ACTE II - SCENE IX
MADAME GROSBOIS, puis RUDEBEUF.
(Julien a tendu la carte à Mme Grosbois.)
MADAME GROBOIS
(lisant la carte. )
Ça, par exemple !… C'est la carte de ce monsieur ?
JULIEN
Oui, madame. Faut-il faire entrer ?
MADAME GROBOIS
Tu parles !… Euh !… plus que jamais !…
(Julien sort.)
MADAME GROBOIS
Ça, par exemple ! c'est la fatalité !…
RUDEBEUF
(entrant. )
Madame, excusez… (Reconnaissant Mme Grosbois.)
Hein !
MADAME GROBOIS
Ah ! mon ami, comme vous arrivez bien.
RUDEBEUF
Ah, çà!… Comment, vous êtes ici?
MADAME GROBOIS
Oui. A l'instant, je pensais à vous.
RUDEBEUF
Comment, vous êtes installée chez Châtel-Tarraut ?
MADAME GROBOIS
Non, chez Le Brison. C'est lui qui a loué le château.
RUDEBEUF
Le Brison ! Mais alors, je suis chez Le Brison ?
MADAME GROBOIS
Oui. Et vous survenez au moment précis où je me disais…
RUDEBEUF
Mais alors, votre nièce couche ici ?
MADAME GROBOIS
Mais naturellement.
RUDEBEUF
Tiens ! Ça m'embête, ça !… Alors, ils sont ensemble ?
MADAME GROBOIS
Qui ?
RUDEBEUF
Le Brison et votre nièce ?
MADAME GROBOIS
En voilà une idée ! Vous êtes fou ! Pourquoi ?
RUDEBEUF
Dame !… puisqu'elle couche ici.
MADAME GROBOIS
Etienne court pour Le Brison! Nous logeons chez lui, c'est tout naturel; un conducteur n'est pas un domestique.
RUDEBEUF
A qui le dites-vous ?… Le mien est un prince hongrois qui a eu un roi dans sa famille ! Comme il court à l'œil, il en profite pour me taper.
MADAME GROBOIS
Vous regrettez Etienne ?
RUDEBEUF
Ah ! non ! Votre neveu est trop mal embouché ! Si Le Brison l'a pris, c'est parce qu'il a cru que j'y tenais. Mais moi, je ne le faisais courir que parce que je courais après la petite.
Et elle va bien, la petite ?
MADAME GROBOIS
Elle est très en beauté, la chère enfant.
RUDEBEUF
La petite rosse !… Elle s'est bien payé ma tête !
MADAME GROBOIS
Ah ! l'autre jour,. n'est-ce pas ! Ah ! je me suis fait une bile! Et je m'en fais encore, allez! Que demain Etienne perde le circuit…
RUDEBEUF
J'y compte bien.
MADAME GROBOIS
Nous pas !… Eh bien ! ce sera de nouveau la purée. Et s'il lui fait un enfant. Ça peut arriver, monsieur; ce garçon-là n'a aucune éducation. Alors, quoi !… où allons- nous ?… Et dire que si elle m'avait écoutée…
RUDEBEUF
C'est une petite bécasse. Elle est toujours éprise de son malotru de mari ?
MADAME GROBOIS
Ça n'a pas d'importance. Vous arrivez au bon moment.
RUDEBEUF
Ah ! non ! vous me l'avez déjà faite, celle-là.
MADAME GROBOIS
Cette fois, je ne me trompe pas. Phèdre a un béguin pour Etienne.
RUDEBEUF
Non ?
MADAME GROBOIS
Elle en est folle !
RUDEBEUF
Bravo ! Seulement, voilà !… ils ne seront pas assez naïfs pour se faire pincer !
MADAME GROBOIS
Pardon, mon ami ! J'aime ma nièce, et je suis là !
