ACTE IV - SCÈNE XI
LÉBÉDEV, IVANOV, CHABELSKI, ensuite BORKINE, LVOV, SACHA, les INVITÉS.
CHABELSKI (entrant)
Un habit fripé qui vient d'un autre… sans gants… sous les quolibets, les regards moqueurs, les ricanements grossiers… Abominable engeance !
BORKINE (il entre rapidement avec une gerbe de fleurs ; il est en habit et porte à la boutonnière la fleur des garçons d'honneur)
Ouf ! Mais où est-il ? À Ivanov : On vous attend depuis une heure à l'église et je vous trouve ici, faisant de la philosophie ! Pour un rigolo, on peut dire que vous êtes un rigolo ! Ce n'est pas avec la fiancée que vous devez aller, mais séparément, avec moi ; et moi, je reviendrai de l'église chercher la fiancée. Même ça vous n'êtes pas fichu de le comprendre ! positivement, un rigolo !
LVOV (entrant, à Ivanov)
Ah, vous voilà ! À haute voix : Nicolaï Alexeïévitch Ivanov, je vous déclare publiquement que vous êtes un salaud.
IVANOV (impassible)
Je vous remercie.
Confusion générale.
BORKINE (à Lvov)
Monsieur, c'est une infamie ! Je vous provoque en duel !
LVOV
Monsieur Borkine, je considère comme dégradant pour moi, non seulement de me battre avec vous, mais même de vous adresser la parole. Quant à monsieur Ivanov, il peut me demander satisfaction quand il lui plaira.
CHABELSKI
Monsieur, je me bats avec vous.
SACHA (à Lvov)
Pourquoi ? Pourquoi l'avez-vous offensé ? Messieurs, permettez qu'il me dise pourquoi.
LVOV
Alexandra Pavlovna, ce n'est pas sans preuve que j'ai formulé cette offense. Je suis venu ici en homme honnête pour vous ouvrir les yeux, et je vous prie de m'écouter.
SACHA
Qu'avez-vous à dire ? Que vous êtes un homme honnête ? Mais le monde entier le sait ! Dites-nous plutôt quel est votre but. Est-ce que vous vous comprenez vous-même ? Vous faites irruption ici, tel un justicier, et vous lancez à cet homme une accusation si blessante que j'ai cru en mourir. Vous l'avez suivi comme une ombre pendant des mois, empoisonnant sa vie, fermement convaincu sans doute que vous faisiez votre devoir d'homme honnête. Vous interveniez dans sa vie privée, condamnant ses actes, les calomniant en tous lieux ; inlassablement vous me poursuiviez, moi et mes amis, de lettres anonymes, par honnêteté, c'est certain. Et toujours par honnêteté, vous, un médecin, vous n'épargniez pas même sa femme malade, troublant cette malheureuse par vos insinuations malveillantes. Vous pouviez commettre n'importe quelle violence, n'importe quelle cruauté, avec la conscience paisible d'un homme extraordinairement honnête et juste.
IVANOV (riant)
Ce n'est plus une noce, c'est un parlement ! Bravo, bravo !…
SACHA (à Lvov)
Et maintenant, réfléchissez ! Tâchez de vous comprendre vous-même ! Quels gens bornés, sans cœur !(Elle prend Ivanov par la main.)
Allons-nous-en, Nicolaï ! Venez, père.
IVANOV
Nous en aller ? Où donc ? Attends, je vais mettre fin à tout ça ! Ma jeunesse s'est réveillée en moi, c'est l'ancien Ivanov qui parle.
(Il sort un revolver.)
SACHA (poussant un cri)
Je sais ce qu'il veut faire ! Nicolaï, pour l'amour de Dieu !
IVANOV
J'ai longtemps descendu la pente, maintenant, halte ! Il faut savoir partir à temps ! Écartez-vous ! Merci, Sacha !
SACHA (criant)
Nicolaï, pour l'amour de Dieu ! Retenez-le !
IVANOV
Laissez-moi !
(Il s'éloigne de quelques pas en courant et se tire un coup de revolver.)
(FIN)