ACTE II - SCÈNE III
PLATONOV, SACHA
PLATONOV (entrant)
Non, non, non ! Tu te trompes, droite, droite, droite, gauche, droite. Mon petit, comme un fait exprès, un ivrogne ne reconnaît jamais sa droite de sa gauche. Il connaît seulement : devant, derrière, au-dessus, au-dessous.
SACHA
Assieds-toi et je te dirai ce que j'en pense. Assieds-toi.
PLATONOV
J'obéis. (Il s'assied. Sacha jette ses bras autour de son cou. Silence.)
Pourquoi n'es-tu pas couchée, petite fille laide ?
SACHA
Je n'ai pas sommeil. (Elle s'assied près de lui.)
Tu as passé une bonne soirée ?
PLATONOV
Il y avait bal, souper et feu d'artifice. Le feu d'artifice t'aurait plu.
SACHA
Le petit hurlait quand je suis arrivée.
PLATONOV
Au fait, le vieux Glagolaiev a eu une attaque.
SACHA (spontanément apitoyée)
Mon Dieu ! Est-il sauf ?
PLATONOV
Ton frère l'a examiné.
SACHA
Il avait l'air en bonne santé.
PLATONOV
Cela l'a pris dans le jardin. Son crétin de fils s'en est à peine inquiété.
SACHA
Anna Petrovna et Sofia ont dû être terrorisées.
PLATONOV
Mm…
SACHA
J'admire Sofia Egorovna. Il y a quelque chose de droit et de loyal en elle. Et quelle jolie femme !
PLATONOV
Sacha ! Je suis stupide, je suis maudit.
SACHA
Quoi ?
PLATONOV
Oh ! J'ai encore succombé. (Cachant son visage dans ses mains :)
Le diable s'est emparé de moi.
SACHA
Dis-moi ce que tu as fait.
PLATONOV
C'est insensé, honteux. Dieu seul peut en prévoir les conséquences.
SACHA
Viens te coucher. Tu ne tiens plus debout.
PLATONOV
Quand je pense que j'ai condamné ton frère. Oh ! Sacha ! Y a-t-il la moindre étincelle de sincérité en moi ?
SACHA (douce)
Allons, au lit.
PLATONOV
Je me suis conduit encore plus mal que d'habitude. Comment puis-je avoir de l'estime pour moi maintenant ? Il n'est pas de plus grand malheur que d'être privé de l'estime de soi-même. Mon Dieu, il n'y a plus rien en moi qu'on puisse aimer ou respecter… Et pourtant tu m'aimes ? Vraiment je ne comprends pas pourquoi. Tu aurais trouvé quelque chose en moi qu'on puisse aimer ? Tu m'aimerais ?
SACHA
Quelle question ! Comment pourrais-je ne pas t'aimer ? Tu es mon mari.
PLATONOV
Et tu m'aimes uniquement parce que je t'ai épousée ?
SACHA
Comme tu es désagréable ce soir. Il y a des moments où je ne te comprends pas.
PLATONOV (riant)
Garde ton bonheur et reste aveugle. (Il l'embrasse sur le front.)
Que le Seigneur te préserve de jamais rien comprendre. Tu es une femme parfaite, ma chérie.
SACHA
Tu dis des bêtises.
PLATONOV
Non, tiens, réflexion faite, tu ne devrais même pas être une femme. Tu devrais être une mouche ! Ma petite idiote chérie, pourquoi n'es-tu pas née mouche ? Avec ton intelligence, tu aurais été l'insecte le plus subtil du monde. Et pourtant tu as porté notre fils ? Tu devrais fabriquer des petits soldats en pain d'épices.
(Il veut l'embrasser.)
SACHA (coléreuse)
Laisse-moi tranquille ! Pourquoi m'as-tu épousée si je suis sotte ? Quel dommage que tu n'aies pas choisi l'une de tes intelligentes amies. Je ne t'ai jamais demandé de m'épouser.
PLATONOV
Dieu me pardonne, voilà quelque chose de nouveau : tu es capable de te mettre en colère !
SACHA
Et toi. Tu es ivre ! Parfait, reste là et grise-toi de paroles. Je vais me coucher !
(Elle rentre rapidement dans la maison.)