ACTE PREMIER - SCÈNE XVII
ANNA PETROVNA, PLATONOV
ANNA PETROVNA (venant vers Platonov)
Pourquoi restez-vous à l'écart ?
PLATONOV
Il fait très chaud là-dedans et le ciel est plus agréable qu'un plafond de plâtre.
ANNA PETROVNA (s'asseyant près de lui)
Oui. - Quelle nuit adorable ! L'air est frais ! La lune ressemble à une lanterne vénitienne. Quel dommage que les femmes n'aient pas le droit de dormir sous les étoiles. Quand j'étais toute jeune, ma mère me permettait de passer la nuit sur la véranda, pendant l'été. (Silence.)
… Vous avez une cravate neuve ce soir.
PLATONOV
Oui. Je l'ai achetée hier.
(Silence. Toute la scène ira d'un bon rythme, désormais.)
ANNA PETROVNA
Oh ! Je me sens d'une humeur étrange, ce soir. Tout me plaît. Pourquoi vous taisez-vous, Michael ? Je suis venue vous écouter parler.
PLATONOV (riant)
Eh bien, que voulez-vous m'entendre dire ?
ANNA PETROVNA
Je ne sais pas, du nouveau ! Il me semble que ce soir je vous aime plus que les autres jours. Vous êtes un amour, cette nuit…
(Ils rient ensemble.)
PLATONOV
Et vous, vous êtes une beauté ! D'ailleurs, vous êtes toujours belle.
ANNA PETROVNA
Nous sommes amis, Platonov, n'est-ce pas ?
PLATONOV
Certainement. Je vous suis profondément attaché, Anna Petrovna. Rien ne peut altérer mes sentiments à votre égard. Rien. Jamais.
ANNA PETROVNA
Nous sommes donc réellement de grands amis ?
PLATONOV
Oui.
ANNA PETROVNA
Bien. (Silence.)
Avez-vous parfois pensé, mon cher, que l'amitié entre homme et femme conduit souvent à l'amour et qu'il n'y a qu'un tout petit pas à franchir ?
(Elle rit.)
PLATONOV
Eh bien, ni vous ni moi ne ferons jamais ce petit pas vers les affres de l'enfer.
ANNA PETROVNA
Et pourquoi ? Ne sommes-nous pas des êtres humains ? L'amour est agréable. Pourquoi rougissez-vous ?
PLATONOV
Vous êtes de bonne humeur, ma chère. Venez. Allons valser !
ANNA PETROVNA
Non ! Vous dansez trop mal ! Et d'ailleurs, je tiens à avoir une conversation sérieuse avec vous. Tenez, éloignons-nous un peu plus de la maison. (Ils vont s'installer sur un autre siège.)
Ce soir, votre attitude est si étrange que je ne sais vraiment par où commencer.
PLATONOV
Voulez-vous que je parle le premier ?
ANNA PETROVNA
Oh ! Vous allez dire tant de bêtises, Platonov ! Mais tant pis, je vous écoute. Oh ! Michel, cher et insensé Michel, soyez bref !
PLATONOV
Je le serai. Je puis tout dire en un mot : "Pourquoi ? "
ANNA PETROVNA
Et "pourquoi pas ? " (Un temps.)
Si vous étiez libre, vous n'hésiteriez pas à me demander d'être votre épouse et je remettais "mon Excellence" entre vos mains. (Une pause.)
Qui ne dit mot consent. (Une pause.)
Platonov, si vous êtes de mon avis, vous n'avez pas le droit de garder le silence.
PLATONOV
Oublions cette conversation, Anna Petrovna. Au nom du ciel, vivons comme si elle n'avait jamais eu lieu !
ANNA PETROVNA (haussant les épaules)
Je me demande parfois si vous êtes aussi intelligent qu'on le dit ! (Enchaînant :)
M'expliquerez-vous au moins pourquoi ?
PLATONOV
Parce que je vous respecte. Parce que je ne veux pas manquer à ce respect. Je ne suis pas opposé à me donner du bon temps et je ne refuserais pas une petite aventure discrètement menée. Mais je ne pourrais supporter de vous voir vous compromettre dans des intrigues et risquer des déceptions. Nous vivrions stupidement un mois ou deux, puis nous nous séparerions honteusement. Ce n'est pas ce que je veux.
ANNA PETROVNA
Mais je parlais d'amour !
PLATONOV
Eh bien, est-ce que je ne vous aime pas ? - Vous êtes bonne, intelligente et pitoyable. Je vous aime désespérément, absolument. Je donnerais ma vie pour vous.
ANNA PETROVNA
Encore des bêtises !
PLATONOV
L'amour doit-il toujours être traité à son niveau le plus bas ?
ANNA PETROVNA (se levant)
Parfait, mon cher. Bonne nuit. Nous en reparlerons. Vous êtes fatigué.
PLATONOV
Et d'ailleurs, je suis marié.
(Il lui baise la main.)
ANNA PETROVNA
Cependant vous m'aimez. Allez-vous-en ! - Pourquoi parler de votre femme en ce moment ?
PLATONOV
Vous n'êtes pas en colère, j'espère ? Si je le pouvais, il y a longtemps que je serais votre amant.
(Il rentre dans la maison.)
ANNA PETROVNA
Quel être insupportable. Il sait qu'il ne peut pas vivre sans moi, mais : "Je vous respecte ! "