ACTE II - SCÈNE V



ANNA PETROVNA, PLATONOV

ANNA PETROVNA (entrant en costume de cheval et portant une cravache)
Je pensais que vous n'étiez pas couché.

PLATONOV
Mais…

ANNA PETROVNA
Dieu a créé l'hiver pour dormir, n'est-ce pas ? (Silence.)
Qu'est-ce qui ne va pas ?… Tendez votre main. (Il le fait.)
Vous êtes ivre ?

PLATONOV
Le diable seul le sait. Mais vous-même… souffrez-vous d'insomnie ? Venez prendre l'air, chère et estimée somnambule.

ANNA PETROVNA (s'asseyant près de lui)
Oui et non, mon très cher Michael Vassilievitch. (Elle rit.)
Vous me regardez avec des yeux où l'ignorance le dispute à la crainte.

PLATONOV
Je n'ai pas peur. En tout cas, pas pour moi. (Un temps.)
Avez-vous choisi l'incohérence ?

ANNA PETROVNA
Mettez cela sur le compte de la vieillesse qui commence.

PLATONOV
On peut pardonner ces caprices chez une femme qui vieillit, mais regardez-vous, vous êtes jeune… (Elle va parler.)
Chut ! Vous êtes comme l'été en juin ! Vous avez toute la vie devant vous !

ANNA PETROVNA
Mais je ne veux pas avoir ma vie devant moi. Je la veux dès maintenant. Oui ! Cette nuit, je me sens diaboliquement jeune. Impitoyablement jeune !
(Silence.)

PLATONOV
Que voulez-vous de moi ? Je ne veux rien. Partez ! (Un temps.)
Laissez-moi tranquille, je vous en implore. (Un temps.)
… Cessez de me dévisager de cette façon. (Silence.)
Pourquoi me traquez-vous comme vous le faites ?

ANNA PETROVNA (éclatant de rire)
Oui, je vous traque, oui ! Et à cheval encore ! Eh bien, il y a un moment pour l'hallali.

PLATONOV
Pourquoi moi, parmi tous les hommes ? Je ne suis pas capable de vous résister. Je suis la faiblesse elle-même. Comprenez-moi.

ANNA PETROVNA (s'approchant tout près de lui)
Orgueil d'abord puis humiliation de soi-même ! - Pourquoi vous défendez-vous, Platonov ? À quoi bon, Michel, à quoi bon ! - Il faut bien que cela finisse.

PLATONOV
Comment finir quelque chose que je n'ai même pas commencé ?

ANNA PETROVNA
Et par une nuit comme celle-ci, Michel, si vous devez mentir, choisissez l'automne. Quand les pluies sont venues et que tout est noir et bourbeux. Mais pas maintenant ! Regardez, fou que vous êtes, regardez les étoiles ! Voyez, elles vacillent devant vos mensonges ! (Elle l'embrasse.)
Il n'y a pas d'être au monde que je pourrai jamais aimer comme je t'aime. Il n'y pas de femme au monde qui pourra jamais t'aimer comme moi. Prenons l'amour et laissons le reste.
(Elle l'embrasse encore.)

PLATONOV
Si je pouvais seulement te rendre heureuse. (Il l'embrasse.)
Mon Dieu, comme tu es belle. Comme tu es belle. Mais je ne t'apporterai pas le bonheur. Je n'attire que la misère. Je te rendrai affreusement malheureuse. Comme j'ai rendu malheureuses toutes les femmes qui se sont jetées à ma tête.

ANNA PETROVNA
Vous vous prenez trop au sérieux. Croyez-vous être aussi terrible que vous vous l'imaginez, Don Juan ? (Riant :)
Comme vous êtes beau au clair de lune ! Très séduisant.

PLATONOV (sèchement)
Je ne me connais que trop. (Silence.)
Ce genre de choses ne se termine heureusement que dans les romances.

ANNA PETROVNA (en parlant, le prend par le bras)
Asseyons-nous là. (Ils s'installent sur un tronc d'arbre mort. Un temps.)
Qu'avez-vous d'autre à me dire, monsieur le philosophe ?

PLATONOV
Si j'étais honnête, je m'enfuirais. Maudite lâcheté !

ANNA PETROVNA
Fou que tu es, Micha : prends, saisis, étreins ! (Elle rit et sans absolument aucune hystérie. Puis, taquine :)
Comme tu es bête, Michel, comme tu es bête ! Une femme vient à toi, elle t'aime, tu l'aimes, la nuit est belle, quoi de plus simple ?

PLATONOV
Anna Petrovna, je vous aime. Je vous aime et je vous respecte…

ANNA PETROVNA (le coupant)
Ne recommencez pas…

PLATONOV
… Par conséquent, je ne tolérerai pas que vous pataugiez dans une intrigue mesquine.

ANNA PETROVNA (s'approchant de lui)
Tu m'aimes et tu me respectes. Moi je t'aime, je te l'ai dit, et tu le sais bien toi-même. Que faut-il de plus ? (Geste de Platonov.)
Mais c'est la paix que je veux. (Posant sa tête sur sa poitrine.)
La paix ! Comprends-moi ! Me reposer, oublier et rien d'autre. Tu ne sais, tu ne peux pas savoir combien ma vie est difficile et je veux vivre.

PLATONOV (il la prend dans ses bras)
Écoutez-moi… Pour la dernière fois, je parle en honnête homme : pars.

ANNA PETROVNA (riant)
Je ne vous quitterai pas. Vous aurez beau crier, tempêter et philosopher jusqu'à en perdre le souffle… je ne partirai pas.

PLATONOV
Sur mon honneur…

ANNA PETROVNA
Envoyez votre honneur au diable. (Elle lui entoure le cou d'un mouchoir comme d'un licol.)
Allez, venez maintenant… venez.

PLATONOV (riant et cédant)
Folle que vous êtes… vous ne savez pas ce que vous faites…

ANNA PETROVNA (riant)
Allons… (Elle le prend par le bras.)
Venez ! Dépêchez-vous. (On entend Triletzki chanter à proximité.)
Attendez ! Quelqu'un vient. Cachons-nous derrière cet arbre.
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