La salle de bal dans la maison des Lébédev. Au fond, sortie vers le jardin ; à droite et à gauche, des portes. Mobilier ancien et cossu. Lustres, candélabres et tableaux, le tout couvert de housses.
ZINAÏDA SAVICHNA, KOSSYKH, AVDOTIA NAZAROVNA, IÉGOROUCHKA, GAVRILA, LA FEMME DE CHAMBRE, VIEILLES FEMMES, INVITÉS, JEUNES FILLES, BABAKINAZinaïda Savichna est assise sur le divan. De chaque côté, les dames âgées dans des fauteuils. Les jeunes filles et les jeu nes gens sont installés sur des chaises. Au fond, près de la sor tie donnant sur le jardin, on joue aux cartes. Parmi les joueurs : Kossykh, Avdotia Nazarovna et Iégorouchka. Gavrila se tient près de la porte à droite ; la femme de chambre sert des sucreries sur un plateau. Pendant tout l'acte, les invités entrent ou sortent par la porte de droite.
Babakina entre par cette porte et se dirige vers Zinaïda Savichna.ZINAÏDA SAVICHNA (joyeusement)Marfa Iégorovna, ma petite âme…
BABAKINABonjour, Zinaïda Savichna ! J'ai l'honneur de vous présenter mes compliments à l'occasion de la nouvelle née…
(Elles s'embrassent.) Que Dieu lui accorde…
ZINAÏDA SAVICHNAMerci, ma chérie, je suis si contente… Eh bien, comment va la santé ?
BABAKINAVous êtes trop aimable.
(Elle s'assied sur le divan.) Bonjour, jeunes gens !…
(Les invités se lèvent et saluent.)PREMIER INVITÉ (riant.)Jeunes gens ?… Seriez-vous donc vieille ?
BABAKINA (soupirant)Nous ne sommes plus une jeunesse…
PREMIER INVITÉ (riant avec componction.)Allons donc, vous n'y pensez pas !… Vous êtes veuve pour l'état civil, mais vous pouvez rendre des points à n'importe quelle demoiselle.
(Gavrila sert du thé à Babakina.)ZINAÏDA SAVICHNA (à Gavrila)Comment sers-tu ? Apporte donc des confitures. Des groseilles à maquereaux, par exemple…
BABAKINANe vous mettez pas en frais. Merci grandement.
(Pause.)PREMIER INVITÉC'est par Mouchkino que vous êtes venue, Marfa Iégorovna ?
BABAKINANon, par Zaïmistché. La route est meilleure.
PREMIER INVITÉBien sûr.
KOSSYKHDeux piques !
IÉGOROUCHKAJe passe.
AVDOTIA NAZAROVNAJe passe.
SECOND INVITÉJe passe.
BABAKINAÀ propos, Zinaïda Savichna, l'emprunt s'est remis à monter drôlement. Jamais vu ça : le premier emprunt est déjà coté deux cent soixante-dix et le second presque deux cent cinquante… C'est pas croyable !
ZINAÏDA SAVICHNA (avec un soupir)Tant mieux pour celui qui en a beaucoup…
BABAKINAPas sûr, ma chérie ; bien que le cours soit élevé, ce n'est pas avantageux d'immobiliser son capital. Rien que l'assurance vous mettra sur la paille.
ZINAÏDA SAVICHNAPour être juste, c'est juste, et pourtant, ma chère, on espère toujours…
(Elle soupire.) Le Seigneur est miséricordieux…
TROISIÈME INVITÉEn ce qui me concerne, mesdames, selon mon raisonnement, par le temps qui court, ce n'est pas du tout avantageux de posséder un capital. Les titres donnent bien peu de dividendes et spéculer est extrêmement dangereux. À mon point de vue, mesdames, celui qui par le temps qui court possède un capital, se trouve dans une situation plus critique,
(mesdames) , que celui qui…
BABAKINA (soupirant)C'est juste !
(Le premier invité bâille.)BABAKINAEst-ce que ça se fait de bâiller devant des dames ?
PREMIER INVITÉPardon, mesdames, c'est par inadvertance.
(Zinaïda Savichna se lève et sort par la porte de droite ; un long silence.)IÉGOROUCHKADeux carreaux !
AVDOTIA NAZAROVNAJe passe.
SECOND INVITÉJe passe.
KOSSYKHJe passe.
BABAKINA (à part)Mon Dieu, c'est à mourir d'ennui !