donne !

GABRIELLE
Eh ! bien, c'est bien ! je les accepte ! (Tirant la robe du carton.)
Ah ! tu fais fi de moi parce que je ne suis pas aussi bien nippée que ta donzelle !

LE BRISON
(corrigeant. )
"Ma" donzelle. Le misérable !

GABRIELLE
(se déshabillant. )
Eh bien ! tu verras !

MADAME GROBOIS
A la bonne heure !

CHATEL-TARRAUT
Hein ! Elle se déshabille !

GABRIELLE
Tu verras mon luxe ! Tu verras mes bijoux !… ça ne sera pas du toc comme ça !… voilà ce qu'il me donne, à moi.

LE BRISON
Hein ! mais c'est ma bague ! la bague de Phèdre !

GABRIELLE
La bague de Phèdre ! c'était un diamant vrai ? Le saligaud ! Eh bien ! elle est à moi !

LE BRISON
Oui, je vous la donne.

GABRIELLE
Merci, c'est déjà fait.

LE BRISON
Et je vous en donnerai beaucoup d'autres comme ça.

GABRIELLE
Certainement ! je serai une cocotte chic, puisque c'est ça que veulent les hommes !

MADAME GROBOIS
Voilà la vraie vie !

GABRIELLE
Oui ! Passe-moi la jupe. Et je serai une grue, puisque c'est ça qu'ils veulent ! La dernière des grues, je ferai comme toi !

MADAME GROBOIS
Ah ! pardon !

LE BRISON
Et ce luxe, vous l'aurez par moi. Ce sera l'amour !

GABRIELLE
Oui, ce sera l'amour ! Je vous aimerai !

LE BRISON
Ah ! elle vous a pris votre mari, eh, bien ! vous lui prenez son amant.

GABRIELLE
C'est ça ! c'est ça !

LE BRISON
Nous verrons laquelle sera la mieux partagée.

GABRIELLE
Oh ! c'est elle !

LE BRISON
Ça dépend du point de vue auquel on se place.

GABRIELLE
Oh ! le point de vue, c'est ça qui m'est égal ! ce n'est pas le moment de choisir, c'est le moment de se venger.

CHATEL-TARRAUT
Ecoutez, mes amis…

GABRIELLE
Vous, fichez-nous la paix !

CHATEL-TARRAUT
Bon !

LE BRISON
Et pour commencer, ils ne nous trouveront plus ici.

GABRIELLE
C'est ça !

LE BRISON
J'ai l'automobile en bas. Nous allons partir séance tenante.

GABRIELLE
C'est ça !

LE BRISON
Tous les deux.

MADAME GROBOIS
Tous les trois !

LE BRISON
Si vous voulez.

CHATEL-TARRAUT
Réfléchissez !… le sage tourne sept fois sa langue…

LE BRISON
Eh bien ! tournez-la, ça vous occupera. (A GABRIELLE.)
Je vais chercher ma valise. Préparez la vôtre.

GABRIELLE
Elle était déjà prête en vue de demain. Ma tante, veux-tu?

MADAME GROBOIS
Certainement que je veux ! certainement que je… Enfin! j'ai l'impression d'avoir une fille.
(Elle sort de droite.)

LE BRISON
Un instant ! Je ne vous demande qu'un instant.
(Il sort de gauche.)

GABRIELLE
Ah ! la vengeance ! la vengeance ! la vengeance !

CHATEL-TARRAUT
Voyons, madame Chapelain, ça n'est pas sérieux !

GABRIELLE
Pas sérieux ! ah bien !

CHATEL-TARRAUT
Vous n'allez pas sur une première impression…

GABRIELLE
Ah ! vous croyez que j'en ai besoin de plusieurs comme ça ? Ah, ben ! tenez, agrafez-moi !

CHATEL-TARRAUT
Moi ?

GABRIELLE
Oui.

CHATEL-TARRAUT
Oui… oh ! mes reins… vous, une petite femme sérieuse, adorant son mari…

GABRIELLE
Moi ! ah ! ah ! mon mari, ah ! ah !… Qu'est-ce qu'il fait maintenant, mon mari ?

CHATEL-TARRAUT
Rien, rien, ne vous occupez pas de ça !… Le quitter pour aller avec Le
Brison, ce Le Brison qui est vieux et laid !…

GABRIELLE
Ah ! évidemment, si on m'avait laissé le choix, j'en aurais pris un autre, mais, après tout, je m'en fiche; ce que je veux, c'est la vengeance, et pour ça, n'importe qui, le dernier des dégoûtants !… vous, si vous aviez voulu.

CHATEL-TARRAUT
Eh ! madame, vous saurez qu'il n'y a même pas vingt-cinq ans !…

GABRIELLE
Oui ! mon chapeau.

CHATEL-TARRAUT
Hein !… le chapeau ! voilà, voilà !…

GABRIELLE
Canaille de Phèdre ! Ah ! ce que je vais m'en payer des chapeaux !…

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