ACTE II - SCÈNE XII
BABAKINA, BORKINE et CHABELSKI
Babakina et Borkine reviennent du jardin en courant et en riant. Chabelski les suit en trottinant.
BABAKINA
Quel ennui ! (Elle éclate de rire.)
Quel ennui ! Tout le monde est vissé sur une chaise ou déambule avec un parapluie dans le gosier ! Ma parole, on dirait des poissons gelés. (Elle sautille.)
Il faut se dégourdir un peu !…
(Borkine la saisit par la taille et l'embrasse sur la joue.)
CHABELSKI (il éclate de rire et fait claquer ses doigts)
Bon sang. (Il ahane.)
En quelque sorte…
BABAKINA
Bas les pattes, effronté que vous êtes, sinon, Dieu sait ce que le comte va croire. Lâchez-moi !…
BORKINE
Ange de mon âme, escarboucle de mon cœur !… (Il l'embrasse.)
Prêtez-moi deux mille trois cents roubles !…
BABAKINA
N-n-n-non !… Tout ce que vous voudrez, mais pour l'argent, vous repasserez… Non, non, non, bas les pattes, vous dis-je…
CHABELSKI (trottant à côté)
Pouponnette… ma charmante…
BORKINE (soudain sérieux)
Allez, baste ! Parlons affaires ! Raisonnons froidement, commercialement. Répondez-moi avec franchise, sans détours et sans finasseries ; d'accord ? Alors, écoutez ! (Il montre le comte.)
Lui, a besoin d'argent, au minimum trois mille de revenus annuels. Et vous, vous avez besoin d'un mari. Voulez-vous être comtesse ?
CHABELSKI (il éclate de rire)
On n'est pas plus cynique !
BORKINE
Voulez-vous être comtesse, oui ou non ?
BABAKINA (émue)
C'est encore une de vos inventions, Micha… Les choses ne se font pas comme ça, de but en blanc… Si le comte le désire, il peut lui-même, et… et… je ne sais pas… comment soudain… tout de go…
BORKINE
Assez, assez de simagrées ! C'est une affaire commerciale… Oui ou non ?
CHABELSKI (il rit et se frotte les mains)
C'est vrai, ça, que diable ! Alors, on la met sur pied, cette petite goujaterie ? Hein, pouponnette ?… (Il embrasse Babakina sur la joue.)
Ma charmante… ma petite caille… !
BABAKINA
Attendez, attendez… vous m'avez mise sens dessus dessous… Allez-vous-en, allez-vous-en ! Non, ne partez pas… !
BORKINE
Vite ! Oui ou non ? Nous n'avons pas de temps à perdre…
BABAKINA
Savez-vous, comte ? Venez donc chez moi passer… voyons… trois jours… Chez moi c'est gai, ce n'est pas comme ici… Venez demain… (À Borkine :)
Non, mais dites, c'est sérieux tout ça ?
BORKINE (fâché)
En affaires, je ne plaisante jamais !
BABAKINA
Attendez ! attendez… Ah ! je me sens mal, je me sens mal… Comtesse… Je me sens mal… ! Je tombe…
(Borkine et le comte la prennent sous les bras en riant et en l'embrassant sur les joues ; ils l'emmènent par la porte de droite.)