ACTE I - SCENE VIII



AMAURY puis LE BRISON, puis MADAME GROBOIS.

AMAURY
(seul. )
Pauvre femme !… C'est effrayant tout de même. Elle a perdu la mémoire. Elle ne m'a pas reconnu.

LE BRISON
(entrant. )
Vous, dans un garage! C'est la plus belle victime de l'automobile.

AMAURY
Ne triomphez pas, monsieur Le Brison. Je suis ici pour un chien.

LE BRISON
Pour un chien ?… l'honneur est sauf !… mais, dites-moi… vous avez vu jouer
Phèdre, n'est-ce pas?

AMAURY
Phèdre ?… souvent. A quel propos ?

LE BRISON
Elle doit venir me prendre ici pour le déjeuner… Vous ne l'avez pas vue ?

AMAURY
Je crains que nous ne parlions pas de la même.

LE BRISON
Allons donc!… La petite Phèdre, des Bouffes. Vous ne connaissez qu'elle. Nous déjeunons à Armenonville… Etes-vous des nôtres ? Il y aura Rudebeuf.

AMAURY
Croyez que si j'étais libre…

LE BRISON
Tant pis ! Rudebeuf vous aurait intéressé. Il réalise un type, le type du crétin qui a compris son époque… Et l'animal a une veine! L'an dernier, il a failli remporter le circuit à ma barbe. Je ne sais pas où il dégote ses mécaniciens. Sans compter qu'il ne connaît rien à l'automobile. Ah ! nous vivons à une époque bien amusante.

AMAURY
Il suffit d'être de bonne humeur.

LE BRISON
Oui, et vous ne paraissez pas de bonne humeur, vous !

AMAURY
Monsieur, si, comme moi, vous étiez en butte aux taquineries mesquines du gouvernement…

LE BRISON
Vous êtes en butte ?

AMAURY
Oui, monsieur !… Je suis maire de Ker-Kerzoec. Je déteste l'automobile… Eh bien ! c'est devant ma porte que le circuit…

LE BRISON
C'est vous le maire de Ker-Kerzoec ? Mais alors, c'est à vous que j'ai écrit ce matin.

AMAURY
A quel sujet ?

LE BRISON
Au sujet du circuit, parbleu ! Je veux m'installer pour un mois à Ker-Kerzoec afin d'étudier le parcours. Alors, je désirais savoir si l'hôtel est bon ou s'il vaut mieux louer une villa.

AMAURY
Il n'y a pas d'hôtel et il n'y a pas de villas.

LE BRISON
Mais dans les environs ?

AMAURY
Seulement, il y a le château !

LE BRISON
Ah ! Il y a un château ?

AMAURY
Le mien, monsieur.

LE BRISON
Oh ! mais, je ne peux pas…

AMAURY
Cela ne me gêne pas. J'habite un rendez-vous de chasse que j'ai fait aménager. Le château me rappelait un incident par trop pénible…

LE BRISON
Ah !

AMAURY
C'est là que j'ai perdu Mme de Châtel-Tarraut

LE BRISON
Ah ! je ne savais pas… Je ne savais pas que Mme de Châtel-Tarraut fût morte.

AMAURY
Elle n'est pas morte, monsieur. Elle est morte pour moi.

LE BRISON
Je vous demande pardon.

AMAURY
Dans l'antique manoir de mes aïeux, la Comtesse de Châtel-Tarraut s'était mise au lit avec un simple sous-préfet… Alors !… Mais ne pensons plus à tout ça !

LE BRISON
Je suis vraiment touché ! Votre château !… Mais dans quelles conditions…

AMAURY
Oh ! rien du tout. Il y a quelques petites réparations à faire que vous prendrez à votre charge…

LE BRISON
Elles ne sont pas trop considérables ?

AMAURY
Nous reparlerons de ça.

LE BRISON
Je vous remercie.

AMAURY
Il n'y a pas de quoi.

LE BRISON
(regarde l'heure. )
Drôle de garage! Il n'y a personne.

AMAURY
On est parti chercher mon chien.

LE BRISON
C'est juste, vous venez ici pour un chien… Moi, je viens ici pour voir Rudebeuf.
Rudebeuf vient ici pour la fille de la patronne… Je me demande qui jamais est venu dans ce garage pour acheter un châssis? Ah ! mon cher comte, vous ignorez l'automobile ! C'est une source de joies philosophiques.

AMAURY
La fille de la patronne ?… C'est sa nièce.

LE BRISON
C'est sa fille… Je n'en sais rien, mais j'en suis sûr. Et ça doit être un joli numéro, allez, que la mère Grosbois,… je la vois d'ici,… une antique roulure que la police inquiète, dont le garage est un prétexte, et qui dans les moments noirs se rappelle aux souvenirs de jeunesse de quelque vieille poire tapée.

MADAME GROBOIS
(entrant. )
Tiens, Amaury, voilà ton chien.

LE BRISON
Hein ?

AMAURY
Madame Grobois, une amie… Le Baron de Brison, un psychologue.

LE BRISON
Mon cher Comte!…

AMAURY
(à Mme Grosbois. )
Je vous rapporterai votre chien dans une demi-heure, et vous me direz ce que je peux faire pour vous rendre service. (En sortant et à LE BRISON.)
Je ne croirai pas pour cela être une vieille poire tapée…

MADAME GROBOIS
(sortant pour accompagner le comte, et à GABRIELLE, qui entre. )
Mademoiselle Gabrielle, à votre comptoir. Il y a un client.
(PHEDRE est entrée sur ces derniers mots. AMAURY est sorti, accompagné par Mme Grosbois.)

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