ACTE III - SCÈNE IV
MARKOV, PLATONOV
MARKOV
Pour Votre Honneur. (Il tend un papier à Platonov.)
Une citation à comparaître.
PLATONOV
Et d'où vient-elle ?
(Il rit.)
MARKOV
D'Ivan Andreivitch, juge de paix.
PLATONOV
M'invite-t-il à un baptême ? Aussi prolifique qu'une sauterelle, ce vieux pécheur ! (Arrachant le papier des mains de Markov :)
"Michel Platonov, cité comme accusé… affront public à Maria Efimovna Grekova, fille du conseiller d'État, et dommage causé à sa réputation…"
MARKOV
Voulez-vous signer le reçu, s'il vous plaît.
PLATONOV (s'asseyant devant la table et observant Markov)
Savez-vous, mon ami, que vous avez une tête de canard mort ?
MARKOV
Je suis fait à l'image de Dieu, Votre Honneur. Je suis un chrétien si vous voulez le savoir. J'ai servi Dieu et le tsar pendant plus de vingt-cinq ans. J'ai prêté serment sur les Saint Évangiles.
PLATONOV
Alors vous avez servi sous le tsar Nicolas ?
MARKOV
C'est exact. J'étais sous-officier dans l'artillerie.
PLATONOV
Et les canons étaient bons ?
MARKOV
Ceux du genre habituel. Des canons à âme lisse.
PLATONOV
Puis-je me servir de votre crayon ?
MARKOV
Bien entendu. (Désignant le papier :)
C'est là : "Reçu cette citation à la date du…" N'accepteriez-vous pas de m'offrir la valeur d'un verre, Votre Honneur ? Un pourboire, Votre Honneur, c'est l'habitude, et j'ai parcouru un long chemin pour venir jusqu'ici.
PLATONOV
Un verre ? Pas question ! Je vais vous préparer un samovar.
(Il fouille dans le placard pour trouver la boîte à thé.)
MARKOV
Si cela ne vous fait rien, Votre Honneur, j'aurais plus vite fait d'emporter le thé avec moi.
PLATONOV
Dans le samovar ?
MARKOV
Non, dans ma poche ! (Il ouvre une vaste poche latérale.)
Voyez ! il y a largement la place.
(Il prend la boîte et commence à la vider dans sa poche.)
PLATONOV (lui arrachant la boîte à thé presque vide)
Vous êtes sûr d'en avoir assez ?
MARKOV
Je vous remercie très humblement.
PLATONOV
Vieux soldat ! Vieux chapardeur !
MARKOV
Dieu seul est sans péché. En vous souhaitant bonne chance, monsieur.
PLATONOV
Attendez une minute… (Il s'assied et écrit un mot.)
Tu sais où demeure Maria Grekova ?
MARKOV
Oui. À douze verstes environ. En passant la rivière.
PLATONOV
C'est exact. À Zhilkov. Porte-lui tout de suite cette lettre et elle te donnera trois pièces d'argent. Donne-lui la lettre toi-même et n'attends pas la réponse. Laisse de côté toutes les autres citations jusqu'à demain.
MARKOV
Je comprends. Dieu vous protège, Votre Honneur.
PLATONOV
Et toi de même ! Adieu, mon ami.
(Markov sort.)