ACTE II - SCÈNE XV
PLATONOV, NICOLAS TRILETZKI, OSSIP
(Ossip reste en scène et s'assied, en attente, lorsque dans un grand mouvement sort Platonov poussant Triletzki.)
PLATONOV
Allez-vous-en… Sortez d'ici…
TRILETZKI (mal réveillé)
Mais pourquoi ! Dites-moi au moins pourquoi ?
PLATONOV
Vous le savez très bien. L'épicier est malade. Il a besoin de vous. Allez le voir tout de suite.
TRILETZKI (bâillant et s'étirant)
Vous ne pouviez pas attendre demain matin pour me réveiller ?
PLATONOV
Vous êtes un coquin, Triletzki, vous entendez ? Un coquin, une canaille !
TRILETZKI
Le Bon Dieu m'a fait comme cela. Il sait sûrement ce qu'il fait.
PLATONOV
Supposez que l'épicier meure.
TRILETZKI
Eh bien, s'il meurt, il ira au paradis. Et s'il ne meurt pas vous aurez gâché mon sommeil pour rien. (Bâillant :)
Je ne veux pas y aller ! Je veux dormir.
PLATONOV
À quoi servez-vous ?
(Il le secoue.)
TRILETZKI
Je vous en prie. Je vous en prie, ne vous mettez pas en colère ! J'ajoute que vous n'avez absolument aucun droit, sur le plan moral, de vous interposer entre un médecin et ses patients… (Platonov a un geste de menace.)
Merci ! Merci ! Si vous commencez à me faire la morale, je pars. Vous me donnerez votre avis un autre jour.
PLATONOV (le frappant du pied)
Filez.
TRILETZKI
J'y vais. (Fausse sortie.)
Mais je ne comprends pas pourquoi vous vous intéressez tant à un épicier ! Ne savez-vous pas que c'est un ivrogne ? Enfin, c'est votre affaire ! (Il s'éloigne et s'arrête encore.)
Juste un mot encore et je m'en vais. Prenez l'avis d'un médecin digne d'estime. Appliquez vous-même vos beaux principes. Je me comprends… (Il revient.)
Si j'étais loyal envers moi-même, je vous tirerais une balle dans la tête au lieu de vous écouter. Vous m'avez compris ?
PLATONOV (stupéfait, inquiet)
Non.
TRILETZKI
Il y a une certaine petite fille… Je pourrais parler plus nettement. Mais je suis un piètre duelliste. C'est votre chance. Bonsoir.
(Il sort. Platonov demeure immobile puis crie après lui.)