ACTE IV - SCÈNE V
LES MÊMES, VENGEROVITCH
VENGEROVITCH
Bonjour. J'espère que vous allez bien.
ANNA PETROVNA (pour elle-même, toujours préoccupée)
Oui… Oui.
VENGEROVITCH
Il pleut à verse et pourtant le fond de l'air est chaud. (S'essuyant le front :)
Pouah ! Je suis trempé jusqu'aux os. J'avais cependant un parapluie. (Comme il voit qu'on ne fait pas attention à lui, il répète :)
J'espère que vous allez bien ? (Personne ne répond.)
Je suis venu vous voir au sujet de cette vente épouvantable. C'est honteux, bien sûr. Et c'est dur pour vous. Je… Je vous en prie, ne le prenez pas en mauvaise part. Ce n'est pas moi, à la vérité, qui a forclos les hypothèques. Vos créanciers se sont solidarisés…
VOINITZEV (violent, agitant la sonnette de table fortement)
Où sont les domestiques ?
VENGEROVITCH
Ce n'est pas moi. Ils ont forclos en mon nom.
VOINITZEV
Je les ferai fouetter. Je leur ai dit cent fois que je ne voulais recevoir aucune visite aujourd'hui.
ANNA PETROVNA
Il y a des mois qu'ils n'ont été payés.
VOINITZEV
Des brutes ! Il aurait fallu qu'ils soient à notre service du temps de mon père !
(Il jette la cloche à travers la pièce et marche de long en large.)
VENGEROVITCH
C'est juridiquement en mon nom que l'action a eu lieu, vous comprenez ? Mais en mon nom ils ont dit que vous pourriez vivre ici comme par le passé ! Au moins jusqu'à Noël, en tout cas. Il faudra évidemment procéder à quelques changements. Mais… enfin, cela ne vous gênera pas. Et si ça en arrivait là, vous pourriez toujours vous installer dans les dépendances. C'est chaud, c'est coquet et il y a beaucoup de chambres. (Silence.)
… Ils m'ont chargé aussi de vous demander si vous seriez disposée à vendre vos carrières, Anna Petrovna, vous comprenez ? Ces mines de tourbe que vous a laissées votre mari. Vous pourriez en tirer un bon prix si vous vouliez me les abandonner…
ANNA PETROVNA
Je ne les vendrai à personne ! Que m'en donneriez-vous ? Un copeck ? Gardez le copeck et qu'il vous étouffe.
VENGEROVITCH
Ils m'ont également autorisé à vous prévenir qu'ils intenteraient une action si vous refusiez de vendre les biens qui vous restent. Il faudra bien que je me joigne à eux, car j'ai racheté vos créances à Petrin et à Bougrov. Je déplore de telles méthodes, je l'avoue. Mais que voulez-vous ! L'amitié est une chose, l'argent en est une autre. Le Commerce ! Le Commerce ! C'est une chose maudite ! Je sais.
VOINITZEV
Je ne laisserai pas les biens de ma mère aller à n'importe qui ! - Oh ! puis, faites ce que vous voudrez.
ANNA PETROVNA
Je suis désolée, Abram Abramovitch, mais il faut que je vous demande de nous laisser.
VENGEROVITCH (se levant)
Très bien ! Très bien ! Ne vous troublez pas, d'ailleurs vous pourrez rester ici. Jusqu'à Noël. Je reviendrai. Merci.
(Il sort.)